La mairie de Kenscoff estime provisoirement le bilan à une cinquantaine de morts et à l’incendie d’une soixantaine de maisons
Une route de montagne, sinueuse et non pavée, menant vers le sud-est du pays, reste la seule issue terrestre pour sortir de Port-au-Prince en relative sécurité. Les axes nord et sud sont entièrement sous le contrôle des gangs armés.
Cette tranquillité, seulement troublée par les chevaux, les motos et les 4×4 de plus en plus nombreux, pourrait bientôt disparaître.
Cette semaine, des bandits du gang de « Krisla » opérant à « Ti Bwa » ont tenté de prendre le contrôle de la route de Kenscoff, révèle à AyiboPost un responsable municipal.
La mairie de Kenscoff estime provisoirement le bilan à une cinquantaine de morts et à l’incendie d’une soixantaine de maisons.
Ces criminels – qui occupent la commune de Carrefour – poursuivent leurs assauts contre les sections communales de Bongars et Sourçailles à Kenscoff depuis trois jours, avec deux objectifs.
La mairie de Kenscoff estime provisoirement le bilan à une cinquantaine de morts et à l’incendie d’une soixantaine de maisons.
« D’abord, prendre le contrôle du commissariat de Kenscoff, puis s’emparer de la route menant vers le Sud-Est, principalement Jacmel », explique à AyiboPost Emmanuel Pierre, administrateur de la mairie de Kenscoff.
Les bandits tardent à révéler leur plan. Mais l’administrateur n’écarte pas l’idée de l’installation éventuelle de postes de péage sur la route, comme c’est le cas pour le nord et le sud de Port-au-Prince.
Dans la nuit du 26 janvier, les bandits provenant de Carrefour sont passés par la Rivière Froide pour arriver à Berlie, Barouette, jusqu’à la zone « Kafou Bèt » à Kenscoff.
Ces zones fournissent un accès au bas de Séguin, où se trouve une partie du tronçon de route reliant le département de l’Ouest à la péninsule Sud.
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Les bandits se sont butés à des policiers dans la localité de Godet.
Des affrontements ont eu lieu jusqu’au 29 janvier, dans les zones de « Ka Fonvyen » et « Nan Peno », débouchant sur Séguin.
Huit jours avant l’attaque, une note vocale circulait sur les réseaux sociaux, affirmant que Dimitri Hérard, ancien responsable de la sécurité du palais national, emprisonné dans le cadre de l’assassinat de Jovenel Moïse, dirigeait une troupe pour attaquer Kenscoff.
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La rumeur a poussé les autorités municipales à publier un communiqué annonçant la suspension de toute activité culturelle dans la zone et l’instauration d’un couvre-feu.
Il était 5 heures de l’après-midi, le lundi 27 janvier, quand Christophe Sauveur a appris que des bandits venaient d’assassiner onze membres de sa famille à Kenscoff.
Cette journée sanglante a également coûté la vie à son père, âgé de 70 ans, abattu sans pitié.
« Les bandits ont ligoté mon père, puis lui ont tiré une balle dans la tête », explique Sauveur, professeur d’initiation à l’économie au lycée national de Kenscoff.
Les autres membres de la famille, piégés dans le village « Ti Plas » dans la localité de Bongars, sont soit morts d’une balle en pleine tête, soit éventrés lors de l’attaque.
Paniquée, la population a tenté de s’échapper en se cachant dans la forêt, tandis que les criminels les poursuivaient pour les abattre.
Il était 5 heures de l’après-midi, le lundi 27 janvier, quand Christophe Sauveur a appris que des bandits venaient d’assassiner onze membres de sa famille à Kenscoff.
« J’ai un cousin abattu alors qu’il essayait de s’enfuir avec sa fille. Cette dernière a eu le temps de s’échapper à travers un ravin », relate Sauveur.
« Ce drame a dévasté la famille. Jusqu’à présent, nous ne pouvons pas supporter cette douleur », poursuit le père de famille de trois enfants, d’une voix éteinte.
Sauveur et sa famille ne peuvent pas se rendre sur les lieux des fusillades pour récupérer les dépouilles à cause de la présence des bandits.
Depuis les attaques, les personnes déplacées se réfugient dans deux principaux sites : l’un au sein de la mairie de Kenscoff, où environ 300 personnes, y compris des mères allaitantes et des enfants en bas âge, sont hébergées ; et l’autre à l’École nationale de Furcy.
D’autres déplacés sont reçus dans des familles d’accueil.
Cette mère de cinq enfants passe ses nuits sur la place Saint-Pierre de Pétion-Ville depuis le début de l’attaque.
Avant, elle habitait à « Tèt Mòn », mais elle a dû fuir la veille de l’attaque.
