Une décision des États-Unis et l’insécurité accélèrent le manque d’activités à La Poste. Les responsables de l’institution publique disent vouloir le monopole du marché postal, investir dans le commerce en ligne et les services financiers
Les revenus de l’Office des Postes d’Haïti (OPH) sont au plus bas.
En deux à trois ans, les recettes de l’institution étatique ont chuté de 95 %, passant d’environ 20–25 millions à seulement 1 million de gourdes par mois, révèle à AyiboPost le directeur technique de l’OPH depuis 2021, Djimly Xavier.
Les activités cantonnées à la distribution du courrier local dans les zones encore accessibles sont également au plus bas.
L’OPH distribuait en temps normal environ 3 000 colis et courriers par mois.
Aujourd’hui, « ce chiffre est peut-être tombé à 1 500 par mois », renchérit Alxana Pierre, brigadier en chef à l’OPH et responsable de la coordination des opérations de distribution du courrier.
La chute libre de cette institution fondée en 1879 s’accélère avec l’insécurité.
En début d’année, les gangs ont ravagé leur siège social à la rue Capois à Port-au-Prince.
Les services centraux sont provisoirement installés au Centre des opérations de l’OPH (un centre de tri) à la SONAPI. Désormais, cet espace accueille à la fois les bureaux administratifs et sert d’espace de stockage.
L’OPH offre ces jours-ci des services postaux comme la livraison de lettres physiques aux particuliers et entreprises et achemine rapidement des colis et des documents officiels à travers le service Express Mail Service (EMS).
AyiboPost a constaté une toute petite quantité de colis en attente de livraison à SONAPI lors d’une rencontre avec le Conseil d’administration de l’institution le 10 septembre dernier.
En réalité, les avancées technologiques des dernières décennies rendent pratiquement obsolète la circulation de documents papier. Plusieurs entreprises privées offrent des services de livraison, souvent plus fiables que l’OPH, aussi appelée La Poste.
De plus, depuis novembre 2024, le service postal américain (USPS), l’équivalent américain chargé de la distribution et de l’acheminement du courrier aux États-Unis et à l’international, a suspendu ses opérations avec Haïti après la décision de la Federal Aviation Administration (FAA) d’interdire tous les vols américains en raison de l’insécurité jusqu’en mars 2026.
Aussi, l’OPH peut uniquement envoyer des colis vers l’étranger, mais ne peut plus en recevoir depuis les États-Unis.
En réalité, les avancées technologiques des dernières décennies rendent pratiquement obsolète la circulation de documents papier. Plusieurs entreprises privées offrent des services de livraison, souvent plus fiables que l’OPH, aussi appelée La Poste.
Pour assurer l’envoi des colis à l’international, l’Office fait appel à des partenaires privés comme Medasa, affilié à Amerijet. Mais les réceptions restent bloquées, accentuant la pression sur l’institution.
« Nous explorons différentes démarches et pistes de solutions, mais nous ne savons pas combien de temps cette situation va durer », déclare à AyiboPost Carel Alexandre, directeur général de l’OPH depuis dix ans.
Les compagnies de shipping et d’import-export formelles et informelles pullulent sur le marché.
Selon le directeur Alexandre, l’OPH, qui devrait occuper une position de leader en tant qu’institution étatique, se retrouve relégué derrière ces entreprises privées, faute de régulation.
Un décret de 1987 limite les compétences de la structure : elle ne peut pas offrir des services financiers, comme les transferts d’argent ou les paiements électroniques, ni se lancer dans le commerce en ligne, deux secteurs aujourd’hui essentiels dans le monde postal, selon ses responsables.
C’est le ministère du Commerce qui délivre les autorisations aux entreprises privées souhaitant ouvrir une compagnie d’import-export en Haïti.
« Nous aimerions avoir un véritable contrôle pour pouvoir devenir un véritable organe régulateur du marché », explique Alexandre. Mais faute de « monopole » et de cadre légal clair, les entreprises privées se sont engouffrées dans la brèche, prenant des parts de marché que l’OPH n’a jamais pu capter, dit-il.
À ce sujet, l’OPH a déjà soumis un projet de réorganisation au gouvernement. L’objectif : moderniser l’institution, élargir ses compétences et lui permettre de s’aligner sur les standards internationaux. L’Office souhaite également investir dans le commerce en ligne et les services financiers, comme le font les postes dans le monde.
