Le rapport d’une commission réunissant des membres du Sénat et de l’Assemblée nationale du Kenya communique des détails sur les dessous de la prochaine mission multinationale en Haïti
Le rapport préparé par un comité bicaméral du parlement kenyan et voté hier jeudi, autorisant le déploiement en Haïti de policiers de ce pays, offre des informations clés sur les préparations pour la mission, approuvée en octobre dernier par les Nations Unies.
Le document de plus de 80 pages obtenu par AyiboPost répercute des discussions non publiques réalisées par les acteurs, l’objectif de la mission en Haïti, le résultat du rapport d’évaluation de terrain et le coût du déploiement.
Selon le comité, la mission multinationale doit supporter la Police nationale d’Haïti (PNH) et aider à rétablir la loi et l’ordre, mener des opérations avec l’institution, aider au maintien d’infrastructures et routes clés et permettre un accès sécurisé à l’aide humanitaire.
La PNH demande «au moins 2 500» personnels de différents pays pour l’assister, selon le document. Le Kenya promet 1000 policiers, et d’autres pays du continent tels que le Sénégal, le Burundi ou le Tchad devraient prendre part à l’initiative. Il n’est pas clair si la demande minimale de la police nationale est atteinte.
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Le 18 août 2023, une «équipe» venant de plusieurs institutions étatiques du Kenya a reçu un briefing de sécurité des missions à l’ONU du Kenya, des États-Unis et d’autres amis d’Haïti comme le Canada, l’Union européenne ou le Rwanda.
L’équipe a été informée lors du briefing que «la Cour de cassation [d’Haïti] est inadéquatement constituée, la justice est corrompue, les juges sont menacés par les gangs, les documents de tribunaux ne sont pas entretenus et les mécanismes de responsabilisation sont faibles.»
Cinq mois avant ce briefing, le gouvernement d’Ariel Henry avait sorti un arrêté dans le journal officiel Le Moniteur pour nommer huit juges à la Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire du pays. Le 22 novembre 2022, le Premier ministre avait déjà installé un président à la cour.
Selon l’article 175 de la Constitution de 1987, les juges à la Cour de cassation sont nommés pour dix ans par le président de la République sur une liste de trois personnes par siège soumise par le Sénat.
La PNH demande «au moins 2 500» personnels de différents pays pour l’assister, selon le document. Le Kenya promet 1000 policiers, et d’autres pays du continent tels que le Sénégal, le Burundi ou le Tchad devraient prendre part à l’initiative.
La légalité de certaines actions d’Ariel Henry à la tête de l’État, comme la nomination de juges pour rendre fonctionnelle la Cour de cassation, fait débat dans les cercles juridiques.
Selon les informations communiquées aux Kenyans par les participants au briefing, Ariel Henry officie comme président provisoire d’Haïti, un titre que le Premier ministre ne revendique pas publiquement.
Le Kenya demande que toutes les ressources soient disponibles avant le déploiement.
Un tableau budgétaire du document obtenu par AyiboPost porte à 241 millions de dollars américains les dépenses devant être engagées pour notamment l’entrainement, le support administratif, l’achat d’équipements, etc. Les calculs d’AyiboPost, basés sur les six lignes de dépenses mentionnées dans le document, donnent 300 millions.
Le Kenya dépense déjà pour le personnel de la mission. Cet argent doit être remboursé par les Nations Unies, selon le document.
Téléchargez ici le rapport de la commission réunissant des membres du Sénat et de l’Assemblée nationale du Kenya
D’après le comité, les États-Unis promettent de transporter le personnel et l’équipement du Kenya vers Haïti.
Le texte indique que l’Organisation des Nations Unies est responsable de l’assurance des officiers de police kényane déployés en Haïti. Par conséquent, l’indemnisation de tout préjudice subi par les officiers est à la charge des Nations Unies.
Selon les informations communiquées aux Kenyans par les participants au briefing, Ariel Henry représente le président provisoire d’Haïti, un titre que le Premier ministre ne revendique pas publiquement.
La décision de l’Assemblée nationale prévoit la création d’un organe de coordination stratégique qui assurera la liaison, recevra et compilera les rapports trimestriels des unités de police du Kenya, en guise d’évaluation et de suivi des progrès et l’efficacité de la mission.
Selon le comité, ces rapports permettront de garantir les intérêts nationaux du Kenya afin d’assurer ses priorités socio-économiques.
Ekuru Aukot, le constitutionnaliste qui mène l’action en justice contre le déploiement, révèle à AyiboPost qu’en cas d’autorisation pour le départ des policiers par la Haute Cour de Justice le 26 janvier 2024, il fera appel pour contester la décision à la cour d’appel, et éventuellement à la Cour suprême, ce qui potentiellement retardera davantage la mission. « Puisque nous avons intenté un procès contre le ministre de l’Intérieur, si le déploiement se poursuit, nous le citerons pour outrage à la cour. »
Selon le juriste Eric Theuri, président du Law Society of Kenya (LSK) interviewé par AyiboPost, l’autorisation du « parlement est un outrage à la cour [qui entend des contestations sur la mission]. En vertu de la Constitution du Kenya, le parlement n’a aucun mandat légal pour approuver un tel déploiement.»
Près de 70 % des Haïtiens seraient en faveur du déploiement d’une force internationale pour combattre l’insécurité en Haïti, selon un sondage sorti en février 2023 par le Diagnostic Development Group et financé par l’Alliance pour la gestion des risques et la continuité des activités (AGERCA, un regroupement d’associations patronales).
Un tableau budgétaire du document porte à 241 millions de dollars américains les dépenses devant être engagées pour notamment l’entrainement, le support administratif, l’achat d’équipements, etc.
Contacté par AyiboPost, Silas Nyanchwani, un écrivain kenyan, dit son opposition au déploiement de ses compatriotes en Haïti. «C’est un projet entre le gouvernement kenyan et le gouvernement américain», dit l’ancien étudiant en science politique de l’université de Nairobi. «Le Kenya n’a pas d’affaires en Haïti et ce pays ne nous a pas menacés», soutient-il.
Depuis 1989, la police du Kenya a pris part à au moins dix missions de maintien de la paix.
«En Haïti, ce sera différent puisque ce sera une mission de renforcement de la paix», déclare à AyiboPost Tony Moturi, conseiller légal d’un parti de l’opposition.
Selon le juriste, la barrière linguistique — car les Kenyans parlent le swahili et l’anglais — posera problème. «Comment [ces policiers] vont-ils travailler ? se demande Tony Moturi, rappelant que ces agents ne «connaissent même pas le terrain.»
Par Jérôme Wendy Norestyl & Widlore Mérancourt
Cet article a été mis à jour avec une citation de Ekuru Aukot. 8.48 18.11.2023
Image de couverture : une vue aérienne du parlement kenyan | © mzalendo
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