Pour Dessalines, l’Acte de l’Indépendance ne signifiait pas la fin de la révolution haïtienne.
Au cours des 216 dernières années, la souveraineté haïtienne a été attaquée sous diverses formes. En fait, depuis l’Acte d’Indépendance, la souveraineté haïtienne a été un processus — avec des flux et des reflux.
Par exemple, la reconnaissance française et l’indemnité en 1825 ont été négociées pendant que les navires de guerre français attendaient dans le port. L’occupation américaine, qui a supprimé la clause fondatrice de Dessalines concernant la propriété étrangère (blanche), est un autre exemple évident.
Au XXIe siècle, les partisans « pro-coloniaux » et des gens qui reproduisent les idées racistes du XIXe siècle sur la « civilisation », gagnent du terrain dans les forums politiques et intellectuels autour du monde. La guerre contre le colonialisme reste urgente et nécessaire.
Alors que de nombreux citoyens français et officiers militaires rêvaient de revenir pour récupérer leur colonie perdue, aucune campagne militaire française n’est jamais revenue en Haïti.
Le succès des Haïtiens dans le maintien de leur indépendance a donc acquis une signification rétrospective pour le 1er janvier 1804, comme « fin » de la révolution haïtienne. Cette compréhension des effets du 1er janvier a façonné tous les récits historiques du règne de Dessalines.
Mais, le 2 janvier 1804, il n’était pas évident que la révolution était finie, et Dessalines s’est même assuré de souligner qu’elle ne serait jamais finie. La guerre anticoloniale serait « éternelle ».
Dessalines n’a peut-être pas imaginé que plus de 200 ans plus tard, les Haïtiens se battraient encore pour la souveraineté nationale contre les forces postcoloniales. Mais il savait certainement que l’Acte de l’Indépendance n’était pas la fin du combat pour l’égalité.
Une révolution permanente
Le 1er janvier 1804, Jean-Jacques Dessalines annonça à ses citoyens et au monde entier qu’il allait, « par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître. » L’indépendance était absolument nécessaire car elle devait « ravir au gouvernement inhumain qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir ; il faut enfin vivre indépendants ou mourir. »
Dessalines savait qu’une simple déclaration d’indépendance ne suffirait pas. « Le nom français lugubre encore nos contrées», a-t-il concédé. Il a souligné le fait que des citoyens français étaient restés sur l’île et que le paysage physique, culturel et juridique d’Haïti rappelait les « cruautés de ce peuple barbare. »
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Mais il a également reconnu que la lutte anticoloniale se poursuivrait longtemps dans le futur. Dessalines a promis une « haine éternelle à la France. » En même temps, il a conseillé à ses citoyens d’adopter ce cri aussi. La guerre contre la France — la guerre contre le colonialisme — serait éternelle. Il a conclu l’Acte de l’Indépendance avec un impératif pour chacun de ses citoyens : «Jure enfin, de poursuivre à jamais les traîtres et les ennemis de ton indépendance.»
« De six mois en six mois »
Moins de deux mois après sa déclaration d’indépendance, Dessalines découvrit un complot contre son gouvernement. Il visait à ramener le général français Donatien Rochambeau qui venait de mener une « guerre d’extermination » contre l’Armée indigène.
Le 1er avril 1804, Dessalines envoya une copie de la demande pour le retour de Rochambeau à tous ses généraux, et leur donna les instructions suivantes : « Officiers Généraux, en lisant cette pièce, criez aux armes, et souvenez-vous que notre pays ne peut exister qu’en criant aux armes, de six mois en six mois.»
« De six mois en six mois. » C’est ainsi qu’ils devraient mener leur guerre contre le colonialisme et l’esclavage. Les attaques extérieures et les défis à leur souveraineté n’arrêteraient pas. Ils devaient rester prêts. « Tremblez tyrans, usurpateurs, fléaux du nouveau monde!» Dessalines, dans un autre proclamation le 28 avril 1804, a prévenu: « nos poignards sont aiguisés, vos supplices sont prêts ! »
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Ainsi, l’Acte de l’Indépendance du 1er janvier 1804 n’a pas mis fin à la guerre contre le colonialisme, parce que Dessalines savait que la France — et d’autres nations et empires — continueraient à défier l’indépendance haïtienne. À cause de cela, les frontières du pays devaient rester sûres.
Restreindre la propriété
Dans la proclamation du 28 avril, Dessalines a créé une règle pour protéger son pays du colonialisme et de l’esclavage : « Jamais aucun colon ni européen ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire ; cette résolution sera désormais la base fondamentale de notre constitution. »
Plus d’un an plus tard, il a inclu cette clause dans l’article 12 de la première constitution d’Haïti : « Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété. »
Une version de cet article est apparue dans toutes les constitutions haïtiennes (à l’exception de celles d’Henry Christophe en 1807 et 1811) jusqu’au document de 1918 rédigé sous l’occupation américaine. L’article final de la constitution de 1805 réitère cet état de guerre permanent et avertit le peuple que « au premier coup de canon d’alarme, les villes disparaissent et la nation est debout. »
Julia Gaffield
Julia Gaffield est professeure agrégée d’histoire à la Georgia State University et est l’auteure de Haitian Connections in the Atlantic World: Recognition after Revolution (UNC Press, 2015). Elle écrit une biographie de Jean-Jacques Dessalines.
@JuliaGaffield
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