Lire aussi : Les gangs contrôlent l’accès aux aires protégées en Haïti
Mais cela nécessite des investissements massifs et un soutien politique. « J’aimerais voir l’institution devenir différente, et j’espère que nous aurons assez de moyens pour la rendre plus dynamique », affirme Xavier, le directeur technique de l’OPH.
L’OPH, tel que nous le connaissons aujourd’hui, trouve ses racines dans l’Administration générale des Postes, créée en 1879 sous la présidence de Lysius Salomon Félicité Jeune.
Dès 1881, cette administration signe la convention pour intégrer l’Union Postale Universelle (UPU), l’organisation internationale des Nations unies qui coordonne les services postaux à travers le monde.
Pendant plus d’un siècle, la poste haïtienne assure la circulation des lettres et des colis dans tout le pays. En 1987, un décret transforme l’administration en OPH.
L’institution acquiert alors un statut autonome, commercial et financier, tout en restant sous la tutelle du Ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI) avec la mission de superviser et gérer la distribution du courrier à l’échelle locale, nationale et internationale, tout en maintenant le lien avec l’UPU.
Si aujourd’hui, l’OPH veut une forme de monopole et la régulation du secteur, plusieurs clients expriment leur mécontentement face à son manque de communication ou aux services insatisfaisants.
Junior Laraque Saint-Pierre se souvient de sa mauvaise expérience en 2022. « Je devais recevoir un colis en provenance des États-Unis. Il m’a fallu un mois avant de l’obtenir, et ce, seulement après de nombreuses démarches et demandes », raconte le client, précisant que c’était sa première expérience avec le service et que le manque de communication auprès des clients est l’une des raisons de son insatisfaction.
Questionnée sur ce cas par AyiboPost, Bellicar Bellevue, assistante de la direction technique, explique : « Plusieurs raisons peuvent parfois être indépendantes de notre contrôle. Un retard peut survenir si le colis n’est pas encore arrivé dans nos bureaux en Haïti ou si la distance à parcourir prend plus de temps que prévu », défend Bellevue, qui assure que des efforts sont en cours pour améliorer le service.
Une dizaine d’usagers du service shipping interrogés de façon aléatoire par AyiboPost indiquent ne pas savoir ce que fait l’OPH ou pensent qu’elle ne fonctionne plus du tout.
Lire aussi : Une seule bouche d’incendie fonctionnelle à Port-au-Prince
James Charles, 26 ans, tire son revenu de l’achat en ligne pour des clients, une activité qu’il exerce depuis deux ans. Il explique : « J’utilise souvent d’autres compagnies de shipping en Haïti, mais je ne savais même pas si la Poste haïtienne fonctionnait encore pour la livraison de colis », juge-t-il, la considérant comme une ancienne institution.
La grande majorité des bureaux décentralisés de la zone métropolitaine restent fermés. Si un client à Croix-des-Bouquets reçoit un colis de La Poste par exemple, c’est lui qui doit venir le chercher, explique Xavier, directeur technique au sein de l’OPH depuis 2021.
L’OPH, tel que nous le connaissons aujourd’hui, trouve ses racines dans l’Administration générale des Postes, créée en 1879 sous la présidence de Lysius Salomon Félicité Jeune.
« Pour livrer du courrier dans certaines de nos succursales, comme à Carrefour, les agents publics doivent prendre le transport public et participer au paiement des postes de péage des gangs pour pouvoir passer », révèle Alxana Pierre, brigadière en chef à l’OPH et responsable de la coordination des opérations de distribution du courrier.
Même constat pour Jean Wisly Rosembert, facteur depuis 30 ans à l’OPH et livreur de courrier dans les environs de Croix-des-Missions.
« Je peux le faire parce que je connais la zone, c’est là que je vis », explique Rosembert, qui doit parfois recourir à ses propres stratégies pour continuer à travailler : ne pas utiliser les moyens de transport de l’institution, ou parfois changer la plaque d’immatriculation de son véhicule (moto) pour ne pas révéler qu’il s’agit d’un service de l’État.
Par : Lucnise Duquereste
Couverture | Façade du bâtiment de l’Office des Postes d’Haïti (OPH). Photo : OPH
► AyiboPost s’engage à diffuser des informations précises. Si vous repérez une faute ou une erreur quelconque, merci de nous en informer à l’adresse suivante : hey@ayibopost.com
Gardez contact avec AyiboPost via :
► Notre canal Telegram : cliquez ici
►Notre Channel WhatsApp : cliquez ici
►Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments