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La qualité des matériaux importés pour la construction a beaucoup baissé en Haïti

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Alors que leurs prix ne cessent de grimper, les matériaux utilisés dans la construction en Haïti ont connu une baisse de qualité considérable. Selon des professionnels du domaine, l’importation sans contrôle facilite l’entrée de ces matériaux inappropriés dans le pays

La construction de bâtiment prend plusieurs formes. Il s’agit souvent de bâtir des résidences. Mais aussi des édifices publics ou des infrastructures urbaines (écoles, places publiques, routes, cimetières, hôpitaux, etc.).

Ces structures ont toutes un point commun : ils utilisent à peu près les mêmes matériaux comme le sable, le ciment, le gravier et le fer. Ce sont des éléments de base. « Ces matériaux doivent être de qualité adéquate pour le travail. Ils doivent aussi être utilisés à bon escient pour obtenir des [matières premières] de qualités », indique l’ingénieur Chantal Agenor Rabel. Il travaille depuis plus d’une trentaine d’années dans ce secteur.

Diminution du diamètre du fer

Les matériaux participent à la qualité de la construction et à sa durée de vie. La baisse de qualité observée dans les matériaux vendus en Haïti peut avoir des conséquences graves sur la solidité des édifices.

Ces matériaux proviennent de plusieurs pays. « Or, chaque territoire à ses normes et ses standards. Les matériaux conçus sur le continent européens, ne sont pas les mêmes produits dans la Caraïbe », analyse l’ingénieur et géologue Lionel Rabel.

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Par exemple, constate Chantal Agenor Rabel, la dimension des barres de fer utilisées dans la construction a considérablement réduit. « Quand on fait le calcul d’une poutre, il y a des dimensions qu’il faut respecter en fonction de la sollicitation de la structure », dit-elle.

En termes d’épaisseur, poursuit-elle, les fers de nos jours sont de plus petits diamètres que ceux d’autrefois. La résistance a baissé et le fer peut se plier sans difficulté. En utilisant un fer qui n’a pas le diamètre recommandé, la structure de l’édifice risque d’être fragilisée.

Des matériaux non consistants

Selon les estimations du Centre de Facilitation des investissements (CFI), Haïti a importé du ciment et des barres métalliques pour 100 millions de dollars américains de la République dominicaine en 2014. « Ces produits sont vendus et écoulés spécifiquement en Haïti. Ils ne sont pas utilisés dans les constructions dominicaines », remarque l’ingénieur Agenor Rabel qui enseigne à la Faculté des Sciences (FDS).

En Haïti, il y avait autrefois le ciment national et le ciment Varreux. Ces ciments étaient produits avec les proportions recommandées. Ils étaient de bonne qualité et pouvaient même être utilisés pour les « constructions au niveau de la mer » selon Lionel Rabel. « Les ciments de nos jours ne répondent pas à ce critère, continue le professionnel. Qui pis est, le ciment pour l’enduisage est utilisé pour le béton et vice-versa alors que les instructions sont inscrites sur le sac ».

Un problème complexe

La mauvaise qualité des matériaux peut résulter de deux facteurs. D’une part, les matériaux de base peuvent être en cause. Parfois, la qualité peut être bonne, mais les proportions recommandées ne sont pas respectées, ce qui affecte négativement le produit obtenu.

Par exemple, le béton est un matériau conçu à partir de la combinaison du ciment, du gravier et du sable. Quand ces composants ne sont pas convenablement proportionnés, le produit n’est pas de qualité. De même, si le sable et les pierres utilisés ne sont pas extraits de la rivière, le produit est imparfait. « Le sable de carrière doit seulement être utilisé dans l’enduisage », précise l’ingénieur Agenor Rabel.

Ces constats sont aussi valables pour le bloc vibré et le bloc produit à la main. La pression et la résistance de ces deux produits ne sont pas les mêmes. Quand le bloc est bien vibré, il a moins d’espace vide à l’intérieur. Sa mise en place nécessite donc moins de matériaux.

Des types de constructions

Les édifices en béton présentent des avantages. En réalité, ils ne vont pas s’effondrer du jour au lendemain même étant construits avec des matériaux de piètre qualité. Mais, lors d’un événement majeur, les structures fragiles ne vont pas résister.

Dans les années 1990, la plupart des maisons à la campagne étaient construites avec de l’argile ou le tuf. Ces constructions ont été encouragées pendant un certain temps pour leur caractère écologique.

« En prenant de l’argile, mélangé avec des fibres d’herbe, l’on obtient des matériaux assez résistants. Ces matériaux sont fabriqués à partir des éléments du terroir. Les maisons construites avec ces matériaux [mettent en valeur] une architecture à l’haïtienne et offrent une température fraîche. »

L’absence de l’État

Le domaine de la construction est peu florissant en Haïti. Dans certains pays, ce secteur, générateur d’emplois pour des milliers de familles, est contrôlé. À un certain moment, pour booster son programme de construction, l’État dominicain a grandement exploité la main-d’œuvre haïtienne.

Sans directives des autorités, les amateurs font la loi dans ce domaine. Les mines de sables sont très mal-exploitées dans les mornes et l’industrie informelle de la fabrication des blocs prospère. « Ils fabriquent des matériaux non résistants qui nécessitent beaucoup plus de ciment pour leur mise en place et leur enduisage », souligne l’ingénieur Chantal Agénor Rabel.

Or, les matériaux doivent répondre aux normes de constructions en subissant des tests de résistance et de compression du Laboratoire national de bâtiment et des travaux publics (LNBTP). Les tentatives d’AyiboPost pour interviewer les responsables du LNBTP se sont révélées infructueuses.

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Par ailleurs, le Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) est doté d’une Direction du Contrôle de la Qualité et de la Protection du Consommateur (DCQPC). « Mais, le service fourni par cette entité se limite uniquement aux produits alimentaires », reconnaît Willy Bien-Aimé, assistant-directeur exécutif de la DCQPC.

 « Le MCI devrait établir un standard au niveau de la qualité des matériaux », renchérit l’ingénieur Jocelyn Jeudy qui travaille à la section génie municipale à la mairie de Port-au-Prince. En fonction du standard requis, poursuit-il, l’État doit choisir si les matériaux importés comme le fer ou le ciment doivent venir de l’Europe, de l’Asie ou de la Caraïbe.

Pour la relance de l’économie

Selon une étude parue en 2018 et réalisée par le programme de recherche dans le champ de l’urbain, la population haïtienne croît de 100 000 habitants par an. Du coup, il faut prévoir de les loger. En considérant cinq personnes par famille, Haïti nécessite environ 20 000 logements par année pour accueillir les nouveaux habitants.

Selon les estimations de l’ingénieur Lionel Rabel, la construction d’une maison nécessite en moyenne 20 ouvriers. Ces ouvriers regroupent une panoplie de métiers de divers champs (maçon, ferraille, électrique, plomberie, carrelage, la charpente, etc.). « En construisant 20 000 nouveaux logements, l’on aurait créé près de 400 000 emplois directs dans le champ de la construction », relate-t-il.

En admettant que dans chaque famille de cinq personnes il y ait au moins un individu employé dans le secteur de la construction, la création de 400 000 emplois pourrait donc toucher près de 2 millions de personnes dans le pays.

« L’État doit d’abord réorienter les entités de contrôle puis organiser l’espace urbain pour enfin lancer la reconstruction du pays afin de pallier le chômage », estime Lionel Rabel.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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