L’une des questions à laquelle on n’a pas encore de réponse concernant le séisme du 12 janvier, c’est le sort des journalistes travaillant en Haïti au lendemain de l’évènement. Entre responsabilité familiale et professionnelle, les travailleurs de la presse exerçant déjà leur métier dans un contexte sociopolitique difficile, doivent faire un choix. Comme tout le monde, le tremblement de terre les a pris au dépourvu. Certains n’ont même pas eu le temps de faire le deuil de leur proche, ils étaient déjà sur leur lieu de travail pour informer le reste du monde de cette tragédie humaine trainant derrière elle plus de 300’000 victimes.
Dans ce chaos qu’est devenu Port-au-Prince et ses environs au lendemain du séisme, comment les journalistes ont-ils pu survivre ? En quoi cet événement tragique allait complètement impacter leur travail ? Qu’est-ce-qui a changé dix ans après dans l’exercice de leur profession ?
A travers plusieurs personnages évoluant dans la presse écrite et parlée, nous avons exploré l’évolution de la pratique journalistique dans les années suivant le séisme, qui sont surtout marquées par l’émergence des réseaux sociaux.
Marcus Garcia est journaliste depuis plus de 40 ans. Il est PDG de Mélodie FM qui était l’une des rares stations de radio à émettre le jour après le tremblement de terre. Alors que sa femme cherchait vainement à sortir sous les décombres, Marcus se trouvait au micro, ignorant encore l’ampleur des dégâts. Les nouvelles arrivent en vrac, au fur et à mesure il saisit la gravité de la situation. Son premier réflexe est de gagner sa maison pour avoir les nouvelles de son épouse. Trop tard, Marcus n’a pas eu le temps de la secourir. Malgré tout, il a pu trouver de la force de retourner à la radio immédiatement après, et de remonter la pente grâce à son travail.
Amélie Baron, correspondante de RFI et d’AFP, elle avait à peine un mois au pays quand le séisme a surgi en janvier 2010. « J’habitais en plaine et je n’arrivais pas encore à m’orienter dans la ville », nous dit-elle. En dépit de tout, elle doit couvrir la suite des événements.
La gestion calamiteuse de l’aide internationale, les crises politiques à répétition, le gaspillage des fonds alloués à la reconstruction du pays ; ils sont nombreux les évènements dont Amélie était le témoins oculaire. Pourtant son travail de journalisme se portant sur le traitement de l’actualité, avec un budget limité, lui a empêché de fouiller en profondeur ces faits qui ont jalonné la période post-séisme.
Edine Célestin est photojournaliste, co-fondatrice du média en ligne Enfositwayen. Une chose l’a frappée au lendemain du séisme dans la couverture médiatique qui a été faite de l’événement : un manque d’humanité dans les photos retraçant la vie quotidienne de la population haïtienne. L’envie profonde et indéniable lui prend de proposer un regard haïtien de la photographie post-séisme et de rendre la dignité à ses compatriotes.
Carel Pèdre, a plus de 20 ans de carrière comme animateur de show radiophonique. Il participait en direct au téléphone à une émission quand tout a coup la terre s’était mise à trembler. Le pays est coupé du reste du monde. Deux photos accompagnant un tweet sur le compte de Carel allait sortir Port-au-Prince de son isolement. En mobilisant les atouts des réseaux sociaux, il est devenu la voix des différents médias internationaux dans le pays au lendemain du séisme. Carel est l’un des premiers dans le pays à expérimenter la cohabitation entre des médias traditionnels (la radio), et les réseaux sociaux. Il suit de près l’évolution encore balbutiante de la presse haïtienne vers le numérique.
Ralph Thomassaint. était étudiant à l’Université d’Etat au moment du séisme. Sa rencontre avec des journalistes étrangers expérimentés au sein de l’institution Internews dans le cadre du projet Enfòmasyon nou dwe Konnen au lendemain du tremblement de terre, va lui permettre de découvrir le journalisme multimédia. Ralph est directeur de rédaction à Ayibopost qui est devenu au fil du temps l’une des plus importantes plateformes en ligne dans le paysage médiatique haïtien. En dépit des obstacles qui empêchent le cheminement des médias haïtiens vers le journalisme-multimédia, Ralph croit que les nouvelles technologies vont finir par s’imposer.
Feguenson Hermogène et Valérie Baeriswyl
« Ce travail a été réalisé dans le cadre de l’appel « Enquêtes et grands reportages pour les 10 ans du séisme » lancé par FOKAL »
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