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Il n’existe presque aucune trace de l’exposition internationale du bicentenaire de Port-au-Prince

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Environ 100 ans après, il ne reste presque plus rien de l’exposition internationale organisée pour la célébration du Bicentenaire de Port-au-Prince

À la fin des années 1940, le Bicentenaire affichait un panorama lamentable. Dans le journal Le Matin, un contributeur de l’époque parlait même d’y mettre le feu, tellement l’endroit était « laid et désolant à voir ».

Puis le président Léon Dumarsais Estimé a eu l’idée d’aménager tout le bord de mer pour organiser l’Exposition internationale ou le Festival de la paix, à l’occasion de la célébration des 200 ans de la création de la ville de Port-au-Prince.

Selon des historiens, c’est sans doute grâce à cette exposition que le président Paul Eugène Magloire, qui a reversé Estimé en 1950, arrivera à tripler le nombre de visiteurs pendant son régime, catalysant ce qu’on considère comme « l’âge d’or » du tourisme en Haïti.

Vue du Bicentennaire

Mais aujourd’hui, presque plus rien ne reste comme trace de ce grand évènement qui a drainé près de 300 000 visiteurs dans le pays et occasionné la construction de nombreuses infrastructures.

Après les festivités, la plupart des bâtiments, comme les pavillons, restaurants et autres attractions, ont été vendus. Pendant longtemps, ces constructions ont fait partie de l’architecture de la ville, explique l’historien Michel Soukar. Il prend comme exemple le bâtiment de l’ambassade du Venezuela, celui de l’ambassade d’Italie, la poste, la mairie et le Ministère des Affaires étrangères. Cependant, une bonne partie de ces édifices ont été détruits durant le tremblement de terre du 12 janvier 2010.

En 2020, la cité de l’exposition a perdu son prestige, regrette Soukar. Même le mausolée qui contenait les restes du Président Estimé n’est plus en bon état.

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Les livres d’histoire ne rapportent pas non plus les faits remarquables de l’époque, déplore Georges Wilbert Franck, coordonnateur de l’Union nationale des normaliens et éducateurs d’Haïti (UNNOEH).

«L’homme haïtien est en ce sens déconnecté de ses racines, dit Franck. C’est donc une personne qui ne sait rien de son passé, qui croit qu’il ne vaut rien et ne peut rien faire, déplore l’éducateur ». Selon le professeur de français, les textes qu’il utilise pour apprendre aux enfants à faire une narration auraient pu mettre en exergue l’histoire du pays. «Malheureusement, ce n’est pas le cas.»

Photo d’une carte postale de l’Exposition internationale, 1949-1950, représentant la vue sur les pavillons, source photo inconnue.

Pour Rose-May Guignard, une urbaniste au Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT), l’état déplorable du bicentenaire d’aujourd’hui n’est pas une surprise. «Quelqu’un a fait le choix de ne pas régler les problèmes de drainage au Centre-ville, de laisser les marchandes l’envahir et l’occuper, et [l’abandonner] aux gangs, expose Rose-May Guignard. Je ne sais pas si ces choix ont été clairs, mais ils ont été faits. Qu’on arrête de dire “Oh Bon Dieu!” mais, de se dire qu’on a fait ces choix-là et maintenant, qu’est-ce qu’on fait?»

Haïti, centre culturel et touristique de la Caraïbe

La Cité de l’Exposition aussi appelée Cité Dumarsais Estimé s’étendait sur 30 hectares. Les visiteurs, près de 250 000 venant de quinze pays, pouvaient se promener le long de la baie. Toute l’avenue Harry S. Truman qui menait à la Cité de l’Exposition était bordée de palmiers bruissant qui offraient fraîcheur et ombre.

Dans le théâtre de Verdure et les pavillons touristiques, on y offrait des représentations folkloriques, de la musique et de la bonne ambiance. Aussi, l’on observait dans la zone un aquarium et des arènes de combats de coqs. Des dizaines de pavillons y étaient implantés, ainsi qu’un cinéma pouvant contenir 400 personnes, 42 magasins, 2 restaurants, un boulevard de deux kilomètres de long et trente mètres de large. Le tout a été construit en sept mois, durant l’année 1949, sous les ordres de l’Architecte français Théodor Démost.

