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Haïti en pleine campagne de vaccination

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Des étrangers profitent de l’occasion pour se faire injecter le vaccin. Des Haïtiens grossissent les rangs, mais beaucoup demeurent sceptiques.

Delisena Boyer Geffrard habite Pernier et est âgée de 79 ans. Craignant que sa santé ne soit plus suffisamment robuste pour supporter les formes graves du Covid-19, la dame en âge mure choisit de prendre les devants. Le 5 août passé, elle s’est fait accompagner d’un proche pour recevoir sa dose de Moderna qui est le seul vaccin officiellement distribué par l’Etat en Haïti, selon Biguerson François, assistant directeur de communication au ministère de la Santé publique et de la Population.

« Ce n’est ni la décision de mes enfants ni celle d’une quelque autre personne. C’est la mienne », affirme clairement Geffrard. Toujours avec la même assurance, elle remplit et signe le formulaire que lui tend l’agent de santé. Lequel la classe dans la catégorie des gens prioritaires dans le processus de vaccination en raison de son âge et de son hypertension. Car, à côté du personnel soignant, « les personnes de plus de 50 ans et celles présentant des comorbidités sont en effet retenues comme prioritaires », explique Glézile Ménard.

L’infirmière est responsable du site de vaccination installé à l’hôpital communautaire de Juvénat. Et selon elle, le taux de vaccination est particulièrement important. « Des 1 000 doses du vaccin Moderna qui ont été envoyées au centre, 800 ont déjà été administrées. Nous sommes passés d’une vingtaine de personnes à 80-90 par jour ».

Lancée depuis le 16 juillet par les autorités sanitaires, la campagne de vaccination contre le nouveau coronavirus s’étend désormais sur tous les dix départements du pays. Avec eux, les chefs-lieux et certaines sections communales.

Un protocole strict

Les consignes sont claires : aucune personne récemment victime du Covid-19 ne peut se faire vacciner. Pour ce faire, ils doivent attendre trois mois. De même, aucun individu fiévreux n’est autorisé à prendre de vaccin contre le Covid-19.

Fort heureusement pour Delisena Boyer Geffrard, elle ne répond pas aux deux premiers critères. Cela dit, elle passe en salle d’enregistrement où un agent de santé lui remplit sa carte de vaccination avant de la transférer en salle de vaccination. C’est dans cette salle avec deux infirmières que Delisena Boyer Geffrard s’est fait piquer pour enfin être dirigée vers la salle d’observation.

Là, Geffrard doit passer quinze minutes sous le regard d’une infirmière. On met de l’eau à sa disposition aussi. C’est une étape obligatoire comme les précédentes et extrêmement importante. Car il s’agit de contrôler la réaction du corps face au vaccin. Raison pour laquelle, l’infirmière prend sa température avant de la laisser partir une fois le quart d’heure écoulé.

L’État peut se dérésponsabiliser

Vacciné hier jeudi à l’hôpital universitaire La Paix, Jean Jacques Cadet confie ressentir déjà des effets qu’il attribue à sa première dose. « Je me suis réveillé avec une forte fièvre et des maux de tête », dit le professeur d’université. Mais rien d’assez grave pour le dissuader à prendre sa deuxième dose. D’autant plus que ces effets après le vaccin sont normaux, selon des agents de santé de IMIS GHESKIO. « Cela sous-entend que le corps réagit au vaccin », disent-ils.

Aussi normaux que soient les effets secondaires, les personnels sanitaires de GHESKIO sise à Tabarre 41 font signer aux personnes voulant se faire vacciner un formulaire qui stipule ce qui suit : « Je décharge l’État, cette institution, ces prestataires, son personnel impliqué dans la vaccination de toute poursuite judiciaire ou réclamation supplémentaire. »

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Ce qu’il importe de comprendre avec la signature, explique un agent, c’est qu’« après l’administration du vaccin, si la personne vaccinée a un malaise sur place, le personnel peut la soigner ou la transférer dans un centre adapté. Si en revanche, le malaise survient après une ou deux semaines, la prise en charge ne nous concerne pas ». Et bien évidemment, signer revient à dire que l’on est d’accord.

Une campagne tardive

Jean — nom d’emprunt — un autre jeune homme visiblement dans la trentaine, rapporte s’être fait vacciner le 27 juillet dernier, environ un mois après la sortie d’une note du MSPP permettant au secteur privé d’importer les vaccins.

À l’époque de la vaccination de Jean, le vaccin n’était pas disponible gratuitement pour le grand public dans le pays.

Alors que les 500 000 doses de vaccins Moderna ne sont arrivées au pays que le 14 juillet 2021, « plusieurs cliniques privées de la capitale ont eu depuis des mois leurs propres stocks de vaccin qu’elles administraient à des personnes triées sur le volet », affirme Jean qui demande l’anonymat.

Selon les autorités sanitaires, la campagne de vaccination se déroule relativement bien. Biguerson François rapporte qu’il y avait déjà plus de 3 000 personnes vaccinées depuis le début de la campagne jusqu’au lundi 26 juillet. Ces chiffres ajoutés à ceux publiés sur la page Facebook du MSPP, soit 1 433 autres personnes vaccinées le 6 août 2021, donnent un total d’environ 13 000 personnes ayant déjà reçu la première dose du vaccin.

