EN UNESOCIÉTÉ

Haïti n’a jamais été la “Perle des Antilles” pour les haïtiens !

0

Le 14 octobre 2015, c’est avec stupéfaction que j’ai lu dans les colonnes du Nouvelliste le titre d’un article intitulé : « Samuel Madistin veut restaurer la Perle des Antilles », sous la plume d’un journaliste de ce quotidien centenaire que j’apprécie. L’introduction rapportait que le candidat aux présidentielles : Me Madistin, étoffé de compétences et d’expériences voulait faire d’Haïti ce qu’elle a été, dans le passé, aux yeux du monde entier: « La Perle des Antilles». J’en suis resté intrigué et curieux.

En déchiffrant l’article, un peu éberlué par son titre, je découvrais qu’il ne traitait que des ambitions politiques du candidat à la présidence et je n’arrivais pas à discerner si la référence à cette fameuse « perle » était du journaliste ou spécifiquement du politicien. Il était ironique selon moi que Me Madistin, prônant vigoureusement l’idéal dessalinien fut associé à cette locution inventée par le colonialisme français, lequel colonialisme, Dessalines et nos glorieux ancêtres avaient combattus de toutes leurs forces, sacrifiant leurs vies pour notre indépendance.

Un petit rappel historique nous ravive la mémoire sur le terme : « Perle des Antilles » qui nous vient du fait que la partie ouest de l’ile (qui deviendra par la suite Haïti)  fut partie intégrante de Saint-Domingue avant l’indépendance et fut la plus riche des colonies françaises principalement en productions sucrières au 18ème siècle au bénéfice de la métropole française.

Cette richesse venait tout simplement de l’exploitation esclavagiste barbare des colons commettant une multitude de tortures corporelles inimaginables, d’exactions cruelles, de traumatismes physiques et psychologiques, de déshumanisation –  de ce qui est de nos jours considéré comme des crimes contre l’humanité- qui n’ont jusqu’ici été ni expiés par la France ni pardonnés par Haïti.

De l’exploitation éhontée du sang et de la sueur de nos aïeux par les bourreaux coloniaux, martyrisant aussi bien l’esprit que le corps des esclaves, la bible dans la main gauche et le fouet dans la main droite, la colonie de Saint-Domingue productrice d’une grande richesse économique était donc une « perle » rare pour les colons français.

Voilà d’où nous vient le terme : « Perle des Antilles » que nous répétons à tout bout de champ avec orgueil dans nos conversations, écrits, chansons sans bien saisir les données historiques. Il me semble que nous conceptualisons « la Perle des Antilles » comme le paradis perdu du christianisme ou le confondons avec les efforts progressistes de rares leaders, tel le Président Dumarsais Estimé par exemple. C’est mal comprendre l’histoire et faire des amalgames malsains. La grande période de prospérité de l’ile n’a existé qu’à l’époque coloniale et à l’unique profit des colons et de leurs descendants qui, de nos jours encore en sont les bénéficiaires.

C’est cette ignorance ou méconnaissance, qui caractérise beaucoup de nos concitoyens. Ignorance ou incompréhension qui fut malheureusement renforcée par l’abrutissement de la dictature duvaliériste  durant laquelle le terme « Perle des Antilles » fut même gravé sur les plaques d’immatriculation des automobiles en guise de fierté historique.

Donc  « restaurer la Perle des Antilles » serait inconcevable car nul ne saurait souhaiter le rétablissement de l’esclavage. Il donne également libre cours à un révisionnisme historique collectif et une conception erronée de la prospérité coloniale comme une prospérité qui serait notre. Ce qui subtilement et pernicieusement voudrait nous faire regretter ce que certains racistes appellent « le temps béni des colonies », comme le fredonnait Michel Sardou dans une chanson honnie par tous descendants de colonisés.

Cependant, je peux comprendre qu’une locution puisse subir une variation sémantique, c’est-à-dire changer de  définition ou avoir un autre sens quelque fois par un usage abusif. C’est ainsi par exemple que beaucoup de noirs à travers le monde se sont réappropriés le terme « nègre » jugé péjoratif à certaines périodes de l’histoire, ou qu’une frange d’afro-américains, le plus souvent jeunes, se désignent eux-mêmes par le terme : « nigger » qui était et est encore d’ailleurs aujourd’hui une injure raciale en Amérique. Ces sujets sont discutables et ouverts à de perpétuels débats.

Sous cet angle, si certains le conçoivent ainsi, « Haïti : la Perle des Antilles » est peut-être doux à l’oreille en dehors de son contexte historique. Cette locution même basée sur une fantaisie tendrait à nous différencier du reste de la Caraïbe.

Cependant, d’autres comme moi visualisent que notre pays à toutes les potentialités de devenir le joyau des Caraïbes par et pour les haïtiens grâce à la multitude de nos richesses inexploitées. Vu que nous sommes actuellement et tristement à la queue des nations caribéennes, il nous faudra d’abord lutter fiévreusement et courageusement dans l’arène politique, sociale et culturelle pour nous mettre au diapason de nos voisins antillais. Pour l’instant, cessons donc de croire au mirage fantaisiste que nous chérissons tant, cessons de rêver « je klè » d’une « Perle des Antilles » qui pour nous autres n’a jamais existé! Bâtissons une nation décente, unie, vraiment souveraine et indépendante où la vie mérite d’être vécue et, s’ouvrant fièrement et  cordialement au monde.

Patrick André

Je suis Patrick André, l’exemple vivant d’un paradoxe en pleine mutation. Je vis en dehors d’Haïti mais chaque nuit Haïti vit passionnément dans mes rêves. Je concilie souvent science et spiritualité, allie traditions et avant-gardisme, fusionne le terroir à sa diaspora, visionne un avenir prometteur sur les chiffons de notre histoire. Des études accomplies en biologie, psychologie et sciences de l’infirmerie, je flirte intellectuellement avec la politique, la sociologie et la philosophie mais réprouve les préjugés de l’élitisme intellectuel. Comme la chenille qui devient papillon, je m’applique à me métamorphoser en bloggeur, journaliste freelance et écrivain à temps partiel pour voleter sur tous les sujets qui me chatouillent.

    Comments

    Leave a reply

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *