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Hôpital Général : une réouverture floue dans une crise sanitaire alarmante

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Les locaux du plus grand centre hospitalier du pays, communément appelé l’Hôpital Général, ont été attaqués par des gangs, entraînant la fermeture de l’établissement depuis février 2024

Le ministre de la Santé publique et de la Population (MSPP), Dr Duckenson Lorthe Blema, annonce, sur les ondes d’une radio de la capitale, la réouverture de la clinique externe de l’Hôpital Général avant la période de Noël 2024.

Dans une interview accordée à AyiboPost le 25 novembre, le directeur général du MSPP, Dr Timothé Gabriel, avait déclaré qu’aucun plan pour la réouverture de l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) n’a été mis en place cette année.

Situé à proximité du Palais national, au centre-ville de Port-au-Prince, le plus grand centre hospitalier du pays, communément appelé l’Hôpital Général, a été attaqué par des gangs, forçant sa fermeture depuis février 2024.

L’insécurité qui règne encore dans les environs suscite l’inquiétude des responsables.

« Le MSPP ne compte pas relocaliser l’Hôpital général. Nous voulons une réouverture définitive et non une solution provisoire », a déclaré le directeur du MSPP à AyiboPost qui disait attendre encore le feu vert des forces de l’ordre pour pouvoir faire une « évaluation » dans les locaux de l’institution hospitalière. 

Des préoccupations partagées par le directeur de l’HUEH, Jude Milcé, pour qui, en ce qui concerne la réouverture de l’hôpital, « il n’y a rien de concret jusqu’à maintenant ».

Le MSPP ne compte pas relocaliser l’Hôpital général. Nous voulons une réouverture définitive et non une solution provisoire.

Dr Jude Milcé

Un groupe d’une trentaine de médecins résidents dénonce à AyiboPost la passivité des autorités en ce qui concerne la situation de l’hôpital général.

Deux lettres envoyées par les médecins résidents au doyen de la faculté de médecine, Bernard Pierre, et au responsable de la résidence hospitalière, Dr Rodolphe Malebranche, respectivement le 28 septembre et le 8 octobre, au sujet de l’hôpital, sont restées sans réponse, selon les résidents.

« Je suis certaine que l’hôpital restera fermé pour au moins une année », craint la Dr Yveline Michel, résidente en dernière année d’anesthésiologie.

Depuis février 2024, la situation humanitaire ne cesse de s’aggraver dans le pays.

Au moins 31 institutions sanitaires ont dû fermer leurs portes dans le département de l’Ouest à cause de l’insécurité, selon des données collectées par la direction sanitaire de l’Ouest entre mars et avril 2024.

Plus de  41 000 personnes ont été déplacées à Port-au-Prince lors des derniers assauts des gangs en novembre sur les quartiers de Solino et de Nazon. Plus de 700 000 personnes ont été arrachées à leurs foyers à travers le pays.

Le débarquement d’une force multinationale dirigée par le Kenya en juin n’a pas encore réussi à mettre les gangs hors d’état de nuire.

Je suis certaine que l’hôpital restera fermé pour au moins une année.

Dr Yveline Michel

L’hôpital universitaire La Paix, seul hôpital public encore en fonction dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, est dépassé par les évènements dans un contexte où les gangs continuent de terroriser plusieurs quartiers.

Pour une seule semaine du mois de novembre, le centre hospitalier a enregistré 49 blessés par balles.

Lire aussi : Haïti : les hôpitaux dépassés par les événements

Le 9 juillet 2024, des officiels, dont l’ex-premier ministre Garry Conille, ont visité les locaux après que la police a annoncé avoir repris le contrôle de l’établissement. Cependant, cette visite n’a débouché sur aucune action concrète.

Pour Junior Samuel Orismé, médecin résident en urologie, cette visite n’était qu’un « spectacle » vu que, selon lui, la réouverture de l’hôpital n’est pas une priorité pour les autorités.

Ces dernières années, l’hôpital faisait déjà face à des défis énormes ayant impacté son fonctionnement. 

Pour l’exercice 2022-2023, le centre hospitalier comptait 1032 employés. Ce chiffre est passé à 852, selon les données fournies à AyiboPost par la direction des ressources humaines. 

Outre le problème de la reprise des activités à l’Hôpital Général, l’hôpital militaire, situé près du Palais National, auparavant utilisé comme dortoir pour les médecins résidents, est aujourd’hui occupé par des agents des forces de l’ordre.

Il n’y a rien de concret jusqu’à maintenant 

Dr Timothé Gabriel

Selon le Dr Rodolphe Malebranche, directeur de la résidence hospitalière et de la recherche à l’HUEH, les mesures prises par les autorités pour occuper l’hôpital militaire pourraient compromettre le fonctionnement de la résidence hospitalière.

