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Où que je sois dans ce monde, ma mémoire est mon plus grand allié. Quand je reste silencieuse face à mes frustrations quotidiennes, ma seule échappatoire demeure la visualisation de cette petite maison délaissée depuis des lustres. Elle est simplette et tout à fait dérisoire, diraient certains mais pour moi, elle vaut plus qu’un penthouse. Je ne me souviens plus de sa couleur mais dans mon enfance, elle était d’un rose criard à la mode provinciale (j’ai toujours détesté cette couleur, j’avoue). Vu l’affinité de ma mère pour le vert qui est la couleur de l’espérance, je pense que cela doit être sa couleur actuelle. Je crois aussi avoir entendu l’évocation de la chaux à un moment donné donc… qui sait!

Bâtie sur quatre centièmes de terre, elle est toute petite mais je me souviens encore comment elle nous a protégé ma famille et moi quand nous y fûmes bloqués par un cyclone. Le vent tempêtait dehors mais elle n’a pas cédé. Pas même une goutte d’eau n’a traversé le seuil. Ma mère rageait de nous y avoir emmenés cet été-là, mais moi aussi petite que j’étais à l’époque, je n’avais nullement peur. C’était après tout la maison de Granny.

Cette maisonnette,  je l’appelle mon petit chalet car elle se trouve dans le Sud-Est et se trouve perchée sur une petite colline. Quand je me réveille le matin, tandis que ma mère prépare le café créole bien corsé comme on aime à l’appeler, je regarde les gens passer devant chez nous pour traverser la rivière La Gosseline. J’entends les oiseaux chanter, je regarde la nature verdoyante et je comprends pourquoi elle m’est aussi précieuse. Même le brouillard annonçant une nuit fraîche ne m’effraie pas.

J’ai appris à connaître par cœur ses recoins mais ce ne fut pas difficile avec ses deux seules pièces et sa petite cuisine. Elle n’était pas très commode avec sa toiture rustique surtout durant la journée quand le soleil caribéen étalait ses ailes sur tout le pays. À ces instants-là, je la délaissais pour aller cueillir des graines de café qui bourgeonnaient dans le jardin ou dégringolais la colline pour aller patauger dans la rivière avec la fille des voisins, ma seule amie lors de mes rares vacances en province.

L’adolescence est vite arrivée et comme toute petite citadine gâtée, j’ai peu à peu délaissé ces petits plaisirs pour convoiter d’autres cieux. Je n’y suis plus retournée aussi souvent mais son souvenir ne m’a jamais quitté. L’une des dernières fois que je m’y suis rendue, c’était pour l’enterrement de ma grand-mère. C’est à ce moment que l’on m’a raconté tellement d’évènements à s’y être déroulés que j’ai eu l’impression que je me trouvais dans un musée familial. Cette maisonnette, c’est aussi l’héritage de feu ma grand-mère. Elle représente le seul bien que cette femme jadis a pu s’offrir comme mère célibataire. Quand je la regarde, cette petite construction, c’est la résilience que j’y vois. C’est un confessionnal qui a hébergé tant de moments forts (notamment ces fausses couches, l’abandon de son concubin, la prise de conscience de son énième grossesse, la naissance de ma mère) dans la vie de cette bonne femme qui est morte durant mon adolescence. Quand je veux me rappeler d’elle, c’est là où je me rends. Une partie de moi me dit que son âme y réside d’une certaine manière.

La règle est simple dans ma famille. Ce petit lopin de terre, on peut y faire ce que l’on veut mais on ne peut pas la vendre. Elle doit servir de refuge dans les moments durs, de retraite pour une escapade hors de la capitale, un lieu sacré qui doit nous réunir de temps en temps. Elle doit être un abri pour quiconque dans la famille se trouvant dans le besoin. J’avoue ne pas avoir vu le bien-fondé de cette requête dans ma prime jeunesse mais maintenant, quand je me l’imagine, je comprends. Je me souviens encore des rires qui fusaient à notre dernière réunion familiale là-bas. On y était à l’étroit mais on était chez nous.

Je comprends parfaitement maintenant et c’est aussi ce que j’enseignerai à mes enfants et à mes neveux et nièces dans le futur.

Même au loin, la nouvelle génération, on a pensé à la moderniser en souvenir de Granny. J’ai même proposé de la détruire entièrement mais ma mère a refusé. Elle n’est pas contre un petit coup de jeune mais «ti kay» doit conserver son cachet d’antan, c’est sa seule condition. Pas matière à discuter, la suggestion a tout son sens pour garder l’homogénéité dans la zone. Plus je grandis, plus je fais un retour à l’essentiel. Ces souvenirs m’accompagnent partout et me rappellent qui je suis et d’où je viens.

Cette maisonnette,  je compte aussi y emmener quelqu’un qui commence à être cher à mon cœur. C’est la première fois que j’ai envie de partager cette partie de ma vie avec quelqu’un. C’est un désir qui me parait naturel plus j’y pense. Mon grand-frère l’a fait avec sa femme et ma mère l’a aussi fait avec mon père. C’est peut-être une tradition qui prend naissance, qui sait ?

Autour du bon chocolat chaud du soir, je lui raconterai les légendes attachées à cette petite maison. Je lui conterai les crics cracs qui ont bercé mon enfance là-bas. J’espère qu’il l’aimera malgré sa simplicité. Ma petite maison, elle vaut plus qu’un million car elle fait partie de mon histoire et bien après moi, elle continuera à servir de pont entre les générations passées et futures.

I am just a girl in love with coffee crossing life with her ups and downs. I prefer to let people have their own idea about who I am. I am also a humanitarian worker and I love to discover new culture and new people. I want my writing to touch people and make an impact in their life.

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