POLITIQUE

Fritz Alphonse Jean dément une note du département d’État

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Les États-Unis évoquent des tentatives de corruption visant à déstabiliser le pays. Dans une note publiée hier sur X, ils saluent les conseillers ayant refusé de s’y soumettre. Le président du Conseil présidentiel, Fritz Alphonse Jean, rejette un message qu’il qualifie « d’irrespectueux »

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Dans un climat de fortes tensions au sommet de la transition, Washington affirme être informé de manœuvres de corruption visant à fragiliser Haïti.

Dans un communiqué publié sur X, le Bureau des affaires de l’hémisphère occidental du Département d’État a félicité les membres du Conseil présidentiel de transition ayant « refusé de céder à la corruption ».

Ce même bureau a renouvelé son appui à la coopération entre le Conseil et le Premier ministre. Il promet également de tenir « pour responsables toutes les personnes qui chercheront à perturber cette coopération ».

Aucune précision n’a été donnée sur la nature des tentatives mentionnées ni sur l’identité des membres concernés. Les autorités américaines ont été contactées. Cet article sera mis à jour en cas de réponse.

Fritz Alphonse Jean, actuel président du Conseil, conteste la mention de corruption évoquée par Washington.

« Ce n’est pas vrai, c’est un narratif des gens proches du pouvoir », déclare l’économiste dans une interview accordée hier à AyiboPost.

Des rumeurs font état d’une somme de trois millions de dollars américains destinée à appuyer un accord pour remplacer le Premier ministre actuel, Alix Didier Fils Aimé. Jean rejette ces accusations. Il affirme qu’aucun vote n’a été organisé en ce sens.

Pour toute décision majeure, comme la révocation du chef du gouvernement, quatre voix sont nécessaires au sein du CPT.

Les sept membres votants du conseil sont généralement répartis en deux grands blocs. Le plus influent regroupe trois conseillers accusés de corruption et considérés comme proches du représentant du secteur privé. Ce dernier, Laurent Saint Cyr, doit succéder à Jean à la présidence du Conseil dans une semaine.

« Ils nous accusent d’être achetables, déclare Jean. C’est totalement irrespectueux. C’est un affront au CPT et au pays. »

Un membre du cabinet du Premier ministre, contacté par AyiboPost, interprète la note du Département d’État comme un signe de soutien à Alix Didier Fils Aimé.

« Le blanc a parlé et c’est dommage qu’il en faille cela dans le pays », commente-t-il. Il évoque également des menaces de troubles à l’ordre public ce week-end, en lien avec la transition à venir.

En 2021, les États-Unis, avec d’autres ambassades et institutions internationales, avaient tranché un différend similaire sur le poste de Premier ministre en apportant leur soutien à Ariel Henry face à l’ancien chef du gouvernement Claude Joseph.

Des observateurs voient dans la dernière déclaration américaine une répétition d’une politique d’ingérence.

« C’est un rappel que, malgré les changements à Washington, l’interventionnisme politique reste une constante de la politique américaine en Haïti », analyse Jake Johnston, chercheur au Center for Economic and Policy Research.

« Les États-Unis prennent une nouvelle fois parti dans un conflit interne, ajoute-t-il. Ce qui complique davantage la situation, c’est que toute la structure de transition — elle-même mise en place avec un soutien appuyé de Washington l’an dernier — souffre d’un profond déficit de légitimité et ne bénéficie d’aucun réel appui populaire. »

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Plus de quatre ans après l’assassinat de Jovenel Moïse, la transition politique s’enlise.

Haïti ne compte plus aucun représentant politique élu. La moitié de la population se retrouve en insécurité alimentaire.

Les gangs contrôlent 90 % de la capitale. Leur influence s’étend à plusieurs villes de province. Ils ont déjà provoqué le déplacement de 1,3 million de personnes — un record.

Malgré certains efforts, la transition échoue, à huit mois de la fin de son mandat, à produire des résultats substantiels sur ses deux missions principales : freiner l’insécurité et organiser des élections.

Ce manque de progrès se greffe à une situation politique tendue.

Une partie du Conseil est éclaboussée par une affaire de corruption. Et la concentration prochaine des deux postes les plus puissants — président du Conseil et Premier ministre — entre les mains du secteur privé suscite des critiques.

« Des membres du secteur privé ont participé à ce chaos », accuse le président actuel du Conseil, évoquant une véritable mafia parmi les investisseurs.

Selon l’économiste, auteur de Haïti, une économie de la violence, certains acteurs économiques seraient « impliqués dans la distribution des armes et le blanchiment d’argent. Et quand c’est le secteur privé qui va diriger les deux branches, dit-il, cela soulève des inquiétudes légitimes. »

Lors de son entretien avec AyiboPost, Fritz Jean se trouvait dans le Nord du pays, où il inaugurait un lycée d’excellence à Quartier-Morin aux côtés du conseiller Leslie Voltaire.

« On a un problème historique dans le pays qu’on essaie de poser : la question des Noirs et des Mulâtres, on doit l’adresser, déclare Jean. Si deux branches de l’exécutif sont représentées par une seule catégorie, poursuit-il, cela va réveiller des démons cachés. »

Au-delà du colorisme, c’est la stabilité du pays qui est en jeu.

Le tandem issu du secteur privé n’était pas « planifié », commente à AyiboPost un acteur influent du milieu des affaires. « De toutes les façons, dit-il, la sortie de crise n’est pas claire. Il faut un dialogue plus ouvert et plus inclusif pour aller vers des élections légitimes et crédibles, afin de sortir de la crise de manière structurée. »

Fritz Jean a accédé à la présidence du CPT en février 2025, succédant à Leslie Voltaire dans le cadre d’un accord de rotation à la tête du Conseil.

Durant son mandat, le CPT a inauguré un centre d’appel national destiné à améliorer la communication entre l’administration et les citoyens, ainsi qu’au moins une école.

Cependant, seuls trois conseils des ministres ont été organisés, dont deux au cours des trois premiers mois.

Le 9 juin 2025, Fritz Jean justifiait cette rareté en affirmant qu’un conseil des ministres « ne doit pas servir qu’à nommer des directeurs généraux incompétents. Mais à aborder les problèmes structurels auxquels fait face le pays. »

Le même jour, dans une publication sur X, le conseiller Emmanuel Vertilaire dénonçait un « ego stérile qui fracture l’unité » au sein du Conseil.

Le nom de Vertilaire, représentant du parti Pitit Desalin, apparaît dans un scandale de corruption impliquant un ancien président de la Banque nationale de Crédit et deux autres conseillers, Smith Augustin et Louis Gérald Gilles.

L’administration dominée par le secteur privé devra composer avec la méfiance de l’opinion.

« J’espérais que cette équipe au pouvoir allait changer certaines choses, notamment en ce qui concerne la sécurité. Mais jusqu’à présent, il n’en est rien », confie une agricultrice de Petite-Rivière de l’Artibonite, contrainte de fuir sa maison et ses terres en avril 2025 après l’arrivée de gangs dans sa commune.

« Je ne m’attendais à rien dès le départ. Et je ne m’attends à rien aujourd’hui non plus », ajoute Josué Pierre Louis, un jeune diplômé en droit habitant à Saint-Marc.

Il pointe les tensions internes au sein du Conseil présidentiel et l’absence de cap clair pour atteindre les objectifs de la transition.

« Sans vision collective, il était illusoire d’espérer des actions durables », conclut-il.

Par : Widlore Mérancourt et Wethzer Piercin

La photo de couverture a été prise par Valérie Baeriswyl au local d’AyiboPost en février 2022.

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Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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