POLITIQUE

Intervention étrangère : les USA disent préparer un «support significatif»

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Les États-Unis révèlent à AyiboPost avoir fourni un soutien «logistique et de transport pour la délégation» du Kenya en visite d’évaluation en Haïti en ce mois d’août

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Les États-Unis préparent un soutien important pour la mission de sécurité multinationale que le Kenya s’est proposé de diriger en Haïti. C’est ce qu’a révélé l’ambassade américaine dans le pays à AyiboPost.

La délégation kenyane a effectué une évaluation technique en Haïti du 20 au 23 août afin d’identifier un soutien approprié pour une éventuelle force multinationale, «à l’invitation du gouvernement haïtien», selon l’ambassade.

L’entrée de la délégation kenyane en Haïti le dimanche 20 août 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

«Le voyage d’évaluation technique dirigé par les Kényans en Haïti, ainsi que les consultations à New York et à Washington, a inclus des représentants de plusieurs agences gouvernementales américaines, d’après l’ambassade. Le gouvernement américain a fourni un soutien logistique et de transport pour la délégation», continue la représentation diplomatique.

Les États-Unis préparent un soutien important pour la mission de soutien à la sécurité multinationale que le Kenya s’est proposé de diriger en Haïti.

L’administration des USA fait ses propres démarches. Elle sollicite, selon l’ambassade, le «soutien du Congrès pour cette initiative et prévoit de présenter une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies autorisant le déploiement, en collaboration avec notre coparrain, l’Équateur. La communauté internationale prévoit de fournir des fonds, de l’équipement, de la formation et du personnel.»

L’arrivée éventuelle d’une mission armée kényane en Haïti alimente des débats houleux dans les espaces de discussion.

Les grandes puissances influentes en Haïti comme les USA, le Canada, la France ne semblent pas montrer un grand intérêt pour prendre les rênes d’une mission militaire ou policière dans le pays. Cela s’explique par le fait que « Haïti ne constitue pas une zone prioritaire pour eux », analyse l’homme de média, Daly Valet.

Les grandes puissances influentes en Haïti comme les USA, le Canada, la France ne semblent pas montrer un grand intérêt pour prendre les rênes d’une mission militaire ou policière dans le pays.

Ce manque d’intérêt, selon l’ancien conseiller du président Jocelerme Privert, «entraîne qu’ils font de la sous-traitance avec des puissances moins importantes, à l’instar du Kenya.»

Le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies devrait se réunir pour éventuellement donner un blanc-seing à une intervention non onusienne en Haïti. AyiboPost ne peut confirmer la date exacte de cette rencontre : l’agenda du mois de septembre du Conseil n’est pas encore disponible.

L’organisation internationale, bien qu’influente, reste très critiquée dans le pays. Des soldats de l’ONU ont apporté le choléra en Haïti en 2010. 10 000 morts et au moins 800 000 infectés furent officiellement enregistrés, dans un contexte d’abus notamment sexuels et de dizaines d’enfants laissés pour compte avec pour père des membres de la mission.

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La première intervention des Nations Unies en Haïti date de février 1993. Au fil des ans, l’organisation, avec d’autres pays puissants, déploieront personnels, conseillers, et parfois des hommes armés pour tenter de stabiliser Haïti.

Le 15 octobre 2017, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti de l’ONU met fin à son intervention. Le mandat a été un «succès», selon l’organisation.

Cette vision trouve peu d’adeptes en Haïti, compte tenu de la situation du pays bien avant et après la fin de la mission. «Comme toutes les autres missions des Nations Unies, [l’intervention du Kenya] va apporter un pansement de surface», prévoit Daly Valet qui, cependant, croit que la force internationale permettra de sauver des vies, bien qu’il soit contre.

Comme toutes les autres missions des Nations Unies, [l’intervention du Kenya] va apporter un pansement de surface.

D’autres citoyens expriment une position plus radicale.

