« Nous allons bientôt amener le dossier auprès d’organismes internationaux, par exemple la commission interaméricaine des droits de l’homme, pour nous assurer que les droits de nos clients sont respectés », déclarent les hommes de loi dans une interview accordée à AyiboPost
18 ressortissants colombiens, présumés impliqués dans l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse, sont écroués au pénitencier national. Mario Antonio Palacios Palacios, autre ex-militaire colombien inculpé pour ce meurtre, est lui en prison aux États-Unis d’Amérique, où il répond aux questions des autorités américaines.
Mais pour les Colombiens en Haïti, l’instruction de l’affaire n’a pratiquement pas progressé depuis la conclusion du rapport de la police nationale, qui a retracé les événements. Merlan Belabre, dernier juge d’instruction choisi par le doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince, est en fin de mandat, qui n’a pas été renouvelé jusqu’à date.
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Les avocats colombiens qui représentent leurs compatriotes emprisonnés dans le cadre de cet assassinat ont accordé une entrevue à AyiboPost. Juan Pablo Quintero Lopez et Aleja Penal, deux des représentants de la firme d’avocats Quintero Lopez, ont exprimé leurs préoccupations face à une enquête qui traîne, sans fin prochaine en vue.
D’après le journal colombien El Tiempo, dans un article datant d’octobre 2021, les Colombiens accusent Jimmy Cherizier, alias Barbecue, de leur avoir fait des menaces de mort. Ils auraient également subi trois attentats contre leur vie, en prison.
AyiboPost : Dans quel état physique et psychologique se trouvent vos clients ? De quoi se plaignent-ils ?
Firme d’avocats Quintero López : Ils souffrent de plusieurs maux, de nature psychologique évidemment, à cause du stress et de l’incertitude de leur situation judiciaire en Haïti. Quant à leur état de santé, ils ont perdu du poids, ils ont des problèmes de peau. Ils se plaignent de la mauvaise qualité de l’eau et de la nourriture. L’accès à un médecin est limité, comme pour tous les prisonniers dans le pays.
Quels sont les derniers avancements dans le dossier ? Quelle stratégie comptez-vous employer pour continuer la défense de vos clients ?
Pour le moment, l’enquête est en cours. Le juge d’instruction a collecté des informations, qui devront être présentées au juge qui va siéger au procès. Malheureusement le mandat du juge d’instruction qui était sur le dossier est terminé. Il n’y a donc pour le moment personne qui s’occupe de cette affaire. Tout cela est vraiment très lent, et nous sommes préoccupés, en tant qu’équipe juridique qui travaille sur le dossier, pour tous les changements. Nous allons amener le dossier auprès d’organismes internationaux, par exemple la commission interaméricaine des droits de l’homme, pour nous assurer que les droits de nos clients sont respectés. Nous le ferons bientôt.
Nous sommes en face d’une enquête qui avance de manière très lente. Pour nous en tant qu’équipe, cela sonne des alarmes. On se réfère notamment à tous les changements de juges d’instruction qu’il y a eu. Il y a plusieurs enquêtes, mais elles ne sont pas comparables entre elles. Il y a eu une investigation de la Colombie, au début, aux côtés des Haïtiens. Il y a l’enquête aux États-Unis, avec la capture de Palacios, mais ce n’est pas la même chose. L’enquête en Haïti a connu quatre changements de juges, et elle dure depuis près de dix mois.
Après leur arrestation, les anciens militaires colombiens ont affirmé qu’ils ont été torturés, et qu’ils n’avaient pas accès à un avocat. Pouvez-vous le confirmer ?
En réalité, nous sommes gênés par des difficultés de communication avec eux. Ils n’ont pas d’avocats en Haïti pour l’instant. Le problème est que nous ne sommes pas en Haïti, et nous n’avons pas de juridiction pour les représenter directement dans ce pays. C’est pour cela que nous recherchons activement des avocats haïtiens qui peuvent les représenter avec nous. En référence aux tortures, ils en ont effectivement parlé dans des lettres qu’ils ont envoyées à leur famille ici en Colombie.
La presse américaine a révélé que les États-Unis voulaient classifier certaines preuves, dans le dossier de l’assassinat de l’ex-président Moise. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire pour vos clients ?
Nous considérons que la classification des preuves correspond à un plan d’enquête méthodologique, qui cherchera à clarifier l’existence du fait et ses auteurs ou participants probables. Il est important de ne pas confondre la classification des preuves, à leur dissimulation. Le droit de tous les captifs est qu’au moment du procès, toutes les preuves favorables et/ou défavorables soient présentées.
En début d’année, les corps des ex-militaires morts lors des affrontements avec la police nationale ont été incinérés, sans qu’il y ait eu d’autopsie. Certains estiment que l’État haïtien voulait ainsi brûler de possibles preuves. Qu’en savez-vous ?
L’incinération de ces corps a été réalisée par le biais du ministère des Affaires étrangères de la Colombie, en collaboration avec les autorités haïtiennes. Il y a eu également la participation du consulat de Colombie en Haïti. Nous ne savons pas si la demande est venue du gouvernement d’Haïti, mais il s’agissait plutôt de rapatrier les cendres, pour les remettre aux familles des disparus.
Est-ce que vos clients ont peur pour leur vie ?
Malheureusement c’est une information qui est protégée par le secret professionnel. Mais on peut dire qu’à plusieurs reprises ils ont fait des dénonciations en ce qui a trait aux conditions d’hygiène, et de manière générale à la façon dont ils sont traités en prison. Ils ont des préoccupations pour leur sécurité dans le pays.
Plusieurs personnes inculpées dans le cadre de la mort de Jovenel Moïse, ont préféré être entendues aux États-Unis. Elles préfèrent y être jugées là-bas. Est-ce que vous aussi auriez préféré un jugement à l’étranger ?
Le procès peut avoir lieu en Haïti ou aux États-Unis. Ce que nous voulons en tant qu’avocats, c’est qu’il y ait le respect d’une procédure régulière, quel que soit l’endroit où il est destiné à se dérouler. Mais il est important qu’en Haïti, le procès ne soit pas vu comme une sorte de vengeance de la société haïtienne. Nous sommes convaincus que les juges en Haïti seront impartiaux et indépendants et que leurs décisions seront rendues conformément à la loi.
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