Trois autorités communales de La Gonâve contactées par AyiboPost se disent inquiètes face au manque de ressource sur place pour prendre en charge les familles déplacées
Chantal Jean embarque avec ses deux enfants mineurs – âgés respectivement de quinze et dix ans – ainsi que douze autres passagers sur un voilier dans la soirée du 24 octobre 2024.
Direction ? La Gonâve, une île située au Nord-Ouest de la capitale, où cette commerçante de 43 ans n’a ni famille ni amis.
À dix heures du soir, rongés par le désespoir et l’inquiétude, Chantal Jean et les autres passagers débarquent sur le wharf d’Anse-à-Galets avec seulement quelques valises comme bagages.
Jean habitait à l’Arcahaie, une zone devenue champ de bataille des bandits armés depuis le 10 octobre.
Les nouveaux venus ont été reçus par un membre du Conseil d’administration de la section communale de La Gonâve, Luckson Fils-aimé. Ils ont été orientés vers le local de l’École nationale de la zone, transformé désormais en camp de réfugiés.
Plus de 1500 personnes ont déjà été forcées d’entreprendre ce voyage, selon des données collectées entre le 11 et le 26 octobre et publiées par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Sur place, Jean et ses enfants comptent sur la bonne volonté des ansois pour se nourrir.
Le 27 octobre 2024, Finelie Paris et six autres membres de sa famille, dont des enfants, arrivent à deux heures du matin sur l’île de La Gonâve.
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La pluie battante et le vent violent ont ralenti la progression du bateau qui avait quitté la cité du drapeau depuis 9h samedi soir.
Les deux mains vides, la commerçante de 50 ans rejoint ses proches à Anse-à-Galets. Laissant tout derrière elle, à l’Arcahaie.
D’autres familles continuent d’arriver sur l’île, particulièrement dans les onze sections communales d’Anse-à-Galets, selon Ernso Louissaint, maire de cette commune, joint par AyiboPost, ajoutant qu’un décompte est en cours dans les différentes sections communales.
Ces deux communes partagent des relations commerciales. Tous les jours, des bateaux font des aller-retours entre l’Arcahaie et La Gonâve.
Les risques de rencontrer des bandits lors du trajet vers Port-au-Prince, ainsi que ceux liés au déplacement vers l’Artibonite, également sous le contrôle de groupes armés, ont conduit ces familles en fuite à privilégier l’option de l’île.
Trois autorités communales de La Gonâve contactées par AyiboPost se disent inquiètes face au manque de ressource sur place pour prendre en charge les familles déplacées.
Arcahaie et Cabaret ont été plusieurs fois la cible de gangs en 2023.
Ces deux communes partagent des relations commerciales. Tous les jours, des bateaux font des aller-retours entre l’Arcahaie et La Gonâve.
En août 2024, une dizaine de personnes ont perdu la vie dans des violences perpétrées par les groupes armés.
Depuis le 10 octobre 2024, les attaques des gangs de Canaan ont poussé plus de 21 000 personnes à fuir leurs maisons à l’Arcahaie.
Cette commune est réputée pour la production de bananes et d’autres produits vivriers. Les bandits ont détruit des plantations et brûlé des maisons.
Les autorités échouent à ralentir la progression des gangs, malgré la présence sur le territoire de la force multinationale menée par le Kenya.
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Certaines familles archeloises se sont enfuies dans les hauteurs, pour rejoindre des sections communales comme Fond Baptiste et Vase.
D’autres ont choisi La Gonâve : un périple de 38 kilomètres en mer sur des embarcations fragiles, surchargées et sans équipements appropriés.
Ce trajet coûte environ 2 500 gourdes par personne, selon les témoignages de quatre passagers.
Membre du conseil d’administration de la section communale (CASEC) d’Anse-à-Galets, Luckson Fils-Aimé souligne les efforts de son administration depuis l’arrivée des premières familles sur l’île. Il prend en charge près de 300 personnes déplacées, vivant dans les deux salles de l’École nationale située dans la deuxième section communale.
« Jusqu’à présent, on ne peut que loger les personnes venant de l’Arcahaie. Pour la nourriture, on a procédé à des collectes au sein de la communauté », précise Fils-Aimé.
Mais le spectre d’une rupture de stock concernant certains produits essentiels le préoccupe.
