SOCIÉTÉ

Gérer la crise de « L’hôpital général » en temps de crise politique

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 Docteur Jessy Colimon, actuelle directrice de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), communément appelé « L’hôpital général » confirme que des problèmes vieux de plusieurs années ont été exacerbés durant la semaine « lock ».  Néanmoins, une petite flamme d’espoir brille.

 

Mardi 19 février 2019. Il est 9 h 30, nous sommes au local de l’HUEH, attendant l’arrivée de la directrice : une jeune dame portant une robe en vert olive se tord de douleur dans un va-et-vient infini ; un homme à moitié nu, n’arrivant pas à se tenir sur une chaise en fer, appelle au secours ; certains membres du petit personnel de l’hôpital font le ménage à l’intérieur des salles des différents services ; d’autres commentent l’actualité politique. C’est parti pour une nouvelle journée semblable aux autres.

 

Avant le début de l’opération « lock »

« Dans la nuit du 15 au 16 janvier 2019, trois malfaiteurs lourdement armés ont enlevé un patient à l’HUEH (Hôpital de l’Université d’État d’Haïti) et l’ont abattu à quelques mètres de la barrière principale. Ce grave incident a créé une situation de panique au sein du personnel de l’hôpital qui ne se sentait pas en sécurité sur son lieu de travail », explique madame Jessy Colimon. Pour remédier à cette situation, la direction exécutive a renforcé la sécurité à l’entrée principale de l’hôpital. À cela s’ajoute, une patrouille permanente de la Police nationale d’Haïti prête à intervenir en cas de besoin.

 

Le service d’urgence de l’HUEH en mode « lock »

Les services d’urgence, de maternité et de pédiatrie reçoivent en moyenne respectivement 40, 15 et 20 patients par jour. La direction médicale dispose d’environ 232 infirmiers et auxiliaires, 143 médecins résidents qui fournissent les soins médicaux nécessaires. Pendant la semaine d’intensification du soulèvement populaire, le personnel soignant ne pouvait pas se rendre au local de l’hôpital. La direction a dû solliciter le Centre ambulancier national (CAN) pour assurer le transport de l’équipe. « Pendant la semaine “lock”, nous avions vécu une situation chaotique au niveau de l’hôpital », confirme la directrice.

Le service d’urgence, de par sa proximité au lieu d’affrontement entre policiers et manifestants, a subi de nombreux dommages. Des bonbonnes de gaz lacrymogène, des pierres ont été lancées en direction de la salle d’urgence de l’hôpital qui se situe à la rue St-Honoré. Les responsables ont dû interrompre pendant plusieurs jours l’arrivée de nouveaux patients.

 

 

Au-delà des problèmes conjoncturels

À côté des difficultés rencontrées durant les semaines d’effervescence politique, il y a aussi des problèmes d’ordre structurel qui sont à l’origine de l’état de fonctionnement déplorable de l’HUEH. La capacité d’accueil de l’hôpital, le manque de matériel, les médecins absentéistes, le salaire du personnel sont entre autres les différents problèmes qui handicapent l’institution.

Notons que le salaire mensuel brut des fonctionnaires s’occupant de l’entretien de l’hôpital se situe entre 11 000 et 14 000 gourdes. Les médecins résidents perçoivent 38 000 gourdes. D’où les grèves à répétition des employés de l’hôpital général, en vue de revendiquer un ajustement salarial qui prend en compte le coût de la vie.

 

Les médecins absentéistes : un dossier sensible

Pendant que des médecins de l’HUEH exigent de meilleures conditions de travail, d’autres sont en abandon de poste alors qu’ils reçoivent leur chèque chaque mois de la direction administrative et financière de l’institution. C’est l’un des problèmes majeurs de « l’hôpital général ». Face à cette situation, parfois « on tente de sensibiliser les médecins concernés ; on fait des rappels à l’ordre. En cas d’échec, on bloque leur chèque au niveau du Ministère de l’Économie et des Finances », nous explique la directrice exécutive.

L’absence des médecins sur les lieux de travail a de lourdes conséquences sur le fonctionnement des 18 services de l’HUEH. Parfois, les patients gémissent sur leur lit pendant plusieurs jours sans la moindre assistance médicale.

 

Une lueur d’espoir pointe à l’horizon

Suite aux dommages subis par l’HUEH lors du séisme du 12 janvier 2010, un projet de reconstruction financé par l’État haïtien, français et américain, a vu le jour. Les travaux qui sont en voie d’achèvement devraient permettre à l’hôpital d’améliorer sa capacité d’accueil. Il passera de 450 à 534 lits et sera doté de nouvelles salles d’opération et d’un service d’imagerie. À cela s’ajoute, le service « hôpital de jour » qui permettra au patient d’avoir le résultat de ses examens médicaux le jour même de la consultation.

Toutefois, même avec un local bien équipé, il faudra repenser le budget de fonctionnement de l’HUEH, car c’est l’un des moyens qui aidera à créer de meilleures conditions de travail en faveur du personnel pour éviter les grèves à répétition.

Rappelons que le Ministère de la Santé publique et de la Population, chargé de la gestion de l’hôpital général, disposait d’une enveloppe de 5 milliards 698 millions de gourdes dans le budget rectificatif de 2018. Ce crédit budgétaire est passé de 16,6 % en 2004 à 3,9 % en 2018. Pas besoin de chercher très loin pour se rendre compte que le droit à la santé de la population est loin d’être une priorité pour nos dirigeants.

Feguenson Hermogène

Feguenson Hermogène est journaliste et cinéaste. Il a intégré l’équipe d’Ayibopost en décembre 2018. Avant il était journaliste à la radio communautaire 4VPL (Radyo Vwa pèp la, 98.9 FM) de Plaisance du Nord.

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