EN UNESOCIÉTÉ

Je te souhaite d’être….

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Je n’ai jamais eu la chance de connaître mon frère, mes jeunes sœurs non plus, même si je l’ai tant de fois désiré, et je ne m’en suis jamais plaint, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à maintenant…

Mais à quoi bon ?

Je garde en mémoire cette photo de lui, lorsqu’il n’était encore qu’un enfant et moi qu’un nouveau-né. Pourtant, il y a très longtemps de cela que j’ai arrêté de la regarder. Elle me ramène à une époque de ma vie que j’aurais voulu entièrement oublier. Elle me rattache à des souvenirs douloureux bien trop longtemps enfouis, à tort ou à raison. Elle me rappelle cette petite fille toujours si pleine de vie, si bien entourée, mais seule, qui s’est sentie abandonnée et pleurait en silence au lieu d’en parler.

Il fallait que je sois forte pour deux après tout. Ma mère, comme toutes les mères, aurait été accablée de me voir tant pleurer. Je ne me suis donc jamais trop longtemps apitoyée sur mon sort. Mais les mères, elles devinent tout, la mienne tout particulièrement. Nous avons donc d’un commun accord, passé en silence, décidé de ne jamais en parler. Nous n’aurions pas trouvé les mots justes afin de nous réconforter l’une l’autre. Je n’aurais pas supporté de la voir aussi déchirée.

Le cœur gros, le regard vague et triste, j’ai souvent imaginé ce que ce serait que de nous rencontrer, me demandant si tu m’aimerais bien, si tu serais fier de moi, si nous aurions des points en commun, si tu serais un frère, si tu serais un ami, si nous aurions cette relation fraternelle que j’envie secrètement à bon nombre de mes amis. Parce que c’est surtout ta présence que je déplore, parce que je présume que toi et moi nous avons ressenti plus jeune les mêmes animosités, pleuré le même homme, combattu les mêmes démons, affronté les mêmes peurs.

Je voudrais connaitre ton parcours, savoir en quoi il est égal au mien. Je voudrais que tu me rassures et que tu me dises qu’il a eu en partie raison, que je n’ai pas compris ou encore qu’il nous a effectivement trahis, mais que nous appartenons l’un à l’autre, que tout ira bien. Je voudrais comme seul héritage ton vécu… Je ne pense pas pouvoir encore très longtemps affronter seule certaines situations.

Durant plusieurs années, je n’ai donc jamais cessé de chercher en l’inconnu ce qui aurait pu m’être familier. J’ai miré chaque homme de ton âge en espérant que ce serait toi, à chaque fois plus déçue, lorsque je leur demandais leur prénom. Je me suis maintes fois évertuée à te décrire physiquement, mais l’enfant de jadis que j’ai vu n’est peut-être plus, laissant place à l’adulte d’aujourd’hui.

Nos jeunes sœurs je les ai vues en photo, des photos récentes. Aujourd’hui, nous sommes au nombre de quatre (4), alors qu’hier encore, il n’existait que moi. Elles me sont encore plus étrangères qu’avant. J’ai le sentiment de n’être qu’une parmi tant d’autres. Je n’aurai jamais plus de valeur à ses yeux. Je ne serai jamais spéciale. Je ne serai à tout jamais que moi. Moi qui l’ai toujours déçu, moi qu’il n’a jamais connu, qu’il n’a jamais compris, qu’il n’a jamais pu aimer, dont le comportement a toujours déplu.

Nous, moi y compris, avons bien souvent la délétère manie de prendre pour acquis ce qui nous est naturellement accordé, l’amour d’une mère dévouée, d’un père aimant, d’un ami fidèle, d’un amant, d’un frère, d’un animal de compagnie… Nous parcourons le monde à la recherche de ce que nous avons déjà. Nous nous détruisons au nom de ce dont nous nous prévalons, mais seul l’amour prime et primera toujours. Celui qui remplit, qui est porteur d’espoir et d’espérance et qui fait rêver.

J’aurais donné une partie du monde, du mien, rien que pour le croiser, le voir, lui parler, rien qu’une seule fois. Parce qu’il représente pour moi l’espoir, l’espoir de retrouver cette présence masculine et peut être paternelle qui m’a été, toute jeune et à jamais refusée. La vie peut-être si injuste ! Les dieux, les saints, les loas, l’univers m’ont dépourvu de ton affection.

Certains jours, il m’arrive encore de pleurer toutes les larmes de mon corps. Cet homme qu’il m’arrive de côtoyer n’est pas mon père. Le dos voûté, c’est le plus grand fardeau que je porterai à jamais. Il m’arrive aussi d’avoir peur de l’avenir, peur que mes enfants connaissent les mêmes souffrances, peur de ne pas être en mesure de fonder une famille, peur de les décevoir, peur de ne pas être une bonne mère.

Je le sens, je le sais, quelque part dans ce vaste monde se trouve un homme, un seul capable de m’aider à vaincre les démons de mon passé et m’aider à avancer librement, en paix, sereine.

Puisse ces mots te parvenir. Puisses-tu être plus beau de l’intérieur, que dans mes pensées, aujourd’hui, maintenant, dans 10 ans ou dans l’au-delà, dans cette autre vie qu’on nous décrit.

« Dassaev, mon frère, où que tu sois, je te souhaite d’être heureux, d’aimer la vie comme elle t’aime, comme elle nous aime. Je te souhaite d’être ».

Et si toi, qui découvres une partie de mon âme, tu as vécu ce que j’ai vécu, si tu connais la perte liée à la souffrance, si tu comprends mes lamentations, ma déception et mon chagrin, je te souhaite également d’être, d’être malgré tout.

Tara Estimé

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