Photo représentant le plan de la cité de l’exposition, source photo University of Florida, Digital Collections des bibliothèques Georges A. Smathers.

Selon la loi du 13 juillet 1949 autorisant l’exposition internationale et les autres dispositions prises par le président Estimé, la Cité de l’exposition s’étendait de la partie du front de mer de la ville de Port-au-Prince, allant de la place de l’Hôtel de Ville jusqu’à Martissant.

Ces grandes expositions sont tenues partout à travers le monde depuis le XIX siècle. Elles sont coiffées par une organisation intergouvernementale, le Bureau international des Expositions. Cette organisation qui existe depuis 1928 compte 170 membres, dont Haïti.

Les bâtiments haïtiens ont été pensés par des architectes locaux et étrangers, comme Albert Mangonès ou August F. Schmidigen. Les pays participants ont construit leur propre bâtiment, attractions ou sculpté leurs statues.

Vue sur les pavillons

Avec la cité de l’exposition, le peuple haïtien a eu l’occasion de faire l’expérience de l’art exposé en public. En exemple : les « Nymphes d’ébène » qui entouraient la fontaine lumineuse.

En tout, 32 sculptures classiques en marbre ou en bronze ont été prêtées par le « Metropolitan Museum de New York » pour être installées à travers le site.

Photo venant de l’Exposition internationale, 1949-1950, Fontaine lumineuse, source photo inconnue

Dans les colonnes du Matin ou Haïti journal, des articles incitaient la population à rejoindre ce que le gouvernement appelait, le « Mouvement touristique ».

L’administration communale de Port-au-Prince invitait les propriétaires à peindre l’extérieur de leur maison à l’occasion de l’inauguration, le 8 décembre 1949. Et le département du Tourisme avisait les familles ou les personnes « confortablement logées » qui désireraient héberger des touristes de passer s’inscrire.

À cette époque, dans les espaces comme Simbie night-club, le public découvrait les talents de Lumane Casimir, Jazz des jeunes, ou de Ti Roro. Parmi les artistes étrangers célèbres présents, il y avait Dizzy Gillespie et Miles Davis.

Cette époque a vu la naissance des espaces récréative et culturelle comme la Belle créole, le Casino flottant ou le Golden Gate.

Dumarsais Estime

Une exposition onéreuse

Les merveilles de l’exposition n’étaient accessibles qu’aux gens vivant à Port-au-Prince. Les villes de province étaient fortement négligées.

Le Festival de la paix devait coûter 4 millions de dollars américains au pays. Cependant, 26 millions furent dépensés, dont 10 millions échappèrent à toutes justifications.

Pour Michel Soukar, historien, il y a de nombreuses versions concernant la gestion de cet argent par l’état haïtien. «Il y a des gens qui disent qu’il y avait de l’argent qui a été détourné, déclare l’historien. Des hommes au pouvoir à l’époque se sont rempli les poches. Mais la plus grave des allégations, c’est que les États-Unis avaient accusé Haïti d’utiliser une fausse monnaie [pour la réalisation de l’exposition].»

Le budget national de l’époque était estimé à 13,4 millions. Donc, ces dépenses du président étaient très mal vues par certains. Durant l’exercice fiscal de 1947-1948, l’économie a pris un sérieux coup. Selon un article paru dans le journal Le Matin de décembre 1949, la valeur de l’importation a dépassé en un « chiffre record » celui de l’exportation.

La production de café, d’acajou, de sucre et de la figue banane, était en baisse à des degrés variés. Il y a eu des hausses en termes de valeur et de volume pour le cacao, le coton et la pite. Mais un article du journal Le Matin conclut que «les baisses enregistrées sur certains produits par rapport à l’exercice précédent n’ont pas été compensées par les hausses sur les autres».

Ensuite, la grogne des citoyens s’était décuplé à cause l’expropriation massive des propriétaires et fermiers. «Toute la zone de la [cité de l’exposition] était un quartier populaire et beaucoup de gens habitaient là, expose Michel Soukar. On les avait déménagés. Beaucoup d’entre eux sont allés habiter à Carrefour-feuilles. Certains ont été envoyé à la Gonâve.»

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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