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La misère, le soleil et les enfants abandonnés d’Haïti

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Six (6) ans après le séisme du 12 janvier 2010, certaines familles haïtiennes sont restées sous les ornières de l’impuissance économique. Les besoins et la vulnérabilité des enfants se sont accrus de manière exponentielle. Beaucoup d’entre eux furent contraints de laisser le toit familial où la misère dicte ses lois. Parfois ils se réfugient dans des centres d’accueil, souvent ils prennent la rue où la mendicité, la délinquance et l’utilisation des enfants à des fins politiques, constituent plus qu’un mode de vie, un pays. Haïti, le pays des enfants abandonnés!

« Les enfants sont l’avenir du pays », « Une Haïti sans domesticité », « Non à l’exploitation des enfants ». En décodant l’algorithme des actions entreprises en Haïti en matière de protection des enfants, on trouve un ensemble de slogans, semblables à un album de vieilles photographies rangées sans ordre et sous lesquelles, le plus souvent, manquent les légendes.

« Ma mère est morte, mon père n’a pas de boulot, c’est pourquoi il m’autorise à prendre la rue pour mendier mon pain quotidien. Aujourd’hui le champ- de-mars est ma maison, je dors à la belle étoile » explique Angelo.

« J’ai vu ma mère depuis 2010. Après le tremblement de terre, elle avait perdu la tête (une feuille dans le jargon créole), mon père étant handicapé, je suis venu au champ-de-mars à la recherche d’une nouvelle vie pour nous deux » rapporte David.

A entendre respectivement Angelo (10 ans) et David (12ans), l’aspect classique de la domesticité traité durant les différentes journées mondiales n’est que la partie émergée de l’iceberg. À l’entracte de cette scène sombre et profonde, il y a ces petits acteurs dont personne ne parle. Seuls et livrés à eux-mêmes, ils sont obligés de jouer avec les cartes que la vie leur a laissées. Selon les chiffre de l’Unicef, ils sont environ 300,000 en Haïti.

 

Qu’en est-il de leur santé ?

Le Champs- de-Mars représente le plus grand espace d’accueil des enfants abandonnés. Cet endroit offre la liberté à l’égard des parents, des responsables des centres d’accueil, mais il n’en demeure pas moins vrai qu’une peur bleue surgit à chaque caprice de la nature car ils sont souvent la proie de toute sorte de maladies, d’abus, d’exploitation, de violences physiques et psychiques. Les fillettes elles sont victimes de viol, de grossesses précoces, d’abus sexuels par les hommes mûrs en quête de chair juvénile.

« La maladie, nous savons ce que c’est, surtout en période cyclonique » lâche Robenson Terilus qui vit au Champ- de -Mars depuis 6 ans. La voix rauque, le visage terreux, il explique sans justifier pourquoi bon nombre d’entre eux sont morts suite à des maladies.

« Nos aînés et même certains professionnels de santé ne veulent pas nous aider. Ils disent que c’est normal, les enfants abandonnés, surnommés « petits délinquants, va-nu-pieds, voleurs, parias » (Kokorat dans le créole haïtien) ne se baignent pas, que ce n’est pas grave et que c’est certainement une petite fièvre à cause du temps trop long passé dans la poussière ».déplore Robenson.

Comme un kaléidoscope dont les motifs font et se défont, cette petite fièvre effectivement peut entraîner la mort, conclut Robenson.

De son côté, Emmanuel Sanon qui se présente comme le major du champ-de- mars ne passe pas par quatre chemins :« Les ambulanciers ne se déplacent jamais pour nous. Nous sommes obligés de faire un faisceau pour aller à l’hôpital ou là encore, il faut supplier les médecins pour qu’ils acceptent de nous soigner » témoigne-t-il.

 

De quoi vivent-ils ?

Abandonner sa famille. Prendre la rue. Vivre quotidiennement de la mendicité. Ce sont des chemins redoutables symptomatiques d’un folklore humiliant et navrant qui règne dans la première République noire. La cause fondamentale de cette situation est économique. Là-bas, Les enfants se lèvent à 6h PM et dorment à 6h AM. Ils doivent mener une vie nocturne pour survivre.

« Ils gagnent de l’argent au gré des circonstances. D’abord il y a la mendicité ensuite il y a le commerce des reliquats de poulet (os). Les enfants ramassent les restes de poulet pour les vendre à des personnes qui ont des chiens à nourrir. En période de turbulence politique, certaines personnes viennent prendre les enfants pour les utiliser, les exploiter, les forcer à mettre des pneus enflammés dans les rues, Parfois, il y a des cas de vol car ils ne sont pas tous de bons enfants au champ-de-mars ». Voilà, à quelques agencements grammaticaux près, le tableau peint par Emmanuel Sanon !

Sont-ils irrémédiablement perdus ?

Devant un restaurant de la capitale deux enfants ramassent une crème à la glace qu’un client a laissé tomber. Bernard Stevenson, âgé de 12 ans qui était venu devant ce restaurant pour la première fois en Décembre 2014 après la mort de son père raconte : « On me donne parfois, d’autres fois on m’envoie au diable avec des propos humiliants qui déshumanisent ». Comme si c’était une conséquence logique, à la question qu’est-ce que tu veux être dans la vie ? Bernard répond: « je veux être un homme », ce qui signifie une personne importante de la société.

En Haïti, les exemples de réussites socio-économiques viennent particulièrement de la politique. Les enfants observent et souhaitent accéder au pouvoir pour changer la donne. « Je veux être un député. » « Je veux être un sénateur » « Je veux être un président ». Ces petites phrases ont été reprises en boucle dans une entrevue.

