L’albinisme est l’une des anomalies congénitales pour lesquelles des personnes atteintes subissent des discriminations. Il n’existe pas de statistiques sur le nombre de personne vivant avec cette anomalie en Haïti, et on est encore loin d’une phase de prise en charge. La fondation ALBHA a été lancée en 2017 en vue de combler ce vide.
Dieuva Duval (41 ans) a grandi dans une famille de 13 enfants. Il ne pouvait travailler dans les champs à Beaumont (Grand-Anse) à cause des rayons du soleil, il a donc épousé la capitale (Port-au-Prince) en 1996, à l’âge de 19 ans. « En troisième secondaire, j’ai laissé l’école parce que je n’avais pas les moyens de continuer, c’est là que j’ai commencé à vendre des boissons glacées. Depuis, je ne fais que ça ». En 2012, Il a subi une opération pour une hémorragie interne dont il ignore jusqu’à présent les causes.
Cela fait un moment déjà que Dieuva Duval s’est installé devant le Collège Marie Reine Immaculée à Lalue. C’est d’ailleurs dans l’enceinte de cet établissement qu’il nous a rencontrés. Le vendeur refuse toutes les questions relatives aux éventuelles stigmatisations dont il aurait été l’objet en tant qu’ « albinos ». « Écoutez, je porte des casquettes parce que je le veux ! », c’est la réponse qu’il nous a donné quand nous lui avons demandé s’il portait un képi à cause du soleil.
Ervely Cangé, la dame qui a remonté la pente
Ervely Cangé a 25 ans, elle étudie la restauration hôtelière. Tout comme Dieuva Duval, elle vit avec l’albinisme, néanmoins son histoire diffère de celle de monsieur à bien des égards. « Albinos » elle-même, elle se souvient des difficultés éprouvées lors de sa scolarité : « En primaire, il m’arrivait d’aller à l’école quelques semaines après la rentrée, faute de moyens économiques. En conséquence, je ne trouvais que des sièges au fond de la classe. » Elle se déplaçait tout le temps dans la classe, parce qu’elle ne pouvait pas voir le tableau. Ses camarades la ridiculisaient. Quand elle ne prenait plus de notes, ses professeurs la traitaient de paresseuse. Ce n’est qu’en secondaire qu’Everly est parvenue à se défendre mieux. Après des recherches sur l’albinisme sur internet, elle a réussi à mieux comprendre le syndrome dont elle souffrait et répondait aux attaques par la raison.
L’étudiante en restauration sort avec un homme qui compte l’épouser très bientôt. Le fiancé est éperdument amoureux. Il dit d’un ton fier : «J’ai été attiré par elle parce qu’on avait un ami en commun. Et l’on s’est mis ensemble. Certains de mes amis ne comprennent pas pourquoi je sors avec une fille aussi claire. Mais je m’en tape, car l’on peut être noir ou jaune, et ne pas être aimé. Toutes les relations connaissent des difficultés donc, on fait avec ». Pour l’heure, le couple semble avoir un avenir prometteur.
Cangé a beaucoup progressé depuis l’école classique, mais la vie n’est pas rose pour elle. La dame porte souvent des pantalons quand elle doit passer beaucoup de temps dans la rue, ce qui n’est pas bien vu par certains membres de son église pentecôtiste. On lui fait souvent des reproches sur sa façon de s’habiller, mais elle ne fournit aucune explication : « Dieu, lui, sait pourquoi je porte des pantalons, je me fiche du reste du monde », argue-t-elle.
La fondation ALBHA: une lueur d’espoir
Conscient qu’il est difficile pour des personnes atteintes d’albinisme d’intégrer facilement la société haïtienne, James Germain a remarqué qu’il serait un bon représentant. Celui qui a subi des harcèlements à l’école et dans son quartier quand il était plus jeune a décidé de ne plus rester les bras croisés. Il a commencé par la musique. À 22 ans, il a bénéficié d’une bourse pour un stage en France et il est retourné pour y faire des études. Germain est devenu l’un des artistes haïtiens les plus prisés dans le monde musical haïtien.
Il a créé la fondation de la prise en charge de l’Albinisme en Haïti (ALBHA). La fondation compte travailler avec l’Etat afin de recenser le nombre de cas d’albinisme dans le pays en vue d’apporter des soutiens sur le plan éducatif, sanitaire et de les intégrer dans la vie sociale. Composé de trois médecins, d’une avocate et d’un artiste (James Germain lui-même), l’ALBHA a pour slogan, Nou tout se menm.
Pendant un an, la fondation n’a reçu aucun soutien, sauf le support de quelques médecins venant de l’État de Floride qui ont accepté de prêter leur service gracieusement. La structure a déjà organisé une campagne de sensibilisation à l’albinisme en juin 2017. Durant la même période, La fondation a collaboré avec l’hôpital Bernard Mevs où les médecins ont fait des dépistages du cancer de la peau. Elle a distribué notamment chapeaux et lunettes aux patients et quelques produits pour la peau. Cependant, « l’ALBHA n’existe pas seulement le 13 Juin (journée internationale de sensibilisation à l’albinisme », relate le chanteur.
Le 13 juin 2018, la fondation a commémoré pour la deuxième fois en Haïti la journée internationale de sensibilisation à l’albinisme. Une clinique mobile a été organisée dans le haut Artibonite (Gros-Morne) pour tous les gens souffrant de l’albinisme dans la zone. Docteur Shesly Jean-Louis, dermatologue et secrétaire générale de la fondation, affirme d’un air soulagé que les travaux de l’ALBHA seront plus dynamiques dans les jours à venir. « Nous projetons de payer l’écolage des jeunes (ou des enfants) qui sont frappés par l’albinisme et qui sont dans le besoin.»
James Germain et toute l’équipe d’ALBHA pensent que le travail est énorme. Ils sont néanmoins convaincus que la fondation parviendra à réaliser de grandes choses. « Ce faisant, les gens qui vivent avec l’albinisme cesseront de s’intéresser au regard des autres sur eux. Ils apprendront à sortir de leur coquille pour vivre comme tout le monde. Je ne suis pas resté dans mon coin, j’ai franchi les barrières sociales et je suis devenu un artiste que les gens ne jugent plus pour sa couleur de peau », affirme fermement le coordonnateur de l’ALBHA.
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L’albinisme est une anomalie congénitale due à une carence en mélanine affectant la couleur des yeux, des cheveux et la dépigmentation de la peau. Les personnes qui en sont atteintes ne peuvent pas être exposées trop longtemps au soleil, elles risquent des brûlures (voire le cancer de la peau) et peuvent connaître des complications au niveau des yeux.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de nombreuses personnes sont persécutées voire tuées en Afrique seulement parce qu’elles sont atteintes d’albinisme. La prévalence de l’albinisme varie à travers le monde : 1 personne sur 20 000 en est atteinte en Amérique du Nord et en Europe alors qu’en Afrique Saharienne, on estime le taux de 1 cas sur 5000 à 1 cas sur 15 000. Il n’existe pas encore de chiffre pour Haïti.
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