« Si l’hôpital rouvre, ces résidents n’auront plus de lieu où se loger pour assurer les gardes de nuit », prévient-il. « Ce type de fonctionnement ne peut se limiter à la journée. Ce sont les résidents qui assurent le bon fonctionnement de l’hôpital. »

Sinon, dit-il, on se contentera de faire du replâtrage, ce qui, en réalité, ne résoudra rien.

Les employés de l’Hôpital Général, qui continuent de percevoir leurs salaires, selon le Dr Timothé Gabriel, ont été redistribués dans d’autres centres hospitaliers fonctionnels de la région, tandis que d’autres restent chez eux.

L’insécurité galopante fait fuir les médecins formés en Haïti.

Avant la crise actuelle, des études rapportaient que 40 % des médecins formés en Haïti avaient fui le pays à cause de l’insécurité grandissante. 13 % d’entre eux se trouvaient aux États-Unis. 

L’insécurité galopante fait fuir les médecins formés en Haïti.

Haïti est loin de la norme minimale de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui recommande 25 professionnels pour 10,000 habitants. 

Selon un rapport de 2017 publié par l’OMS, le pays compte en moyenne 5,9 médecins ou infirmières, et 6,5 professionnels de santé pour chaque 10 000 habitants.

Lire aussi : Haïti en danger : l’insécurité pousse les médecins spécialisés à quitter le pays

La paralysie des services au niveau de l’hôpital général compromet l’avenir des résidents et d’autres professionnels affectés dans cette structure de santé.

La nouvelle année universitaire pour les résidents, qu’ils soient finissants ou non, a débuté le 1ᵉʳ mars 2024. 

L’année universitaire précédente, marquée par des jours et des mois de grèves, s’était brutalement achevée le 29 février 2024, date à laquelle l’Hôpital Général a été fermé de force, indique le Dr Malebranche.

Le 29 novembre a marqué neuf mois depuis que les résidents, qu’ils soient finissants ou non, n’ont pas pu accomplir leur stage de formation. 

Pour le Dr Malebranche, « c’est pratiquement une année perdue ».

Un concours de résidence a lieu en octobre dernier, mais la quarantaine d’étudiants ayant opté pour l’hôpital général devront attendre. 

Le responsable craint que l’hôpital universitaire La Paix à lui seul puisse accommoder les 160 résidents.

Face à ces défis, le rectorat de l’université d’État d’Haïti (RUEH) tente d’apporter une solution.

Le 23 septembre dernier, l’UEH et Médecins Sans Frontières ( MSF ) Belgique signent un protocole d’accord pour une durée de douze mois en vue de définir un cadre de collaboration pour l’accueil des médecins inscrits dans les programmes de résidence hospitalière au sein des structures de MSF.

Mais le Dr Malbranche critique l’initiative qui a été prise à l’insu des médecins résidents.

« C’est une première anomalie qui ne devrait pas être acceptée par l’institution », soutient le médecin.

Lire aussi : La crise humanitaire s’aggrave en Haïti

À ma connaissance, poursuit-il, « MSF Belgique n’a pas été évaluée comme une institution capable de former ».

Pour Malbranche, cette initiative reste une solution provisoire, alors que la fermeture prolongée de l’HUEH compromet l’avenir du système de santé haïtien, déjà largement en deçà des standards de l’OMS.

Entre-temps, des médecins résidents ont quitté le pays.

« Dans le service où j’étais affecté, il y avait dix-huit médecins, mais maintenant, il n’en reste que huit », dit Dr Yveline Michel.

Pour la pédiatre, sur une dizaine de médecins qui sont entrés en formation, il n’y a qu’un seul à être resté.

La plupart des résidents de la deuxième année ont déjà quitté le pays. Il n’en reste qu’un sur dix à être rentré, indique le Dr Yveline Michel.

Pour les autres spécialités comme l’orthopédie, il y en a deux qui sont restées sur six à être rentrés. À la maternité, sur sept à avoir rentré, il n’y en a que deux qui sont restés.

Le 02 décembre, la maternité Isaïe Jeanty située à Cité-Soleil vient d’être remise en service après neuf mois d’inactivité.

La plupart des résidents de la deuxième année ont déjà quitté le pays. Il n’en reste qu’un sur dix à être rentré,

-Dr Yveline Michel.

Le Dr Michel dit vouloir rester au pays en vue de continuer à offrir ses services. 

« Je ne peux pas partir et oublier ce pays qui m’a offert une formation gratuite, de l’école classique à l’université. La responsabilité morale que j’ai envers ma famille, mes voisins et les gens est la seule chose qui me retient encore dans le pays », conclut Yveline Michel à AyiboPost.

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Image de couverture | Plusieurs malades dont l’état est assez grave se plaignent de ne pas recevoir la visite de médecins. ©Carvens Adelson/AyiboPost

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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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