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La signification du tatouage dans les ghettos de Carrefour-feuille

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Que signifie le tatouage pour vous ? Comment agiriez-vous si votre enfant se présentait un jour à la maison avec un tatouage visible sur le corps ? Quelles que soient vos réponses, il y a des gens qui n’ont cure de vos opinions sur les signes qu’ils se font imprimer sur le corps. À Carrefour-feuilles, par exemple, dans une « base » appelée « ensemble des faway » dont la  devise est « peace and love », il y a des gens qui s’attachent énormément à leurs tatouages. Ils se décrivent comme des rastas, ils considèrent les dexters comme leurs jeunes frères bien que beaucoup d’entre eux se moquent pas mal de ces derniers.

Il est vendredi 5 hr PM , une chanson de Bob Marley fait vibrer les haut-parleurs, tous les rastas chantent en chœur, la marijuana coule à flots. Une demi-douzaine de joints sont allumés, Ils sont un peu plus de 10 dans la base ce jour là. Un d’entre eux s’attèle avec délicatesse à préparer des feuilles de tabac pour bien recevoir le produit sacré autour duquel semble exister tout un rituel. Le joint n’a pas de propriétaire dans la base « ensemble des faway », ils se le passent sans arrêt, même ceux qui ne fument pas nécessairement font la passe. Dreadlocs pour certains, afro pour d’autres, les jeunes hommes ont de multiples piercings à aux oreilles. À tour de rôle, ils expliquent la signification de leurs tatouages. Même ceux qui ne sont pas tatoués  paraissent maitriser le sujet.

Le tatouage tel un souvenir ou un rêve

« Avant le 12 janvier 2010,  je pariais sur certains  joueurs de basket à la place Jérémie. Quand ils marquaient des points, je gagnais de l’argent. Après le tremblement de terre, j’ai dessiné un ballon de basket sur mon avant-bras droit », c’est le témoignage de l’un des hommes du groupe des « faway ». Une moitié de sa coiffure est en dreadlocs et l’autre moitié communément tondue. Torse nu, on peut compter environ cinq tatouages. Il a notamment des barbelés sur sa poitrine « Nos barbelés sont comme les clôtures des maisons. Cela signifie qu’on ne peut pas nous atteindre facilement». Il a  aussi sur la peau, quelques étoiles qui donnent l’impression de filer, cela veut dire selon lui, qu’un jour il parviendra à briller, d’atteindre ces objectifs.

Un  jeune homme  qui,  visiblement n’a pas de tatouage dit : « vous pouvez voir que des gens portent sur eux deux têtes, une triste et l’autre contente. Cela sous-entend qu’un jour vous pleurez et un autre vous réjouissez. » À chaque fois qu’un membre prenait la parole, les autres l’appuyaient par des mots pour renforcer ce qu’il disait. « Nos tatouages sont plus précieux pour nous que nos  femmes. Celles-ci peuvent nous quitter, mais nos tatouages, jamais » argue l’un d’eux avec sourire moqueur sur les lèvres.

 

Quand le tatouage traduit un signe du vécu et une mauvaise étiquette

La majorité des jeunes gens ont tatoué le nom de leur maman sur leur corps. Ils expliquent que la maman est une pièce importante dans leur vie de jeunes Haïtiens.  Ils ont chacun une façon d’expliquer l’absence ou l’insouciance de leur père dans leur vie. Jòj n’a jamais vu son père de toute sa vie, il est suivi de celui qui des feuilles de tabac qui confie que le sien pouvait passer beaucoup de temps sans le voir.

A cause de leurs tatouages,  ils expliquent vivre beaucoup de discriminations.  Les chauffeurs (voiture ou motos) ne s’arrêtent  pas pour eux.  Et, des gens qui n’habitent pas la zone pensent qu’ils sont des bandits. « Durant les dernières élections, une dame est même venue ici nous offrir chacun cinq mille gourdes pour  semer la pagaille dans un bureau de vote» a relate Sandro,  qui a grandi dans la zone.  Les messieurs ont bien sûr empoché l’argent, pour acheter de la marijuana et de l’alcool, mais le jour des élections sont restés dans la base en paix.

 

L’industrie du tatouage et les risques qu’on peut encourir en se faisant piquer          

Réginald Gaston est un étudiant en art plastique à l’École Nationale des Arts. Il est dans l’industrie du tatouage depuis  2015. Il a créé son entreprise du nom de First Luck qui offre de nombreux services aux clients notamment des tatouages. Gaston raconte que c’est un métier passionnant. Cependant, on ne peut  gagner sa vie avec. « Quand on fait un tatouage en Haïti, les gens nous voit telle une personne sale, quelqu’un d’immoral, » dit-il d’un ton triste. Il a fait venir depuis la France les matériels (aiguilles, encres, etc.) qu’il utilise, parce qu’ils ne les trouvent pas en Haïti. Ces outils, il les a paie en dollars américains, c’est pourquoi, le paiement en dollars  lui est préférable.

Bien qu’il ne porte pas de tatouages, Réginald Gaston affirme qu’il n’y a aucun danger à se faire tatouer. « L’aiguille même stérilisée ne pénètre jamais toutes les couches de la peau et l’encre n’est pas toxique », confirme l’étudiant en art plastique. Ce qui n’est pas du tout l’avis d’une spécialiste de la peau. Selon la dermatologue Shésly Jean-Louis, le tatoueur devrait prendre beaucoup de précautions avec les aiguilles, car si elles ne sont pas stérilisées elles risquent de transmettre au tatoué  l’hépatite B et le VIH/SIDA. Il y a aussi d’autres risques selon le docteur, comme par exemple la chéloïde que l’on appelle en créole haïtien po donnen, des irritations de la peau et certaines réactions allergiques.

Le tatouage  existe depuis des millénaires.  Certaines nations les  portaient  pour se différencier par rapport leurs voisins, pour honorer leurs ancêtres, leurs dieux. Aujourd’hui, de simples citoyens, des artistes et même certains élus se tatouent.  Ils le font pour l’esthétique ou pour exprimer un sentiment au plus profond de leur être qui les caractérise. Dans le ghetto des « faway », le tatouage et la marijuana participent dans la fondation de la culture de leur groupe; La plupart d’eux ont quitté l’école et ne travaillent pas. Ils se foutent pas mal des dangers auxquels ils pourraient être confrontes en se faisant tatouer. Sans le dire ces jeunes hommes paraissent  être en rébellion contre un système qui ne leur laisse que très peu de chance de s’en sortir.

Laura Louis 

Images: Georges Harry Rouzier

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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