ART & LITERATUREAYIBOFANMSOCIÉTÉ

#JeSuisGaelle : la scène comme tribune politique

0

La comédienne était à Le Vilatte hier soir pour la présentation de sa cinquième création et son troisième spectacle seule sur scène.

« On écrit toujours à partir d’une blessure ». Les mots sont d’Amin Maalouf, ils auraient pu être signés de Gaëlle Bien-Aimé. Ou titrer alternativement #JeSuisGaelle : un spectacle irrévérencieux, présenté hier soir à Le Vilatte devant un public hilare, en transe par moment face au portrait critique de la société haïtienne, fourbi par dix ans de scène et un vécu douloureusement lucide d’une trentaine d’années.

Si Gaëlle dit « je », c’est surtout pour parler de « nous ». Et si sur scène, l’un après l’autre, elle dépoussière ces allées parfois sombres, souvent révélatrices et toujours drôles de sa mémoire de femme haïtienne, c’est pour donner du sens à l’absurde et de l’anecdote, prononcer une sentence collective.

« Ça ne sert à rien les filles… pas de sucer, mais de lire. Nou wè peyi sa a bezwen moun ki konn li ? »

Sacrilège originel, Gaëlle pense. Pas de cette pensée désincarnée qui ressasse les poncifs. Mais une pensée libre, immanente, qui débride l’esprit et explose les laisses sociétales qui tiennent le corps féminin dans la soumission et l’assujettissement.

Elle est donc féministe. Dans son regard assuré, sa voix puissante, son rire franc, sa corpulence résolument musclée, ses « dreads », ses vêtements librement choisis… mais pas que.

Avec un humour riche et le sens du détail poussé, Gaëlle démonte le machisme, dénonce le sexisme du compas, expose ses procédés dans la politique, renverse les agressions notamment verbales que subissent les femmes (les hommes en rient), ébranle les préjugés, attaque la désuétude du mariage, donne à penser sur l’hypocrisie en ligne… propose en somme un modèle de société.

L’on ressort de ce spectacle mis en scène par Michèle Lemoine et transpirant la plume de Jasmuel Andri avec une « euphorie consciente ». Un sentiment qu’il vient de se passer quelque chose sur scène, l’impression qu’on vient d’assister non pas à un beau spectacle de comédie, mais à un meeting politique. Dans le bon sens. Celui qui consiste à dire que le sarcasme aussi doit être pensé, et en tant que tel, dessiner les contours d’autres mondes possibles.

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *