Nirva Jolicoeur est une entrepreneure qui produit du riz local, dans l’Artibonite. Son entreprise, Kizi SA, n’emploie que des femmes
Nirva Jolicoeur est une jeune entrepreneure qui a décidé de se lancer dans la production de riz local. Elle vient de l’Artibonite, le berceau de la riziculture du pays. « C’est une histoire de famille, dit-elle. Mon père, mes tantes, mes cousines, sont tous dans la production de riz. C’était naturellement que je me suis moi aussi tournée vers cette aventure. »
Kizi SA, l’entreprise de Nirva Jolicoeur, produit et met en sac diverses variétés de riz local. Depuis 2015, l’entrepreneure s’évertue à tenir, dans un marché difficile.
Une chaine de femmes
Nirva Jolicoeur emploie environ 70 femmes. Elles sont saisonnières. Tous les 4 mois, Kizi SA fait appel à elles. « J’essaie de concilier deux choses, explique Nirva Jolicoeur. L’agriculture locale et l’autonomisation des femmes. Je veux leur apporter mon support, créer une activité qui peut leur permettre d’évoluer. Cela me donne une satisfaction morale, quand je pense que grâce à Kizi SA, elles se font un peu d’argent. »
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Pendant un mois ou deux, tout dépend de la récolte, ces femmes participent aux opérations de l’entreprise. Les étapes sont simples, mais cruciales. « D’abord, il faut s’assurer d’avoir les engrais nécessaires, affirme la jeune chef d’entreprise. On peut l’acheter ou le préparer soi-même. Puis on sème le riz. Une fois que les tiges se sont développées, on arrache les mauvaises herbes afin d’appliquer l’engrais. Cela permet d’augmenter la production. »
« Quand le riz est mûr, poursuit-elle, il est récolté, battu, séché et envoyé au moulin. Toutes ces étapes durent environ quatre mois. On récolte deux fois pendant l’année ; il faut donner du temps à la terre pour qu’elle se repose. »
Une activité rentable
La journée de travail s’étend sur six heures et elle coûte 350 gourdes par femme. Le repas leur est fourni deux fois par jour. Mais en plus des 350 gourdes journalières, les employées de Kizi SA peuvent se faire plus d’argent. « Une fois le riz battu, elles le vannent pour enlever les impuretés, le mettent à sécher, et le lavent à l’eau chaude. Puis elles le nettoient. Mais ces contrats sont séparés. Pour le nettoyage, le prix de la main-d’œuvre est d’environ 300 gourdes. Pour vanner le riz, 500 gourdes. »
D’une manière générale, c’est un secteur très rentable, car le cours élevé du riz permet d’absorber le coût de la main-d’œuvre. « En ce moment, explique Nirva Jolicoeur, la marmite de riz chela se vend à environ 625 gourdes. Quelqu’un qui se lancerait dans la production maintenant aurait une activité rentable, même en comptant l’engrais qui se vend à 2500 gourdes. »
Assauts des politiques d’ajustement structurel
Avant les années 80, Haïti produisait assez de nourriture pour sa population. Le pays était autosuffisant notamment dans sa production de riz. Cette céréale n’était pas un plat principal et le pays comptait moins d’habitants qu’aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, l’importation de nourriture n’était pas la première activité économique du pays.
« Nous avons des clients qui comprennent que le riz importé est nocif pour leur santé à long terme, explique-t-elle. Ils vont toujours préférer le riz local. »
Cette situation a commencé à changer à partir de 1995. Le Fonds monétaire international, pour aider le pays à libéraliser son économie, a proposé des politiques d’ajustement structurel. Ces politiques étaient de plusieurs ordres. L’une d’elles était la réduction des taxes douanières sur des produits comme le riz. Les tarifs douaniers pour les importateurs de riz seront réduits jusqu’à 3 %. Depuis, le riz importé a envahi le marché ; la production locale ne peut pas suivre la course.
Aujourd’hui, le pays importe pour plus de 200 millions de dollars de riz annuellement, ce qui en fait l’un des produits les plus importés. Il représentait en 2017 7,6 % de toutes les importations nationales. À ce rythme, les petits producteurs de riz locaux ont du mal.
Le défi de produire local
Selon Nirva Jolicoeur, investir dans la production nationale est un choix compliqué à faire, surtout s’il s’agit de la filière riz. « Ce n’est pas facile, explique l’entrepreneure. Cela arrive souvent que les prévisions qu’on fait ne se réalisent pas. Les raisons sont multiples. Il y a les rongeurs et les oiseaux qui peuvent être un fléau. Ils mangent les récoltes. L’irrigation aussi est un problème récurrent, surtout en période de sécheresse, ou quand l’eau de Péligre n’est pas relâchée. »
« De plus, se plaint la jeune femme, l’État n’accompagne pas les producteurs, cela n’est pas sa priorité. En 2017, Kizi SA est allé représenter le pays à Barbade, à la Carifesta. Toutes nos demandes de support n’ont rien donné. Finalement, nous avons perdu plus de 9 000 dollars américains, à cause de cela. »
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En outre, la jeune entreprise n’a pas encore les moyens de s’acheter des machines sophistiquées capables de nettoyer le riz de manière standard. D’après Nirva Jolicoeur, c’est un grand handicap. « Nous partons souvent dans des foires à l’étranger pour essayer de vendre, mais ce manque de moyens techniques nous pénalise. Notre riz est nettoyé à la main, il peut donc y avoir de petites impuretés. Les consommateurs étrangers ont peur de cela. »
Qu’à cela ne tienne, la PDG de Kizi SA compte bien doter son entreprise de l’une de ces machines. « Le rêve, avoue-t-elle, c’est d’acquérir une machine qui nous permettra de produire du riz instantané, en sachet. Comme il sera précuit, le consommateur gagnera du temps sur la cuisson. Il n’y a qu’une seule machine de ce genre dans le pays, mais elle n’est pas utilisée pour cela. »
Les conséquences du lock
Les récents événements politiques n’ont pas été sans conséquence sur les activités de Kizi SA. La ville des Gonaïves a été l’un des bastions les plus farouches de l’opposition politique au président Jovenel Moïse. Routes bloquées, tirs à longueur de journée, ont eu un impact considérable. « Les terres où nous cultivons notre riz sont à Kafoupèy, à l’entrée des Gonaïves, se plaint Nirva Jolicoeur. C’est là que la situation a été la pire. »
« Depuis près de six mois, nous ne pouvons presque pas produire, se lamente l’entrepreneure. J’ai des stocks que je ne pouvais pas aller récupérer à cause de l’instabilité dans la zone. Nous tentons tant bien que mal de survivre à tout cela. »
Quant aux fréquentes décisions des autorités du pays d’importer du riz pour calmer les tensions sociales, Nirva Jolicoeur croit que cela n’a en réalité qu’un faible impact sur la production locale. « Nous avons des clients qui comprennent que le riz importé est nocif pour leur santé à long terme, explique-t-elle. Ils vont toujours préférer le riz local. »
Photo couverture: Une femme cultive du riz / Artibonite. Crédit: Anna Fawcus
Une première version de cet article affirmait que l’engrais se vend à 500 dollars américains. Il s’agit d’une imprécision. L’engrais se vend de préférence à 2 500 gourdes. 11/12/2019
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