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Je souffre d’Haïtianite !

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Entre les rues de Port-au-Prince ornées de détritus, l’éternelle insécurité qui recommence à frapper aux portes de gens que je cotoie, et un pouvoir législatif qui efface les lignes le séparant de l’exécutif, je reste étonnamment calme, quiet et même insouciant. Je m’en fous pas trop de l’Etat délabré de la société dans laquelle je vis depuis quelques temps. Je me suis complètement détaché de la bande FM pour rester le moins imbu possible de ce qui se passe au parlement. Ce haut lieu politique  devenu aussi sale que le marché de la Croix- des- Bossales qui, rappelons-le, se situe à moins de 500 mètres de ce dernier.  On devient le produit de son environnement, dit-on. La Croix-des-Bossales est donc devenu cette énorme pile de fatras à force de rester trop près de nos HONORABLES parlementaires.

Dans un premier temps, ma situation me paraissait être celui d’un simple citoyen fatigué des successions d’âneries de ses dirigeants, mais je me suis vite rendu compte que c’était bien plus que cela. Ma première piste était assez flatteuse : l’ataraxie ! A un si jeune âge je serais donc déjà en mesure de vivre cet état que les philosophes de la grecque antique convoitaient tant ?

L’état d’ataraxie est définit par une absence totale de trouble. C’est l’expression presque constante d’un sentiment de quiétude et d’harmonie. Cet état, selon Epicure, est autant manifesté dans l’esprit que dans le corps.

Après des lectures d’ébauches de textes philosophiques sur le sujet, j’ai vite compris que je ne pouvais en aucun cas être bénéficiaire de ce cet état spirituel et corporel qui est le résultat de nombreuses années de travail et d’application de règles de vie bien définies. Et puis, j’étais aussi devant un dilemme existentiel : rationnellement parlant, être touché par l’ataraxie à Port-au-Prince serait être fou. Et je ne veux pas m’avouer fou, cela pourrait endommager mon ego d’homme haïtien. L’ataraxie est donc hors-jeu.

J’ai continué à vivre ma petite vie heureuse et quiète. Il y a eu quelques petits soucis, une bonne amie s’est fait cambrioler à Pétion-Ville, un jeune cadre avec lequel j’avais plusieurs connaissances communes a été assassiné et les rues de Port-au-Prince n’ont pas cessé d’être immondes. Mais, étonnement,  je continuais quiet sur le chemin de ma vie.

Cependant, au milieu de mon étonnante paisible existence, il semble se dresser un ras-le-bol généralisé. Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai reçu des appels d’amis et connaissances qui, en général, s’intéressent peu à la santé socio-politique du pays. Ils m’ont fait part de leur exaspération et de leur détermination à faire changer les choses. Je me suis fait ajouter sur 4 groupes « whatsapp » qui ont pour objet d’organiser ou de réfléchir à mettre sur pied des formes de protestation pour dénoncer la conjoncture actuelle. Ma génération, mes amis, mes connaissances bougent, toutefois moi qui normalement aurais tant aimé faire partie de pareils mouvements, reste impassible. De temps à autre je prétends m’intéresser à ces propositions de marches pacifiques, de manifestations citoyennes, etc. Certaines de ces nouvelles entreprises citoyennes émanant d’un soudain sursaut patriotique ou d’une quelconque peur sont intelligentes et même très originales. Malgré tout, je reste intouché.

Pendant une semaine, je me suis convaincu que l’overdose de football du mois de juin avait sans doute contribué à cet, je le concède, agréable désintérêt des affaires de ce pays. Cependant au fond de moi, je ne voudrais pas non plus rater ce qui pourrait bien être enfin le réveil de la classe intellectuelle, disons de préférence la classe éduquée ou peut-être juste la classe formée d’Haïti. Ceux qui ont fait du silence et de l’inaction leurs armes de choix depuis des décennies, sembleraient être enfin prêts à se soulever contre le système.

En plus de m’interroger sur mon inquiétante condition, j’ai aussi questionné  les motivations de cette soudaine et étonnante prise de conscience collective ou semi-collective. Dans ce bouillonnement de questionnements qui venait enfin déranger le calme auquel s’était habitué mon esprit, dans un éclair, j’ai compris l’origine de ma maladie: L’Haïtianite. En effet, je souffre d’Haïtianite. Cette condition se manifeste par une très faible  prise de position dans les débats publics, une incapacité à s’élever contre les nombreuses injustices qui se font dans le pays, à moins qu’un proche ou une personne de son environnement en soit la victime. L’haïtianite est en général endémique dans la classe moyenne bien élevée, bien-pensante et la petite bourgeoisie haitenne.  En attendant ma guérison, comme tant d’autres, je continue à faire partie de ces groupes « Whatsapp » et prétend vouloir marcher et manifester pour le respect de mes droits et de ceux de ma clique.

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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