SOCIÉTÉ

Faut-il avoir peur du vaccin AstraZeneca ?

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Les gestes barrières comme le port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale sont obligatoires, car les cas de coronavirus se multiplient. Les décès aussi.

Infirmière de profession, Angenie Baptiste a travaillé dans un centre de prise en charge du Covid-19 durant la première vague de la maladie en Haïti en 2020. La professionnelle déclare ouvertement qu’elle ne prendra pas de vaccin contre le Coronavirus.

« Je sais que le personnel soignant aura accès en priorité au vaccin, mais je préfère m’abstenir de ce processus en attendant », laisse entendre Angenie Baptiste. La dame dit avoir des inquiétudes par rapport aux effets secondaires d’une éventuelle injection.

La peur bleue des vaccins ne s’exprime pas que localement. Des Haïtiens de la diaspora manifestent aussi leur appréhension.

Anderson Yves travaille dans une compagnie de sécurité au Canada. Le ressortissant haïtien a préféré perdre son boulot, parce que la compagnie exigeait à ses agents une fiche médicale de vaccination afin d’avoir un nouvel horaire de travail.

Comme des milliers d’Haïtiens du pays, Anderson Yves fait dans la prudence. « Pour l’instant, je préfère suivre l’évolution du vaccin chez les gens. Aucune institution ne va me contraindre à prendre un vaccin sous prétexte que le gouvernement l’a exigé ».

Depuis l’annonce de l’arrivée de la pandémie en Haïti, fin mars 2020, seulement 321 personnes en sont officiellement mortes, malgré les scénarios catastrophiques, se chiffrant à plusieurs milliers de décès communiqués alors par des scientifiques du pays.

Depuis l’annonce de la circulation locale des nouveaux variants anglais et brésilien du Coronavirus, les autorités sanitaires affirment observer une accélération des nouveaux cas positifs et des fatalités.

Malgré tout, les Haïtiens ne manifestent pas pour exiger un vaccin contre le Coronavirus.

En avril 2021, les autorités haïtiennes avaient rejeté 756 000 doses du vaccin AstraZeneca proposées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en raison de « l’agitation mondiale » qui entoure ce vaccin. Elles avaient aussi souligné leur incapacité à stocker les injections dans des conditions optimales.

Un mois après ce refus, le directeur général du MSPP, Lauré Adrien, annonce que 130 000 doses du vaccin AstraZeneca devraient arriver en Haïti entre fin juin et début juillet 2021.

« On est en droit d’avoir de sérieux doutes sur les vaccins. Ce, à cause de la vitesse à laquelle ils ont été mis au point,  affirme Jean-Hugues Henrys, cadre du MSPP. Un fait est sûr, en considérant le rapport risque et bénéfice, on ne peut pas dire que les vaccins n’ont pas d’utilité. À l’heure actuelle, les bénéfices sont beaucoup plus importants que les risques ».

Le décret adopté le 16 mars 2021 sur le vaccin est également source de confusion. D’après l’article 2 du document, les vaccins ne seront pas obligatoires et les récipiendaires devront signer un formulaire de désistement de toute poursuite « contre les fabricants et l’État en cas de manifestation d’effets indésirables graves par suite de l’administration du vaccin ».

Cette déclaration a suscité des dizaines de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux. À travers cet article, l’État montre qu’il n’a plus confiance dans sa démarche. «Si w pran vaksen an se zafè pa w», parce que les dirigeants actuels se dédouanent de toute responsabilité dans le processus ».

Quelques cas inquiétants

Bien que rares, des cas de thromboses ont été détectés chez des personnes ayant pris le vaccin AstraZeneca. On parle de thrombose lorsqu’un caillot sanguin obstrue une veine empêchant la libre circulation du sang à travers les vaisseaux sanguins.

Pour dissiper les doutes sur le vaccin Astrazeneca et susciter l’adhésion des citoyens à la prochaine campagne de vaccination, les centres Geskhio dont le responsable, William Pape, était président d’un comité scientifique chargé de lutter contre la pandémie, ont organisé hier vendredi 4 juin un atelier de travail organisé avec des journalistes seniors à l’hôtel Karibe.

« Haïti fait partie de six pays au monde à n’avoir pas encore commencé un processus de vaccination », a déclaré l’interniste Karine Sévère, lors de cet atelier de travail.

« Sur cinq millions de doses AstraZeneca administrées dans le monde, poursuit la professionnelle, il n’y a eu que 30 personnes qui ont développé des thromboses. La quantité est très faible et cela n’a guère empêché près de onze millions de gens de prendre ce vaccin ».

