L’importation crée un «manque à gagner pour le pays et oblige des dépenses en devises étrangères pour acheter les matières premières», analyse à AyiboPost l’agronome Talot Bertrand
Paulistin Geffrard, 59 ans, se présente comme planteur et grand fumeur de tabac à Camp Perrin. Il dit ne pas pouvoir se séparer de sa pipe depuis plus de vingt ans.
La culture du tabac demeure une tradition familiale pour Geffrard. Son père décédé en 2011 en était un grand cultivateur dans la localité du Bas-Camp où il possédait plusieurs séchoirs. À l’époque, l’homme avait un partenariat avec une compagnie internationale qui achetait le tabac en gros dans le Sud.
Aujourd’hui, Paulistin Geffrard exprime son inquiétude pour la survie de la culture du tabac en Haïti. Il s’inquiète du flux d’importation et d’autres problèmes qui frappent les plantations comme la sécheresse, l’épidémie d’insectes et la faible production du sol.
Le tabac demeure un produit extrêmement dangereux pour la santé. Son usage engendre notamment le cancer, des maladies cardiaques, des problèmes dans le poumon ou le diabète. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), plus de huit millions de personnes meurent prématurément chaque année dans le monde à cause du tabagisme.
Paulistin Geffrard […] s’inquiète du flux d’importation et d’autres problèmes qui frappent les plantations comme la sécheresse, l’épidémie d’insectes et la faible production du sol.
«La production locale ne suffit pas face à la demande croissante en tabac brut», analyse l’agronome Talot Bertrand, coordonnateur général de l’association Promotion pour le développement (PROMODEV).
La culture est principalement l’œuvre de petits exploitants qui ne font pas la production avec le soin requis, analyse Talot Bertrand. L’importation crée un «manque à gagner pour le pays et oblige des dépenses en devises étrangères pour acheter les matières premières», poursuit le coordonnateur général.
Contactée par AyiboPost à son adresse électronique info@commeilfaut.com, la compagnie des Tabac Comme Il Faut S.A. n’a pas répondu aux questions d’AyiboPost avant publication. Cet article sera mis à jour si l’entreprise répond.
Dans une entrevue avec AyiboPost publiée en avril 2022, le doyen de la faculté d’agronomie de l’Université Quisqueya, Gaël Pressoir, avait critiqué la non-utilisation du tabac local par les compagnies de fabrication de cigarettes en Haïti. «Ce n’est pas normal», avait-il déclaré. «Si l’on prend du poison, il doit être local».
L’insécurité généralisée dans le pays provoque la coupure des axes routiers, ce qui affecte grandement le commerce de tabac.
Gertha Pierre, une dame de 65 ans, vend la feuille de tabac depuis sa jeunesse. Elle ne peut plus continuer à s’approvisionner dans les provinces notamment à Jacmel où elle est originaire.
Pour éviter d’exposer sa vie sur la route de Martissant, contrôlée par des groupes armés, elle se rend au bas de la ville pour renouveler son stock dans des dépôts.
Assise devant son étalage de tabac, dans les périmètres du marché Salomon, à proximité de la place Carl Brouard, Gertha Pierre guette les clients. «Je me suis mariée dans ce commerce, maintenant j’ai quatre enfants dont l’éducation a été faite avec le profit de cette activité», dit-elle à AyiboPost.
À un jet de pierre de Gertha, on retrouve l’étalage de Darline Pierre qui vend à la fois la poudre et la feuille du tabac.
La cargaison de Pierre provient du Sud-Est, dans la localité de La Voûte à Jacmel. «Cette activité n’est pas trop rentable, mais elle me permet de subvenir à certains besoins», confie-t-elle.
Maxo Jean écoule son tabac dans la capitale, mais s’approvisionne à Cavaillon et à Saint-Louis dans le département du Sud. Il déclare avoir été motard de taxi avant sa décision de se focaliser sur le commerce du tabac en poudre depuis 2016.
En plus de vendre le tabac, Maxo utilise sa poudre très souvent dans des rituels de guérison pour des maladies «surnaturelles ». D’après lui, le tabac en poudre a une forte potentielle mystique.
La consommation de la feuille de tabac sous différentes formes est la routine de bon nombre d’Haïtiens.
Il s’agit d’une «substance nocive qui affecte presque toutes les parties du corps humain», indique à AyiboPost le pneumologue Jean Ardouin Louis-Charles.
Le tabac tue jusqu’à la moitié de ceux qui en consomment continuellement, d’après l’OMS. La substance engendre parfois la dépendance.
Mélissa Guerrier, 31 ans, originaire de Baradères des Nippes, rapporte avoir pris du tabac en poudre par les narines pour la première fois afin de se guérir d’une sinusite.
Au fil du temps, Guerrier dit ne plus pouvoir se séparer de cette substance qui lui procure «plaisir, énergie et vivacité».
Une situation similaire à celle de Sherlyna Normé, 39 ans, qui a commencé à consommer le tabac en poudre dans le nez avec ses amies en 2010.
Depuis lors, Normé estime avoir été prise au piège de l’addiction, ce qui a expliqué sa consommation quotidienne du tabac en poudre.
Normé quittera le tabac grâce à sa migration au Chili en 2020. Il lui a été difficile de trouver du tabac de bonne qualité dans ce pays.
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Selon l’OMS, plus de 80 % des fumeurs du monde vivent dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires. D’après l’organisation, 1,3 million des morts de tabagisme sont des non-fumeurs, involontairement exposés à la fumée du tabac.
C’est en ce sens que bon nombre de pays protègent leur population contre le tabagisme en appliquant des normes antitabac.
«L’État haïtien n’a pas encore élaboré de lois pour protéger les non-fumeurs contre la nocivité du tabac », indique à AyiboPost le docteur Jean Ardouin Louis-Charles, secrétaire général de l’Association des médecins haïtiens (AMH).
Plus de 80 % des fumeurs du monde vivent dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires. 1,3 million des morts de tabagisme sont des non-fumeurs, involontairement exposés à la fumée du tabac.
Docteur Louis-Charles déclare avoir reçu de nombreux cas où les maladies des patients sont provoquées par la consommation du tabac dans sa clinique privée ainsi qu’à l’hôpital Sanatorium le seul centre médical public du pays qui soigne les maladies pulmonaires et de la voie respiratoire.
«Pour des cas d’addiction provoqués par la nicotine, on est parfois obligés de référer les patients à un psychologue ou un psychiatre», dit le docteur.
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Pour épargner beaucoup plus de personnes de l’épidémie de tabagisme, l’État haïtien à travers les ministères de la Santé publique et de la population et de la Jeunesse et des Sports devrait mettre en place des programmes de sensibilisation contre la consommation du tabac, conseille le pneumologue.
«Il doit y avoir une instance chargée de contrôler en permanence la consommation du tabac dans le pays», recommande le Dr Louis-Charles. «Par exemple, dit-il, l’État peut interdire de fumer dans les espaces publics pour éviter que beaucoup plus de gens soient affectés par les effets nocifs et nuisibles du tabac».
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Tchika Joachim a participé à ce reportage.
Image de couverture : Feuilles de tabac. | © David Lorens Mentor/AyiboPost
Visionnez notre reportage spécial, publié en février 2022, sur la production du clairin Sen Michel :
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