Des bateaux commerciaux ayant l’habitude d’alimenter l’île de la Gonâve en produits alimentaires et en carburant ne voyagent plus depuis une semaine, selon le responsable.
Arcahaie et Cabaret ont été plusieurs fois la cible de gangs en 2023.
« Cette situation peut causer des complications pour la population ansoise et les réfugiés », redoute-t-il.
Une pénurie d’eau rôde. Une seule source dessert quatre quartiers de cette section communale.
« Certaines personnes sont obligées de parcourir des kilomètres pour s’approvisionner en eau potable » informe Fils-aimé, craignant pour les enfants déplacés qui n’arrivent pas encore à aller à l’école.
Plus d’une semaine après l’attaque violente des bandits armés à l’Arcahaie, aucune autorité de l’Etat central n’apporte son aide aux autorités sur place à La Gonâve pour soutenir les réfugiés, d’après deux responsables de cette commune joints par AyiboPost.
La localité faisait déjà face à des défis structurels. Les dirigeants de la collectivité revendiquaient de meilleurs traitements de l’Etat central, bien avant l’arrivée à Anse-à-Galets de ces personnes déplacées.
« On n’a pas reçu notre salaire de l’État central depuis trois mois. De plus, une dette accumulée de 36 mois reste encore non payée », signale le CASEC.
Les voyages des familles déplacées vers cette île de 743 kilomètres carrés du département de l’Ouest demeurent risqués et fragiles en raison de l’insécurité qui règne sur la Côte des Arcadins.
Certaines personnes sont obligées de parcourir des kilomètres pour s’approvisionner en eau potable
Le service maritime et de navigation (Semanah) peine à contrôler les navires à leur départ du wharf de l’Arcahaie, en raison de l’insécurité qui règne dans la zone.
« Il reste à la bienveillance et la conscience des capitaines pour ne pas surcharger les bateaux », déclare à AyiboPost Erold Champagne, coordonnateur des représentations territoriales au sein de l’institution.
« Les représentants du Semanah supervisent seulement l’arrivée des navires à Anse-à-Galets », informe Champagne à AyiboPost.
Dans ce contexte où les gens veulent fuir à tout prix la violence des gangs, Erold Champagne dit ne pas être en mesure de sanctionner les amateurs qui font des voyages surchargés.
Les risques de noyade en cas de naufrage sont énormes, craint Luckson Fils-aimé.
« Certains voiliers peuvent transporter normalement jusqu’à dix-huit personnes, pourtant ils font des embarcations de 40 personnes », déplore le CASEC à AyiboPost.
La nuit du dimanche 27 octobre, le Semanah a secouru les passagers d’un bateau surchargé après que celui-ci ait heurté un rocher en quittant le wharf.
Voulant éviter de croiser le chemin des gangs venant du sud, qui attaquent même en pleine mer, le capitaine a dévié vers le nord, en mer peu profonde.
Cependant, en raison du surchargement du bateau, celui-ci est devenu plus vulnérable et a percuté les rochers qui s’étendent sous l’eau.
L’intervention du Semanah a permis aux occupants de sortir sain et sauf, confirme Champagne.
D’autres soucis inquiètent les responsables maritimes.
Les embarquements se font très tard le soir, ce qui pourrait entraver les secours en cas de danger.
« Certains voiliers peuvent transporter normalement jusqu’à dix-huit personnes, pourtant ils font des embarcations de 40 personnes »
-déplore le CASEC à AyiboPost.
L’agronome Claunel, dont les bandits ont incendié la maison, a dû se réfugier depuis le 17 octobre avec sa famille, à Tibwa, une localité d’Arcahaie située en hauteur.
L’homme craint ce qui pourrait arriver à son poulailler et ses jardins, des investissements qu’il évalue à près de 500 000 gourdes.
Certains de ses voisins se sont rendus à La Gonâve, mais lui a préféré rester dans l’espoir que la situation s’améliore.
« Pour l’instant, la présence de la Police semble dissuader les gangs dans certains endroits, mais les gens continuent à fuir » déclare Claunel à AyiboPost.
Par Rolph Louis Jeune & Wethzer Piercin
Image de couverture | Depuis le 29 février, les gardes-côtes du nord d’Haïti ont observé une augmentation du nombre de tentatives et de départs par bateau de migrants. © AFP
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