Jean-Hugues Henrys est pour une campagne de vaccination contre le coronavirus en Haïti. « Je pense que ces trois catégories ne devraient pas lésiner sur la nécessité de se faire vacciner : les personnes âgées, le personnel soignant et ceux qui vivent avec des comorbidités, comme les gens hypertendus ou diabétiques. »

Les vaccins protègent contre les formes graves de la maladie coronavirus, confie docteur Jean William Pape, au cours de l’atelier. L’expert affiche une préférence pour les vaccins à dose unique.

« Quel que soit le vaccin, on a intérêt à l’avoir, dit le responsable des centres Gheskio. Les vaccins à deux doses requièrent un temps de stockage beaucoup plus long que ceux à dose unique. Cela diminuerait le coût du stockage et serait beaucoup plus avantageux pour le pays ».

Les réseaux contribuent grandement à renforcer la méfiance d’une partie de la population.

Certains messages qui requièrent la vigilance de la population à l’égard de tout processus de vaccination contre le coronavirus obtiennent des centaines de partages sur Facebook.

« Ceux qui admettent que la maladie existe estiment que les gens touchés ne développent pas de graves symptômes, observe Dorly Legrand, spécialiste en santé publique. Le constat est clair à travers les centres de prise en charge existants dans le pays, les gens ne meurent pas du coronavirus, continue le professionnel. Il est vrai qu’on ne réalise pas assez de tests, mais si les gens mouraient de la maladie on verrait cela dans les communautés et dans les hôpitaux du pays. Les gens ont conclu que si la maladie ne développe pas de formes graves en Haïti, pourquoi il nous faut un vaccin qui, probablement, produira des effets secondaires ».

Des personnes avisées se prononcent également contre toute vaccination.

Illionor Louis est sociologue et professeur à l’Université d’État d’Haïti. Pour lui, la situation en Haïti n’est pas si alarmante pour obliger la population à se faire vacciner. « À date, on n’a pas encore recensé mille décès, dit-il. Le problème du pays n’est pas le coronavirus. Ceci est tellement vrai que les autorités ont eu le temps d’organiser les festivités carnavalesques ».

Une méfiance internationale

Seulement cinq vaccins ont été homologués par l’Organisation mondiale de la santé. Il s’agit du vaccin Jhonson et Jhonson, Pfizer/BioNTech, AstraZeneca, Moderna, Spoutnik V.

En France, les résultats d’une enquête réalisée en mars 2021 sur la perception des gens sur les vaccins démontrent un taux de méfiance à la hausse pour les vaccins en général. Selon ces données, la méfiance des Français est chiffrée à 57 % à l’égard du vaccin AstraZeneca. 55 % des gens indiquent cependant avoir confiance dans les autres vaccins comme Pfizer/BioNTech et Moderna.

Pourtant, des centaines de scientifiques crédibles font la promotion des vaccins homologués. « Les cas de décès causés par les vaccins résultent forcément des antécédents médicaux des patients », selon le docteur Phillipe Desmangles.

Historiquement, les vaccins ont contribué à éradiquer des maladies dangereuses. Mais les préparatifs pour une campagne contre le coronavirus ne semblent pas très avancés en Haïti.

Les plus grands problèmes de la vaccination contre le coronavirus découlent de l’irresponsabilité des acteurs étatiques, analyse Dorly Legrand, spécialiste en santé publique. « À date, il n’y a pas de campagne de sensibilisation pour la vaccination en Haïti et les autorités n’ont pas expliqué pourquoi il faut se faire vacciner, quels sont les résultats escomptés et comment on va procéder pour le faire », ajoute Legrand.

Les docteurs Lauré Adrien et Paule-André Biron Louis, respectivement directeur général du MSPP et responsable du programme de vaccination en Haïti, n’ont pas répondu aux demandes d’interviews dans le cadre de cet article.

Les 130 000 doses de vaccins qu’aura le MSPP via l’OMS ne peuvent vacciner que 65 000 personnes en Haïti, à raison de deux doses par personne. Cette faible quantité ne suffira pas pour immuniser toute la population. Quand est-ce que les autorités du pays entreprendront des démarches pour faire l’acquisition d’une quantité plus ou moins suffisante de vaccin pour le pays ?

Dans l’attente de ces réponses, les gestes barrières comme le port du masque, le lavage des mains et la distanciation sociale sont obligatoires, car les cas de coronavirus se multiplient. Les décès aussi.

Cet article a été mis à jour pour clarifier la provenance de propos attribués incorrectement au docteur Henrys. 5.6.2021 21.19

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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