Il devient de plus en plus compliqué de travailler et d’habiter les zones comme Carrefour
James Valescot a perdu son travail au mois de juillet 2019. Ce cameraman qui habite à Carrefour depuis onze ans s’est vu présenter une opportunité en février dernier dans une chaine de télévision de la capitale. À la suite de l’analyse de son dossier, son employeur prospectif lui a convié à une entrevue.
« Après environ cinq minutes de discussions, le patron m’a demandé mon adresse et quand j’ai mentionné Carrefour, il m’a interrompu pour me dire que, connaissant la situation qui prévaut dans la zone de Martissant, je ne pourrai pas être à l’heure pour faire mon travail ». Ainsi, James Valescot est renvoyé au chômage.
Le cas de ce jeune, originaire de la Gonâve est loin d’être unique. Depuis que les bandits ont pris le contrôle de Martissant, ceux qui habitent dans les parages, ou qui doivent emprunter cette route pour venir travailler « en ville » sont confrontés au double problème des embouteillages monstrueux et des pluies de balles sporadiques.
Certains perdent leur travail. Quand d’autres sont rayés de la liste de candidats des employeurs précautionneux.
En même temps, plusieurs institutions tentent de trouver une solution alternative. Par exemple, l’Autorité portuaire nationale (APN) et les Distributeurs nationaux S.A. (DINASA) mettent des bateaux à la disposition de leurs employés pour éviter ce tronçon de route.
Des bandits aux commandes
Par le passé, on admettait que l’embouteillage était le seul responsable du manque de ponctualité des citoyens habitant l’entrée sud de la capitale.
Pour se défaire des bouchons qui règnent d’habitude sur le tronçon, à hauteur de Martissant, certains automobilistes empruntaient la route des Dalles et d’autres la rue Manigat qui offrent des raccourcis.
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Cependant, avec la montée de l’insécurité dans la zone, personne n’ose fréquenter la route des Dalles et seuls quelques intrépides osent laisser la Route Nationale Numéro 2 pour bifurquer dans les ruelles de Martissant.
Pis encore, le boulevard Harry Truman qui aidait à désengorger la circulation est, lui aussi, tombé entre les mains des bandits. Résultat : tous ceux qui habitent dans les zones situées au sud de la capitale sont contraints de passer par Bolosse, ce qui alimente encore plus l’embouteillage.
« Chaque minute de retard sera enlevée de ton salaire »
Cette situation étouffe les citoyens de ces localités.
« L’entreprise est ouverte à partir de 7 h du matin et est fermée à 4 h de l’après-midi. Si vous ne pouvez pas être là, mieux vaut abandonner ».
Ces propos sont tenus en février dernier par le patron de Kenan Augustin, employé dans une entreprise de haute couture de la capitale.
Augustin n’a pas abandonné. Mais il reste conscient qu’il risque sa vie quotidiennement en laissant Léogane à 5 h du matin pour être ponctuel à son travail.
« Chaque minute de retard implique une réduction de cinq gourdes sur votre salaire mensuel », a-t-on lancé à Johny Séraphin après la mention de Carrefour sur son formulaire d’embauche en novembre dernier.
L’homme qui travaille dans une entreprise import/export située à Delmas fut contraint de quitter Carrefour pour s’établir à Juvénat.
Des solutions alternatives
Afin de contourner embouteillages et insécurité, certaines institutions viennent en aide à leurs employés. C’est le cas de l’APN qui, en partenariat avec les garde-côtes haïtiens, met gratuitement des bateaux à dispositions des employés.
« Pour monter dans le bateau, il suffit d’avoir une carte pouvant vous identifier comme employé de l’APN », indique Jonas Merlin, un pointeur sur le port international de Port-au-Prince.
Désormais, pour se rendre au travail, Jonas Merlin a rendez-vous tous les matins à 7 h 30 à la base de la marine haïtienne à Bizoton où un bateau de l’APN l’attend. « Pour les retardataires, il y a même un deuxième bateau appartenant à la garde des cotes qui part de la base à partir de 9 h du matin. »
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Cette initiative intervient alors que des employées de l’APN ont été victimes des bandits l’année dernière. Jonas se souvient encore du guet-apens qui a couté la vie à un superviseur de l’institution un samedi du mois d’aout 2019 alors qu’il rentrait chez lui.
Selon Merlin, l’inspecteur tué s’est retrouvé nez à nez avec « des bandits du Village de Dieu » qui opéraient à l’angle du boulevard Harry Truman et la rue des Casernes. « Ils ont ouvert le feu sur la moto du superviseur qui est décédé sur le champ ».
La compagnie de produits pétroliers DINASA opte également pour le transport maritime de ses employés afin de les épargner des carcans de Martissant souligne une employée de la compagnie, requérant l’anonymat.
Nos tentatives pour obtenir une entrevue auprès du département de la communication de DINASA n’ont pas abouti.
Il convient de rappeler que dans les années 2000, le transport maritime était utilisé principalement pour éviter les bouchons au niveau de Martissant. À cette époque, des « Taksi sou dlo » assuraient le transport entre Carrefour et Port-au-Prince.
Jonas Merlin est un nom d’emprunt
Photo couverture: Le port international de Port-au-Prince, principal port d’Haïti / Wikipedia
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