 

Cependant Emmanuel Sanon recadre la situation en avouant que la vie réelle qui les attend quand ils seront adultes est le nettoyage de voitures à moins qu’ils veulent se lancer dans le banditisme. Stevenson en est conscient. Désolé, il argue :  » Pour parvenir à nos souhaits, nous devons aller à l’école. Sans l’école nous ne deviendrons rien dans la vie. »

Si le banditisme et le nettoyage de voitures constituent l’avenir de ces enfants, cet avenir doit effrayer Mackenson qui a perdu une jambe le 12 janvier 2010. Ses sœurs pressées de s’échapper des décombres, l’avaient oublié à l’intérieur de la maison, il n’avait que 4 ans. Quelques années plus tard, il quitta sa maison comme un évadé de prison pour venir au champ-de-mars.

 

Quelles en sont les causes profondes et les causes occasionnelles ?

« En dehors de l’aspect économique qui provoque cette situation, il y a la maltraitance des enfants. Un petit garçon de neuf (9) ans fouetté par son beau-père a passé 19 jours dans la rue ». C’est la première analyse de Gertrude Séjour, coordonnatrice de la Fondation Maurice A. Sixto qui s’occupe des enfants abandonnés en Haïti en partenariat avec Brigade Protection des Mineurs, UNICEF, l’Institut de Bien-Etre Social et de Recherches (IBESR).

Mme Gertrude explique pourquoi la majorité des enfants abandonnés sont des garçons alors que selon une étude de l’institut psychosocial de la famille, 75% des enfants en domesticité sont des fillettes (6 à 12 ans). Selon ses explications les fillettes sont plus utilisables pour les tâches domestiques (lessive, cuisine, balayage etc…)

« La fondation Maurice Alfredo Sixto n’a pas les moyens financiers pour prendre en charge tous les enfants abandonnés » avoue la coordonnatrice. Reçue en sa résidence privée dans un quartier mouvementé à Pétion-ville, elle termine en reprochant le favoritisme du système judiciaire haïtien. Elle soutient que l’enfant au tribunal est doublement victime. Non seulement de la maltraitance mais aussi du mépris des juges qui les traitent de voleurs et de vicieux.

 Des mesures pour éviter le pire

Face au problème de respect des droits de l’enfant qui est bafoué dans notre société, l`État haïtien  afin de contrôler et de faire respecter certains droits élémentaires permettant aux enfants de bénéficier pleinement des prescrits légaux et conventionnels à la protection de l`enfance a mis en place des mesures afin de créer des services, des structures et des moyens de protection de l’enfant. Cependant Haïti souffre d’une carence législative et de structures de protection des droits de l’enfant.

M. Hervé Volcy, directeur adjoint de la défense sociale à l’Institut de Bien-Etre Social et de Recherches (IBESR), un organisme spécialisé dans la sensibilisation, la protection et l’accompagnement de l’enfant, dans l’étiologie de la vulnérabilité des enfants dit avoir identifié des causes comme exode rural, chômage, analphabétisme, surpopulation qui sont liés d’une façon ou d’une autre à la situation des enfants abandonnés. Il profite pour lancer un appel à la synergie des ministères clé tel que le ministère de la justice, de la santé publique, de l’éducation nationale, de la condition féminine et aux droits de la femme , de la planification ainsi qu’à des partenaires de la communauté internationale tel que UNICEF. « L’institut de bien-être social prône la promotion de la prévention par le renforcement du système familial et le traitement de l’inadaptation juvénile, une action curative. Ainsi le jeune délinquant, rééduqué est reclassé dans la société, dans des crèches, des orphelinats et des familles d’accueil, conformément à l’article 20 de la convention relative aux droits de l’enfant qui stipule que tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial a droit à une protection et une aide spéciale de l’état. Ainsi ils éviteront plus tard de se prostituer ».

En essayant de comparer la situation des enfants haïtiens avec celle des pays avancés ou ceux qui ont ratifié la Convention de 1989 sur la protection des droits de l`enfant, on peut alléguer sans risque que le fossé est béant au regard des disparités existant entre elles.  La Convention Internationale des Droits de l`Enfant (CIDE) du 20 Novembre 1989 a finalement été ratifiée par le parlement haïtien le 23 Décembre 1994 mais les garanties constitutionnelles sur le droit à l’éducation et sur la famille octroyée par la Constitution du 29 Mars 1989, amendée en 2012 ne sont pas encore pleinement accordées aux enfants haïtiens. Sans oublier que les lois du 7 Septembre 1961 ainsi que le décret du 20 septembre de la même année portant création d’un tribunal pour enfant dans la juridiction de chaque cour d’appel et réglementant les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale du mineur, sont aujourd’hui considérés comme étant désuets.

On dirait qu’ils embrassent la misère à pleine bouche ? Oui, mais encore. Ce sont des étangs noirs qui nous renvoient l’image du pays. Quand il pleut, ils se réfugient sous les voitures pour dormir mais il n’y a aucune solution pour échapper aux rayons de soleil. Torses nus, sans sandales, il n’y a aucune cachette possible pour échapper à la chaleur de la terre. On préfère l’oubli à l’action, c’est plus facile ! Au-dessus de chaque reportage, on dépose une couche de temps, de silence et d’oubli qui composent le glacis presqu’impénétrable de ces vies fauchées. Aucun d’entre eux ne dit vouloir laisser le pays, parce qu’ils semblent être là où le destin voulait qu’ils soient. Ils ne se nourrissent plus de faux espoirs. Les dirigeants non plus! Certains frissonnent, d’autres s’affolent, tout le monde s’inquiète et la vie continue dans un pays où Charles Aznavour, se serait grandement trompé en croyant que la misère est moins pénible au soleil.

Claudy Junior Pierre

 

 

 

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