« Depuis dimanche soir, je pars me cacher dans la forêt avec mes enfants », relate cette dame, qui dit avoir été témoin de l’exécution de deux personnes ce jour-là.
Les bandits ont incendié sa maison à « Tèt Mòn » ; depuis, elle habite les rues. « Je ne sais pas encore où aller, donc je dors sur la place Saint-Pierre », relate-t-elle.
De plus en plus de personnes prennent refuge sur cette place publique.
« Depuis dimanche jusqu’à mercredi, la direction des affaires sociales a recensé 1 500 déplacés sur la place Saint-Pierre », informe à AyiboPost Danley Hilaire, assistant chef de service des affaires sociales de la mairie de Pétion-Ville.
Les responsables municipaux font aussi état de moyens limités pour la prise en charge des personnes déplacées.
André Gustave Louis déclare avoir quitté sa maison dans l’après-midi du 27 janvier, dans la localité de « Kikwa ».
Sur place, sa sœur, cachée sous un lit, le soir même, l’informe que des bandits sont venus frapper à la porte, sans parvenir à y entrer, explique l’ancien député de la 49ᵉ législature.
À une distance de 24 km de la capitale, Port-au-Prince, cette commune aux végétations luxuriantes offre aux visiteurs de différentes régions du département de l’Ouest, assoiffés de randonnées nature, de pique-niques ou de séjours en montagne, un environnement attrayant.
Depuis l’attaque violente, les petites boutiques ouvrent timidement, tandis que les grandes entreprises restent fermées dans la localité, selon le responsable municipal, Emmanuel Pierre.
Le Lycée national de Kenscoff a fermé ses portes.
Cette institution, fondée il y a huit ans et accueillant 600 élèves, compte la majorité de son effectif parmi les zones touchées par l’attaque.
« Nous avons cessé de fonctionner depuis lundi, alors que nous devrions examiner les élèves lundi prochain. Mais nous ne savons pas quand cela sera possible », relate à AyiboPost Rony Elphilus, directeur du lycée.
Plusieurs institutions très prisées de la zone telles que le complexe écologique, le Ranch Le Montcel, la réserve écologique Wynne Farm ou la cabane au style campagnard et rustique, Chalet du Refuge, sont pratiquement hors service.
Joint au téléphone, une réceptionniste rappelle que le Ranch Le Montcel est fermé « depuis 2023 pour cause d’insécurité ».
Nous avons cessé de fonctionner depuis lundi, alors que nous devrions examiner les élèves lundi prochain. Mais nous ne savons pas quand cela sera possible
Quant à la réserve Wynne Farm, abritant plus de 600 espèces animales et végétales endémiques, elle a repris ses activités il y a quelques mois après avoir fermé ses portes en mars 2023 pour cause d’insécurité.
« Les gens retrouvaient peu à peu confiance, et des visiteurs venaient pique-niquer à Wynne Farm », indique un travailleur de la ferme écologique.
Depuis les attaques à Kenscoff, toutes les activités de la ferme ont été suspendues. Aucune communication officielle n’a encore été émise par les responsables.
Le Chalet du Refuge, de son côté, reste ouvert provisoirement, a affirmé avec anxiété son responsable, Jean-Claude Coles.
Plusieurs unités spécialisées de la police nationale telles que le BOID, le SWAT, l’UTAG et le BLTS interviennent à Kenscoff. La commune située à 1 500 mètres d’altitude et bénéficiant d’un climat frais, reste la principale source de denrées maraîchères du pays.
Toutefois, les policiers ne peuvent pas intervenir dans les sections communales de Bongars et une partie de Kafou Bèt, à cause de l’inaccessibilité des routes.
Les membres de la population s’organisent en groupes d’autodéfense, comme ce conducteur de moto-taxi.
La commune située à 1 500 mètres d’altitude et bénéficiant d’un climat frais, reste la principale source de denrées maraîchères du pays.
Depuis le jour de l’attaque, sa femme, ses deux enfants et sa petite sœur se sont réfugiés à Pétion-Ville pour échapper à la fureur des gangs.
Affirmant assister pour la première fois à une telle situation d’atrocité, il a rejoint un groupe d’autodéfense de la zone.
« Je travaille durant la journée, puis le soir, je rejoins la brigade, car c’est une obligation de défendre ma communauté, même au péril de ma vie », lance le conducteur âgé de 32 ans.
Par Jérôme Wendy Norestyl , Fenel Pélissier & Rolph Louis-Jeune
Image de couverture : Une vue panoramique sur lla commune de Kenscoff : deux hommes armés et deux jeunes hommes soutenant une jeune femme en larmes. Collage| ©AyiboPost
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