En envoyant un questionnaire à Jean D’Amérique, je lui ai dit que je voulais faire son portrait et que j’attendais de lui des réponses simples. Par simplicité j’entendais des phrases ordinaires, privées de tout souffle littéraire. Mais la vérité c’est que Jean D’Amérique est incapable de faire des infidélités à la poésie. Les mots ne sont que musique et vibration sous ses doigts qui se meuvent d’écriture. Ses réponses sont donc définitivement un acte poétique, une voix libre qui coupe toute possibilité de réplique.
Né en 1994 aux Côtes-de-fer, Jean D’Amérique ne se définit ni comme écrivain, ni comme artiste. Et ce, en dépit du fait qu’il soit l’auteur de deux recueils de poésie : ‘‘Petite Fleur du ghetto’’ et ‘‘Nul chemin dans la peau que saignante étreinte’’. D’ailleurs, il ne se définit pas. « Ce serait fermer les fenêtres de mon existence, me gaver de rouille, tamponner mon être d’inertie. Se définir c’est clore sa route. Je suis en transe, en déroute, en voyage perpétuel, artiste (écrivain) c’est un accessoire dans mes bagages, et loué soit-il qu’il se renouvelle à chaque instant. Je me veux infini, comme les chemins que j’arpente, aidé par l’incertitude », ponctue-t-il.
Ainsi, il revendique le droit à l’incertitude tel un athée réduisant Dieu à sa simple expression, ou au mieux à un doute immense et continu. Même au papier déclarant sa naissance, il n’accorde aucune crédibilité. Puisque sa présence au monde n’en dépend pas. « Mon véritable acte de naissance est un poème, il est signé par la tendresse et la liberté, avec pour témoins des oiseaux, une aube fraiche, des fleurs et une rivière », précise Dufresne Jean Berthold Civilus, nom de naissance de l’artiste.
Blessures. Voilà un mot qui résonne dans ses deux disques à tendance slam (Di yo et fils du soleil). Blessures, un mot qui revient à chaque fois qu’on parle Jean D’Amérique d’ « Origine ». Pour lui, la notion d’origine est une question faite de boue et d’un argumentaire peu brillant. On tient tellement à fixer les visages sur des origines insignifiantes (pays, nationalité, race, etc.) que cette obstination pour l’identité déchire la lumière des êtres. »
Ses travaux lui ont déjà valu plusieurs prix littéraires comme Mention spéciale Prix René Philoctète de la poésie (2015), Sélection Prix Révélation poésie de la SGDL (2016), Prix de poésie de la Vocation (2017). Néanmoins, l’art n’est pas sa principale activité, affirme-t-il. Il soutient que son souffle premier est dédié à l’humanité, à la vie, le plus grand des poèmes.
Si certains artistes sont marqués par les premières gouttes d’occasion qui ont fait éclore leur carrière, Jean D’Amérique, lui, retient surtout chaque instant que l’existence lui offre en cadeau. Ce sont les milliers de cafés partagés, les soleils allumés autour d’un verre, la chaleur d’une étreinte, les lèvres embrassées par un sourire, l’oreille tendue au jazz des oiseaux, et tant d’autres avenues de beauté traversées». Toutefois, il confie que de nombreuses difficultés sont survenues sur sa route, et qu’il ne les a pas encore surmonté toutes. A l’entendre, l’on pourrait croire que le coté laid du monde serait sa plus grande pierre d’achoppement. « C’est difficile de mener une carrière d’être humain dans un monde qui manque terriblement de poésie », constate-t-il.
Jean D’Amérique se veut criminel. Criminel dans la mesure où la plume est une kalachnikov dans sa main fragile. Son projet en tant qu’artiste avoue-t-il, est de massacrer ce qui est, assassiner le confort, tuer les attentes : dessiner l’envers.
Haïti, parcelle de terre qui fige et réduit l’être à une citoyenneté, ne l’inspire pas. Seul peut-être le théâtre à ciel ouvert qu’offre le pays l’inspire : ses passants, leurs chants, les vallées de béton, la dictature des tropiques, l’incertitude des rues, etc. « Je n’aime pas Haïti puisque, comme tous les noms de tous les pays, ce nom est venu marquer un territoire, cette division de la terre mère me tranche en deux, en mille morceaux. Je n’aime pas l’idée de pays, ça me découpe la voix. C’est Nazim Hikmet qui a raison, et je reprends son hymne bleu : Le pays que je préfère est la terre entière ».
Jean D’Amérique complétait un premier cycle en psychologie quand la Faculté d’Ethnologie s’est fermée. Il confie qu’il ne retournera plus étudier à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH). « Cette Université qui n’en est pas une à la vérité et dont les dirigeants clairement n’entendent pas en faire une. Je n’ai plus envie de me mettre à leur ombre », fait-il valoir. L’artiste s’est plaint du fait que l’UEH soit ardue à la musique d’une nature qui sait raconter de si belles choses. « Leur manque de poésie est effroyable », allègue-t-il.
L’insolence de ses rimes a eu raison de sa façon d’être et vice-versa. Jean d’Amérique est un insolent, un vagabond solaire. Certains de ses proches l’ont d’ailleurs rejeté pour ses choix contraires aux vents de la bien-pensance : quitter l’église, porter des dreads. Il dit ignorer le regard que ces gens-là portent sur lui maintenant, après avoir fait de nombreux pas vers l’infini. Un infini où ses rêves prennent vie pour devenir plus grands.
L’artiste continue son chemin, sans faire de clin d’œil à ces quelques mètres qu’il laisse derrière lui. Dieu et ses partisans ne l’emmerdent pas. A ces derniers le paradis et à l’artiste toutes les pages blanches qu’il reste à remplir. « Si j’ai laissé le milieu religieux, c’est précisément pour ne plus le voir. Donc je ne le vois plus, je ne le vois pas aujourd’hui ».
Jean d’Amérique confie en dernier lieu, que l’amour est un vers qu’il récite et qui le pique en ce moment. Il délègue son cœur au Belgique pour accompagner son amoureuse que se trouve là-bas. Par ailleurs, à court ou à long termes, l’artiste est sans projet. « Je vis l’imprévu, j’avance au gré des instants, telle une pirogue livrée à la volupté des cyclones », conclue-t-il.
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