Digicel n’est pas prête à réaménager le marché en fer de Port-au-Prince à cause de la dépréciation de la gourde qui sape l’économie. Entre temps, les marchands qui attendent la réparation de la partie consumée par le feu s’entassent pêle-mêle sur la cour.
Au boulevard Jean-Jacques Dessalines, les détaillants qui hèlent leurs articles et les klaxons d’automobile, causent un brouhaha incroyable. Cette partie du centre-ville, dite anba lavil est continuellement bloquée par des embouteillages. C’est là que se trouve le cœur du secteur informel de Port-au-Prince. Le marché en fer trône au milieu des flaques d’eau puantes et des détritus. Ce marché aussi dénommé “marché Hippolyte”, “marché Vallière” ou “marché anba” (en bas), est l’endroit où les étals d’épices, de vêtements et d’accessoires vaudous des commerçants sont exposés à la vente.
Construit dans les années 1890, le marché a une structure métallique réalisée en France. Acheté par le président Florvil Hyppolite, l’édifice était destiné à la gare du Caire, en Égypte. Le marché a été incendié pour la première fois en 2008. Le bâtiment a été classé en 2010 comme patrimoine historique par l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN).
En 2011, Denis O’Bien, patron de la compagnie de téléphonie mobile Digicel, a rénové le marché pour 18 millions de dollars. Sept ans plus tard, soit en février 2018, un terrible incendie ravage la partie sud du marché. Selon Pierre Luc Jean-Louis, commerçant du marché et également secrétaire de l’Association des marchands du secteur informel du marché Vallière (AMSIMV), la partie sud à elle seule était divisée en quatre parties : une section alimentaire, une section cosmétique, une boucherie et une quincaillerie. Depuis quinze mois, les ruines du bâtiment sont exposées au vu des commerçants, visiteurs et clients qui fréquentent ce marché.
Réaménagement incertain
Actuellement, la partie sud du marché est vide avec son toit effondré et tôles calcinées. Elle est encerclée de tôles rouges. Cette partie reste inaccessible aux commerçants qui s’installent çà et là sur la cour et à l’entrée principale du marché. « Nous demandons la rénovation du marché en fer pour relancer nos activités », réclame Cléomène assise près de son étal de produits cosmétiques. Elle raconte que tout ce qu’elle avait construit durant des années de dur labeur a été parti en fumée.
Le coût estimatif pour la rénovation du marché est plus élevé parce qu’il s’agit d’un bâtiment historique. L’ISPAN retient des normes de construction spécifiques pour sa rénovation. « Si on pouvait utiliser les normes modernes avec moins de contraintes historiques, le coût serait de 2 millions de dollars au lieu de 8 millions », estime Maarten Boute, directeur général de la compagnie Digicel.
« Pour le moment, la Digicel n’a pas pris d’engagement pour la rénovation du marché. On se limite à protéger et sécuriser la partie qui a été endommagée », déclare le PDG. L’instabilité économique actuelle du pays ralentit la volonté d’investissement de cette compagnie pour l’aménagement du marché.
« Digicel aimerait bien le faire, mais nous avons des contraintes budgétaires assez fortes », souligne M. Boute qui attend que les résultats économiques de Digicel s’améliorent avant tout éventuel investissement. « Si l’économie va mieux, si la gourde se stabilise, on n’exclut pas le projet de rénovation du marché », ajoute-t-il.
Des recettes trop faibles
Après la rénovation du marché en 2011, un statut a été adopté par la Mairie de Port-au-Prince et Digicel portant création d’une société anonyme mixte, « marché en fer SAM ». Ce contrat a été réalisé afin que Digicel puisse légalement assurer l’entretien et la sécurité du marché pendant cinquante ans.
Chaque année, Digicel dispose d’une enveloppe de 300 000 dollars pour les frais de maintenance et la sécurité du marché. Les recettes générées par le marché sont évaluées à 45 000 dollars par an. Les marchand de la partie sud paient des frais hebdomadaires de 100 gourdes et ceux de la partie nord paient 150 gourdes. Selon James Boucher, manager du marché, les commerçants recensés sont au nombre de 440 pour la partie sud et 370 pour celle du nord.
Le marché en fer est l’un des endroits du Centre-ville (anba lavil) où les recettes ne sont pas collectées par les gangs armés. « Il n’a jamais eu de gangs qui prennent le contrôle du marché », affirme Jean Oreste Zamor, commerçant et inspecteur du marché. « Néanmoins, déclare-t-il, les gangs font quotidiennement leurs recettes aux alentours du marché ». Les dispositifs sécuritaires du marché sont bien charpentés et il y a autant d’agents de sécurité en uniforme que ceux qui n’en portent pas.
La vente a chuté
À cause de l’insécurité qui bat son plein à Port-au-Prince notamment à La Saline, située non loin du marché en fer, peu de gens le fréquentent actuellement. Les affrontements entre les gangs de ce quartier depuis le début de l’année 2019 pour le contrôle du marché de la Croix-des-Bossales ralentissent l’ampleur des activités. « La vente n’est pas satisfaisante ces derniers jours à cause de l’insécurité causée par des gangs armés », revèle Jean Oreste Zamor.
Par ailleurs, les marchands victimes de l’incendie du marché sont livrés à eux-mêmes. En dépit de la création d’une commission interministérielle au nom des victimes, aucune décision n’a été prise au niveau de l’État. Seulement 200 marchands avaient reçu une subvention de 20 000 gourdes. Selon les responsables du marché, les vraies victimes de l’incendie n’ont reçu aucune assistance.
Comments