SOCIÉTÉ

Haïti, Hayti, Ayiti… comment s’écrit réellement le nom du pays ?

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On vous explique les tenants et aboutissants de ce débat

Haïti, Hayti, Ayiti… chercheurs et citoyens engagés ne s’accordent pas sur la graphie à adopter pour dénommer le pays.

Dans les différents documents officiels écrits et publiés par les autorités haïtiennes, les orthographes retenues pour parler de la partie ouest de l’île sont « Haïti » pour la langue française et « Ayiti » pour les documents présentés en langue créole ; qu’il s’agisse des textes de loi, des décrets, des circulaires et même les différentes constitutions.

Mais le débat reste ouvert sur l’orthographe à retenir.

Des travaux scientifiques qui traitent la question sont rares. Mais un simple clic sur le web peut montrer que nombreux sont les auteurs qui, dans la production de certains articles, préfèrent utiliser la graphie « Ayiti » alors que d’autres choisissent « Hayti » indépendamment de la langue de production.

À ce sujet, on peut faire référence au travail du sociologue Iléus Papillon. Dans un récent article intitulé « Une sorte de revers de la médaille », une réflexion produite sur l’assassinat de l’ancien président Moïse, la seule graphie retenue par l’auteur pour parler de la République est « Hayti », quoique la langue de la production ait été le français.

« C’est une façon de rester cohérente avec mes ancêtres », avance l’ancien étudiant à la faculté d’Ethnologie avant de poursuivre que, quelle que soit la langue où il aura à écrire sur « Hayti », la graphie de son choix sera toujours celle ci-devant mentionnée.

Un héritage ancestral

Selon Iléus Papillon, parler de la première République noire au monde sans se référer à la graphie « Hayti » serait un acte de trahison vis-à-vis des ancêtres qui ont combattu corps et âme pour la conquête de notre indépendance. D’ailleurs, poursuit-il, « c’est l’acte de l’indépendance du pays, premier document officiel du jeune État, qui y a fait allusion».

Il poursuit : « Les documents officiels écrits après les batailles qui ont mené à l’indépendance “haytienne” sont là. Ils peuvent à eux seuls justifier pourquoi quelqu’un peut choisir d’écrire “Hayti” de la sorte. L’acte et la proclamation de l’indépendance en sont les ultimes exemples », avance le sociologue.

De Jean Jacques Dessalines, père fondateur de la nation, passant par le roi Henri 1er pour arriver jusqu’au début de la gouvernance d’Alexandre Pétion, Papillon confirme que la seule orthographe qui a été utilisée dans les documents officiels du jeune État était « Hayti ». Ce qui par conséquent le porte à conclure que parler de la terre de Dessalines avec une orthographe autre que celle léguée par nos ancêtres est « un acte de trahison ».

Ayiti, une graphie de longue date

L’orthographe d’« Ayiti » ne date pas d’hier. Des auteurs disent qu’elle aurait été utilisée par les premiers habitants de l’île et serait la graphie la plus ancienne. Pour d’autres, les Arawaks en avaient fait usage parce que l’île était un vaste étendu de terre remplie de montagnes, d’où la définition d’« Ayiti » en tant que « terre montagneuse. »

Selon Bayyinah Bello, historienne et professeure d’université, cette orthographe a été utilisée par les aborigènes de l’île d’« Ayiti », dont la langue comptait treize alphabets. Et du coup, dans un ouvrage qu’elle a écrit sur le père fondateur de la nation (Jean Jacques Dessalines, 21 pwenkonnen sou lavi li), l’auteure dit n’avoir utilisé que l’orthographe d’« Ayiti » dans son récit.

Invitée à la Radio Télé Caraïbes le 16 septembre 2019, l’historienne de 73 ans avance pour justifier son choix que « tout au long de l’histoire nationale, nous avions eu trois orthographes au total. “Ayiti” est le plus ancien. Ce sont les Arawaks qui en avaient fait usage».

«Donc, argumente la professeure d’université, je l’ai utilisée non seulement pour garder la graphie la plus ancienne de notre île, mais aussi pour sauvegarder notre culture de souche qui est celle des Arawaks ».

La rédaction d’AyiboPost a tenté vainement d’entrer en contact avec Bello pour obtenir plus de détails sur son choix. Elle était injoignable sur son numéro habituel.

Haïti, comment sommes-nous arrivés là?

L’acte de l’indépendance d’un pays est à une nation ce que l’acte de naissance d’un individu est à sa personne. C’est à travers ce bout de papier qu’on parvient à identifier quel nom détient telle ou telle personne. Dans le cas de la première République noire du monde, c’est la charte signée le 1er janvier 1804, proclamant son indépendance, qui a expressément changé son ancien nom de Saint-Domingue en République d’« Hayti ».

Dans une entrevue accordée à AyiboPost en janvier 2020, Julia Gaffield, professeure d’histoire à l’Université d’État de la Georgie, a confirmé avoir découvert une copie originale de l’acte de l’indépendance d’Haïti pour la première fois sur les terres de la Jamaïque en février 2010, environ un mois après le passage du dévastateur séisme du 12 janvier en Haïti.

Selon les précisions de celle qui a écrit le livre « Haitian Connections in the Atlantic World », cette découverte entre dans le cadre des recherches qu’elle avait entreprises en 2010 sur sa thèse qui portait sur « les relations d’Haïti avec d’autres pays, colonies et empires après l’acte de l’indépendance de 1804 ».

Sur ces quelques copies acheminées à notre rédaction sous forme de photos, on peut constater que la graphie que les pères fondateurs de la nation avaient retenue dans l’acte de l’indépendance était celle écrite de manière qui suit : « Hayti ». Comment sommes-nous arrivés à l’orthographe « Haïti » ? Est-ce une évolution linguistique ?

Selon Renauld Govain, linguiste et doyen de la Faculté de linguistique appliquée (FLA/UEH), il n’y a aucun doute que l’orthographe « Haïti » a été influencée par les Français. « Selon certaines hypothèses historiques, la graphie “Haïti” serait issue de deux particules : “Hay” et “ti”, dont la première serait l’équivalente de “terre” alors que la seconde voudrait dire littéralement “femme”. D’où la définition d’“Haïti” comme étant la “terre des femmes”.»

Selon les précisions de Govain, «les tenants de cette approche auraient comme argument que les Espagnols avaient décimé presque tous les premiers habitants mâles de l’île alors que les femmes étaient plus ou moins épargnées. Ce fut le premier constat des Français quand les Espagnols leur avaient cédé la partie ouest de l’île lors du traité de Riswick signé en 1697».

Jimmy Larose

Plus connu sous le nom de Jim Larose, Jimmy est auteur, juriste, professeur d’anglais et journaliste-rédacteur à AyiboPost depuis septembre 2021. Passionné de la plume, il prépare son premier ouvrage titré : « Essai sur la chute libre d’Haïti et son système éducatif »

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