Jameson Bernabe dirige Agro 6, une entreprise spécialisée dans la distribution de produits locaux et un bureau de consultation agricole. Il déclare s’opposer «catégoriquement» à la venue de toute force étrangère, «quelle qu’elle soit».

L’entrepreneur évoque les problèmes de sécurité intérieure auxquels fait face le Kenya, ainsi que les maladies, les viols en série et le gaspillage inutile de ressources de la dernière mission étrangère militaire en Haïti, dirigée par l’ONU.

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Il n’est pas clair si cette mission offrira des matériels à la Police nationale d’Haïti (PNH) avec possibilités de recrutements de nouveaux membres et des séances poussées de training. Rien n’indique pour le moment s’il s’agira d’une mission pour sécuriser les infrastructures du pays ou pour s’en prendre aux gangs qui contrôlent la grande majorité de Port-au-Prince, alors qu’ils étendent leurs tentacules sur d’autres régions du pays.

Des agents de la PNH dans les parages de l’Aéroport national Toussaint Louverture assurent la circulation pour faciliter le déplacement de la délégation kenyane. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

L’implication des 1 500 hommes des  Forces Armées d’Haïti (FAd’H) dans cette dynamique trouve peu de relais. Historiquement, en Haïti, l’institution a joui d’un prestige lié aux luttes pour l’indépendance. Cependant, au début du XXe siècle, lors de l’occupation américaine, l’armée de 9 000 hommes, dont 308 généraux, a été démantelée. À sa place, la gendarmerie a pris la relève.

Après la fin de l’occupation, l’armée avait pour mission de maintenir l’ordre public. Cependant, l’institution a été impliquée dans divers coups d’État, de nombreuses violations des droits humains et le trafic de drogue jusqu’à sa dissolution en 1995.

L’implication des 1 500 hommes des  Forces Armées d’Haïti (FAd’H) dans cette dynamique trouve peu de relais.

Bien qu’elle ait été rétablie en 2017 sous l’administration de Jovenel Moïse, l’armée suscite des soupçons et des dénonciations en Haïti. Cela se produit dans un contexte où les puissances internationales semblent l’écarter des grands débats sur la sécurité en Haïti.

Lors d’une rare apparition publique le 28 août, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Université Quisqueya, le commandant en chef des Forces armées d’Haïti (FAD’H), Jodel Lessage, a dénoncé les «restrictions imposées à l’armée qui ont un impact direct sur la défense et la sécurité des Haïtiens, sur l’intégrité du territoire et sur la situation socioéconomique en général.»

«Nous sommes là, nous sommes disponibles», a poursuivi le commandant, qui a souligné avoir besoin de «moyens moraux et matériels».

Selon le militaire, l’armée a reçu le soutien de l’Équateur, du Mexique et de l’Argentine pour des formations, ainsi que de Taïwan pour une « aide substantielle en équipement militaire. »

Même si l’armée prévoit à moyen terme d’occuper le territoire national à travers quatre régions militaires (l’Ouest, le Centre, le Grand Nord et le Grand Sud), «les responsables étrangers ne cachent pas leur hostilité envers l’institution militaire haïtienne», selon Lessage.

Cette implication de l’armée gagne des partisans parmi les opposants aux forces étrangères.

«Tous les pays qui grandissent le font d’habitude avec leur propre force intérieure [de sécurité]», souligne Bernabe pour qui la PNH et l’armée doivent «être fonctionnelles pour ouvrir la voie à la paix durable en Haïti».

Rien n’indique pour le moment s’il s’agira d’une mission pour sécuriser les infrastructures du pays ou pour s’en prendre aux gangs qui contrôlent la grande majorité de Port-au-Prince, alors qu’ils étendent leurs tentacules sur d’autres régions du pays.

Depuis l’assassinat violent de l’ancien président, Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, Haïti vit sous le leadership d’Ariel Henry, un Premier ministre choisi par l’ex-chef d’État quelques jours avant son décès.

Non élu, Ariel Henry souffre d’un manque de légitimité et la plupart des actes de son gouvernement ne correspondent pas avec la loi, selon des experts. Malgré des manifestations récurrentes, la non-organisation des élections et une aggravation de la situation humanitaire et sécuritaire dans le pays, le chef du gouvernement, propulsé à la tête de l’État par une note d’un regroupement de représentations diplomatiques étrangères en Haïti, continue de bénéficier de la collaboration de la communauté internationale.

«Si la communauté internationale déploie une force en Haïti, il ne faut pas croire que c’est pour gérer les affaires haïtiennes», analyse l’ancien membre des Forces armées d’Haïti, Himmler Rebu.

Non élu, Ariel Henry souffre d’un manque de légitimité et la plupart des actes de son gouvernement ne correspondent pas avec la loi.

Selon l’ancien colonel connu pour ses positions antiimpérialistes, «cette intervention peut se faire dans le but d’organiser des élections afin de mettre des valets au pouvoir.»

Le statu quo profite aux grandes puissances qui bénéficient de la fuite massive de cadres haïtiens vers des pays comme le Canada ou les USA. Plus de migrations de ces hauts cadres «leur permettront de mieux contrôler le pays», estime Rebu.

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Des doutes persistent en Haïti quant à la capacité du Kenya de réussir cette mission. Ce pays, connu pour ses interventions notamment en Somalie, n’a pas, selon des experts, l’expérience ou les ressources nécessaires pour s’en prendre au problème des gangs armés dans un pays de la Caraïbe comme Haïti.

«Les dirigeants kenyans ont vendu leur dignité», s’indigne le coordonnateur de l’Union nationale des normalien-nes d’Haïti (UNNOH), Josué Mérilien.

Le syndicaliste évoque la question du trafic des armes des USA vers Haïti comme clé pour comprendre l’insécurité en cours. Il demande au Kenya de «retourner sur cette décision qui le met littéralement en face de la république haïtienne.»

Selon des rapports du département de la justice des États-Unis, les armes interceptées dans le crime en Haïti proviennent majoritairement des USA.

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La question de l’argent permettrait aussi de comprendre l’intérêt du Kenya, suggèrent des analystes. Ce pays s’intéresserait, selon Daly Valet, à une mission en Haïti parce qu’elle rapportera «beaucoup d’argent», ce qui permettrait de «stabiliser sa devise».

Ce pays, connu pour ses interventions notamment en Somalie, n’a pas l’expérience ou les ressources nécessaires pour s’en prendre au problème des gangs armés dans un pays de la Caraïbe comme Haïti.

Dans l’attente, Haïti vit au rythme des massacres violents de citoyens. Les gangs continuent de tuer, de piller et d’étendre leur territoire en toute impunité.

L’ancien journaliste Clarens Renois prend des positions au nom de la plateforme politique UNIR.

Il dit ne pas pouvoir «techniquement s’opposer» à une intervention étrangère, car c’est une question qui est décidée au niveau du haut conseil de sécurité des Nations unies.

«Nous avons une situation intenable en Haïti, dit Renois. Le drame de Carrefour-Feuilles [sous attaque des gangs de Grand Ravine] est symptomatique du chaos total où la population est aux abois et livrée à elle-même dans un contexte malheureux d’inaction totale de l’État. »

Bien qu’il ne s’y oppose pas, l’ancien leader du média HPN Haïti exige de connaitre «la durée de la mission, son étendue, sa portée juridique».

Cette intervention devrait, continue Renois, apporter un appui à la (PNH) pour permettre à celle-ci de «prendre le relai après que la force étrangère se soit retirée de notre sol.»

Par Fenel Pélissier, Jérôme Wendy Norestyl et Junior Legrand

Wethzer Piercin et Widlore Mérancourt ont participé à ce reportage.

Image de couverture : «Les Casques bleus brésiliens de la MINUSTAH ont tenu une cérémonie pour marquer la fin de leurs opérations et le début de leur retrait d’Haïti avant la fermeture de la mission le 15 octobre 2017.» | © Logan Abassi


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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