SOCIÉTÉ

Happy « Mèsi-bay » day

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« Chaussures Nike, jeans Levis, chemise Gap… oui, mais mon âme et mon essence restent haïtiennes ». C’est ce que je répondrai hypocritement si vous me critiquez après avoir lu ce qui suit. Eh oui, je revendique mon droit à l’hypocrisie! Je vous invite et vous supplie de faire pareil. L’année prochaine, soyons tous hypocrites et ne fêtons pas Thanksgiving en Haïti. Bien sûr, la question « pourquoi pas ? » peut se poser. Et, à cela je n’ai qu’une réponse: la préservation de notre culture haïtienne.

Ce jeudi, j’ai été invité à deux dîners de Thanksgiving en Haïti.

Je n’ai pas été, mais…

Il me semble que cette année, en Haïti, nous avons tous décidé d’être encore plus Américains que d’habitude. Thanksgiving semble s’imposer petit à petit dans le pays comme une fête nationale. Chez les moins pauvres qui, évidemment, constituent une minorité, cette fête américaine est carrément célébrée. Hier, les restaurants de Pétion-Ville ont offert des dîners de Thanksgiving alors que les magasins ont tenté d’attirer la clientèle avec des rabais Black Friday. La majorité des « chanceux » qui ont passé quelques jours aux États-Unis ainsi que ceux qui ont un compte Facebook et une connexion internet ont décidé de fêter avec Tonton Sam. En tout cas, moi j’ai vu beaucoup de photos de tables bien garnies chez plusieurs Haïtiens vivant en Haïti et célébrant allégrement Thanksgiving sur mon fil de nouvelles.

Je n’ai pas été, mais…

Cette acculturation qui déplait aux quelques Haïtiens qui se veulent encore patriotes n’est pourtant que le reflet de la situation socio-économique de notre cher pays. Nous dépendons encore de l’aide internationale et notre population n’arrive à survivre que grâce à l’argent de la diaspora haïtienne majoritairement basée aux États-Unis. Il est plutôt logique que le pays qui nous nourrit ait une aussi grande influence sur nous. Cette crise identitaire qui sévit sur la terre de Toussaint est donc le résultat de la crise économique qui s’est exacerbée au fil des années. On pourrait être portés à croire que ces comportements sont attribuables à une crise culturelle plutôt qu’à une crise économique mais, la culture n’est rien sans le catalyseur que représente une économie solide et dynamique. Dès que l’économie d’un pays se meurt, sa culture meurt avec lui, devenant, à partir de ce moment-là, un simple folklore exposé dans des musées ici et là et discuté avec éloquence par les sociologues. En réalité, la culture haïtienne se meurt chaque jour dans la vraie vie des citoyens de par son absence criante dans nos manières de nous vêtir, de manger, etc., et ce depuis plusieurs décennies.

Je n’ai pas été, mais…

Haïti n’est nullement à l’abri des effets pervers de la mondialisation. La pression de la machine capitaliste est extrêmement puissante. Non seulement elle laisse peu d’espace à l’épanouissement des cultures locales, mais en plus elle offre peu de marge de manœuvre pour protéger ce qu’il en reste. Ce problème n’est pas exclusivement haïtien, mais plutôt mondial. L’économie de marché brise les frontières économiques, mais aussi les barrières culturelles, ce qui implique un risque d’absorption de la culture et donc de l’identité culturelle des pays plus petits et/ou plus faibles par les cultures dominantes, plus grand et par conséquent, une tendance de convergence vers un modèle culturel plus uniforme. Pourtant l’équilibre entre l’acceptation de la mondialisation et l’expression de son identité culturelle existe. Pour le trouver, il faut d’abord former et éduquer des générations de citoyens qui ont une haute estime d’eux-mêmes et de leur culture d’origine (ici, je parle bien sûr d’estime de soi collective et d’identité culturelle) et surtout se doter des moyens économiques pour ce faire.

Je n’ai pas été, mais…

En Haïti, on se sort très mal de cette oppression culturelle à cause de notre fragilité économique et notre déficit éducationnel flagrants. Aussi, accoutré de mes chaussures Nike, de mes jeans Levis et de ma chemise Gap, j’écoute Jay-Z et je rejette catégoriquement et surtout hypocritement cette nouvelle tendance à fêter Thanksgiving en Haïti !

Je n’ai pas été, mais… tonè kraze’m mwen regrèt kodenn sa!

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

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