CULTURE

La Direction nationale du livre manque de budget pour accomplir sa mission

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L’institution a 60 millions de gourdes à sa disposition pour ses interventions. On n’a pas toujours les moyens pour aboutir à nos fins par rapport à ce qu’on a comme projets et objectifs, fait savoir dans cette entrevue Emmanuel Jacquet, directeur de l’institution

La Direction nationale du livre (DNL) met en œuvre la politique du pays en matière de livre. Cet organisme d’État œuvre afin de faciliter aux citoyens l’accès aux ouvrages et les intéresser à la lecture.

La DNL qui fonctionne sous l’égide du ministère de la Culture et de la Communication fait face à des difficultés de budget. Des gagnants d’un concours organisé par l’institution avaient eu toutes les peines pour recevoir leurs récompenses en 2017. Ce n’est que durant le début de cette année que l’actuel directeur de l’institution honore ces engagements, laissé par l’ancienne administration.  Aussi, la plupart des bibliothèques et centres de lectures gérés par la DNL fonctionnent difficilement.

Malgré les efforts déployés depuis sa création, la DNL n’arrive pas à être présente dans tous les départements du pays. À date, cinq départements n’ont pas encore de bibliothèque gérée par la DNL.

Pour discuter du rôle de l’institution et ses interventions dans le secteur du livre en Haïti, AyiboPost a rencontré le directeur de la DNL, l’écrivain et journaliste Jean Emmanuel Jacquet. Il dirige l’institution depuis avril 2020.



AyiboPost : Quel est le rôle de la DNL dans la chaîne du livre en Haïti?

Jean Emmanuel Jacquet : La DNL est un organisme autonome créé par le décret du 28 octobre 2005. À travers ce décret, l’État a voulu mener la politique du livre d’une autre façon en Haïti. Parce qu’auparavant, la DNL était une entité ayant son local au ministère de la Culture. En ce sens, elle n’avait pas une autonomie d’action.

La mission confiée à l’institution aujourd’hui est la mise en œuvre de la politique nationale en matière de livre à travers un réseau national de bibliothèques municipales et des Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC). La DNL assure la coordination de ces espaces pour aider les gens à s’intéresser au livre, à la lecture et au débat.

Comme stipulé dans l’article 2 du décret du 28 octobre, la politique du livre doit être considérée dans sa multiple dimension spirituelle, éducative, culturelle et économique.

La DNL a-t-elle un œil sur le fonctionnement des bibliothèques privées en Haïti?

Non. Notre intervention se fait au niveau des CLAC et des bibliothèques municipales. Fort souvent, des bibliothèques privées sollicitent l’appui de la DNL en termes de formation pour leur personnel ou pour renforcer en don d’ouvrages leurs institutions.

Quelle est la politique de la DNL par rapport aux auteurs des ouvrages en Haïti?

La DNL encourage les auteurs. On achète leurs ouvrages et on les amène auprès du public dans les zones reculées du pays. Ainsi, on planifie des conférences, organise des séances de débats avec ces auteurs à travers les écoles placées surtout en milieu rural.

Toutefois, la DNL n’intervient pas dans les problèmes du droit d’auteur en Haïti. Ce rôle revient au Bureau haïtien des droits d’auteurs (BHDA).

Concrètement, que gère la DNL?

Actuellement, la DNL gère huit bibliothèques municipales à travers le pays et seize Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC). Mais, tous les départements ne sont pas encore concernés. Les bibliothèques municipales n’existent que dans certaines localités du pays, dont la vallée de l’Artibonite, l’Anse à Veau ou à Cayes et Jacmel.

Ce cas de figure est pareil pour les CLAC qui ne fonctionnent que dans les départements du Nord-Ouest, Grand-Anse, Nippes, Sud’Est et Centre.

Les CLAC sont des espaces d’accueil visant à aider les jeunes à s’intéresser à la lecture, l’écriture et le débat. Contrairement aux bibliothèques, les CLAC se forment d’une bibliothèque et d’une salle d’animation et de divertissement culturel. Cet espace peut aussi accueillir des spectacles culturels.

Fort souvent les institutions gérées par l’État dans les zones reculées du pays fonctionnent dans un piteux état. Qu’en est-il des entités gérées par la DNL?

Les CLAC et les bibliothèques municipales ne sont pas tous en bon état et ces centres font face à d’autres difficultés comme le manque de matériels de travail. Il y a aussi une absence presque totale de plan d’animation et d’efforts de la part des animateurs de ces centres pour favoriser l’appropriation de ces espaces par les populations bénéficiaires.

L’année dernière on a reçu un financement de 50 000 dollars américains de la part de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Ce financement nous a permis de réaliser un projet visant à électrifier et réaliser des travaux d’aménagement dans ces espaces.