Marius Valéry fait partie du staff logistique qui administre le vaccin Moderna à l’hôpital Eliazar Germain situé à Pétion-ville. Il n’est pas en mesure de donner des statistiques, mais il admet que les chiffres tendent à augmenter un peu plus chaque jour. Cependant, des groupes spécifiques sont davantage constatés au centre où il travaille.

« Outre les personnels de santé, ce sont surtout des étrangers et des personnes qui ont besoin de la carte de vaccination pour voyager qui viennent prendre le vaccin », affirme Valéry qui ajoute remarquer également une forte présence des personnes âgées.

Au côté du personnel soignant, les vieillards constituent une priorité dans le cadre de cette campagne de vaccination. Il y a aussi les personnes de 18 à 49 ans qui souffrent d’une maladie chronique notamment le cancer, le VIH positif, l’hypertension, le diabète et l’asthme. « Toutefois, même si une personne ne fait partie d’aucun de ces groupes, elle peut être vaccinée si elle a déjà 18 ans », souligne Glezile Ménard.

Faut-il craindre le vaccin?

Bien que la campagne de vaccination semble connaitre un succès relatif jusque-là, certains sont encore réticents et d’autres se réclament « antivax ». C’est le cas de Joadanne Cerisier qui n’envisage pas de prendre le vaccin de sitôt. « Tant que j’ai encore le choix, je refuse de servir de cobayes à quiconque », fulmine-t-elle.

Selon l’épidémiologiste Jean Hugues Henrys, qui a beaucoup travaillé à l’élimination du choléra en Haïti, il importe de saisir la complexité de la pandémie. Le Covid-19 n’existe que depuis dix-huit mois, et cela n’est pas rien. Au contraire, il vient expliquer le comportement des plus sceptiques à l’endroit du vaccin. Parce qu’au cours de ce laps de temps, personne au monde ne peut prétendre tout savoir sur le virus. Et pourtant, « ce sont près de 170 000 études qui ont déjà été effectuées sur le Covid-19 », souligne-t-il.

Dans le cas actuel d’Haïti, bien au-delà du refus de se faire vacciner, il y a la méfiance exprimée vis-à-vis des autorités qui est indexée. « Dans un pays où rien n’est dirigé et aucun contrôle n’est exercé sur quoi que ce soit, je doute fort que l’on puisse réellement vérifier que les doses de vaccin offertes sont bien celles qu’on dit qu’elles sont et encore moins assurer que leur conservation sera effectuée dans les normes », s’inquiète Cerisier.

Cela dit, s’il lui faut prendre le vaccin, la position de Cerisier reste claire. « Je ferai le test pour voyager et je le prendrai à l’étranger ».

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Même choix pour Gessica Bazane. L’étudiante en sciences comptables à l’Université de Port-au-Prince envisage de prendre le vaccin ailleurs, puisqu’elle elle ne fait aucune confiance aux autorités.

« Tôt ou tard je serai forcée de prendre le vaccin, mais pour le moment je préfère attendre et suivre l’évolution des personnes déjà vaccinées », affirme Bazane en faisant référence aux effets secondaires de l’injection.

Sans se permettre d’être autant affirmatif, le médecin préfère mettre cette possibilité au rang de réel débat scientifique et éthique. « C’est une question de libertés individuelles par rapport à la protection d’une population », dit-il. Aussi, parler de vaccination obligatoire exige de tenir compte de l’aspect légal de la question, selon lui. Car chaque pays a sa façon de procéder. « Nous n’avons pas assez de recul qui nous autorise à prétendre que nous savons tout », conclut l’épidémiologiste Jean Hugues Henrys.

Des raisons de prendre le vaccin

« J’ai deux enfants en bas âge, je n’aimerais pas passer deux semaines branchée à une machine à respirer, donc je me fais vacciner » témoigne Nancy Dubosse. En dessous de 50 ans, Dubosse ne souffre d’aucune maladie chronique.

Dans un intervalle de 28 jours, la dame devra alors recevoir sa deuxième dose du Moderna. Elle ne sera pas obligée de revenir nécessairement à Juvénat où elle a reçu la première. « Avec la carte de vaccination qui est un certificat international, les gens peuvent recevoir la deuxième dose dans n’importe quel autre site de vaccination en Haïti et même à l’étranger dans les délais de 28 jours », explique Glezile Ménard.

Administré dans tous les sites de vaccination, le Moderna a un taux d’efficacité d’environ 92 %, selon l’Organisation panaméricaine de la santé (PAHO). En d’autres termes, sur 100 personnes vaccinées, 92 ne seront pas sévèrement affectées par la maladie. Mais, précise la PAHO, « la protection complète commence 14 jours après la dernière dose ».

Pour Jean Hugues Henrys, se faire vacciner relève d’une décision individuelle et personnelle. Cependant, il affirme que l’expérience de l’humanité a prouvé que la vaccination obligatoire a permis de résoudre bon nombre de problèmes de santé publique. « C’est grâce à la vaccination que des maladies comme la variole ont pu disparaître de la planète. La polio est aussi en voie d’élimination. La vaccination demeure donc une mesure de santé publique qui a déjà prouvé son efficacité depuis les premières vaccinations à partir du 19e siècle », renchérit l’expert.

Photo de couverture : Valérie Baeriswyl

Cet article a été mis à jour pour préciser la date du début de la campagne de vaccination. 16.5 13.8.2021

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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