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Les CLAC n’étaient pas à l’abri de la carence d’énergie que faisait face le pays. Le financement de l’OIF nous a permis de transiter vers l’énergie solaire.

Du point de vue de la gestion, chaque centre à trois employés : un animateur personnel, un animateur permanent, une ménagère ou un gardien.

Généralement ces entités sont gérées de concert avec les municipalités. Dans cette collaboration, les municipalités offrent soit une ménagère soit un gardien. La DNL assure le paiement de ces employés et met des matériels de travail à la disposition de ces entités. Au total, la DNL compte 103 employés à travers tout le pays.

Pourquoi ces espaces ne couvrent-ils pas tous les départements du pays?

La DNL a un sérieux problème de budget. L’institution a 60 millions de gourdes à sa disposition pour ses interventions. On n’a pas toujours les moyens pour aboutir à nos fins par rapport à ce qu’on a comme projets et objectifs.

Nombre sont les bibliothèques municipales à travers le pays qui souhaitent que la DNL assure la gestion de leurs espaces culturels. La DNL décline leur offre parce que l’institution n’a pas les moyens financiers pour voler au secours de ces espaces. Lorsque la DNL assure la gestion d’un espace, elle investit dans les équipements pour son fonctionnement et gère le paiement des employés. Ces genres d’interventions demandent beaucoup de moyens et malheureusement, certaines bibliothèques municipales et CLAC sont fermés parce qu’on ne peut pas intervenir.

Actuellement, les mairies de Gantier et celle de Jérémie souhaitent que la DNL assure la commande de leurs espaces culturels. On tarde encore à intervenir, faute de moyens. La direction n’a que deux véhicules pour ses déplacements, les pannes de ces engins constituent parfois de véritables casse-tête pour l’institution à cause du prix exorbitant pour les réparations.

Pourquoi la DNL n’avait-elle pas lancé de concours de texte pendant à peu près trois années?

En tant qu’organe du Livre, la DNL avait l’habitude d’organiser des concours de texte pour inciter les jeunes à la production et les récompenser, par la suite, pour leur talent d’écriture. On organise annuellement un concours de roman et de poésie respectivement baptisé concours Jacques Stephen Alexis et concours René Philoctète. Malheureusement, depuis tantôt trois ans, la DNL n’avait pas la capacité financière pour organiser des concours.

Après mon investiture en date du 28 avril 2020 comme nouveau directeur à la tête de cette prestigieuse institution du secteur culturel en Haïti, j’ai trouvé une DNL complètement endettée. Les gagnants de la dernière édition de concours réalisé en 2017 n’avaient pas encore reçu leurs primes. Le lauréat du concours de poésie devrait recevoir 100 000 gourdes, celui du roman, 200 000 gourdes avec une promesse de publication de leurs textes.

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Ce n’est que durant l’année 2021 que la DNL a délivré une partie des récompenses, mais l’ouvrage des gagnants n’est pas encore imprimé et publié. La DNL a aussi une dette envers les membres organisateurs de la Foire internationale du livre d’Haïti (FILHA). Sa troisième édition remonte en 2017 et à date, personne n’a encore reçu un sou de leur salaire.

J’ai contacté mon ministère de tutelle, mais il se trouve que la FILAH de 2017 a été entièrement financée par le trésor public et que le ministère n’avait pas donné son aval pour l’organisation de l’activité. À cet effet, le ministère de la Culture considère que la DNL n’a pas de dette envers le staff organisateur de l’activité, mais le trésor public.

Quel est votre objectif pour la DNL en tant que directeur?

J’ai deux grands axes d’interventions autour desquels je dois travailler pour l’institution : le livre et le savoir comme vecteurs de développement local durable ; le renforcement des Centres de lecture et d’animation culturelle, CLAC, à l’échelle nationale.

Déjà, la grande majorité des centres qui était dysfonctionnelle fonctionne aujourd’hui. Quatorze CLAC et six bibliothèques municipales sont en fonction et proposent des animations appropriées à la communauté dans le but de favoriser leur développement. Malgré ces interventions, trois CLACS du département du Sud n’arrivent pas à se réparer après avoir été fortement endommagés par l’ouragan Matthew.

Cette année, on a comme projet de réaliser des bourses de résidences d’écritures pour les écrivains. On a trouvé la résidence, mais on ne peut la louer, faute de moyens financiers.

Toutefois, je souhaite avoir un appui budgétaire puisque je souhaite relancer les concours d’écriture à partir du mois d’octobre.

Entre-temps on est en train de travailler afin de nouer des coopérations avec d’autres directions du livre ou direction de la lecture publique dans d’autres pays. Ces relations se font à travers l’OIF dans l’idée de dynamiser https://essayswriting.org les CLAC.

Le titre et les premiers paragraphes de cette entrevue ont été modifiés. 12.47 24.06.2021

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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