EN UNEFREE WRITINGSOCIÉTÉ

Être violée à 20 ans

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« Il est près de 3h du mat, j’ai un examen dans 4h et je m’en balance royalement. Et non, il n’est pas question de coup de cafard. L’écriture ayant toujours été mon mode d’expression préféré, il faut bien que je me lâche, que je respire parce que j’étouffe, au sens propre du terme.

 Pour commencer je dirais que ma vie suit une logique déroutante, dommage que ce soit du mauvais côté de la balance : attouchements sexuels, harcèlements sexuels, agressions sexuelles. Et cela exclut tous les autres malheurs qui se sont placés sur mon chemin ce dernier mois. Mes amis persistent à me dire que je suis forte, ils m’admirent alors que tout ce que je souhaite c’est que quelqu’un me prenne dans ses bras et me dise : « ça va aller ». J’ai un grand besoin de d’affection, mais je joue si bien à la fière et à la forte que me réconforter apparaîtrait comme une insulte.

 J’ai simplement TRÈS MAL, et plus du tout envie de vivre. Aucune volonté. Néanmoins, à chaque fois que je vois l’image de ma mère, je dépose le couteau. Elle ignore tout ce qui se passe dans ma vie.

 Dans quelques heures je regretterai sûrement d’avoir écrit tout cela. Je ne me plains pas, j’expose des faits tout en me convaincant que boire du chlore n’est pas la meilleure solution.

 Je ne veux plus vivre, que cela plaise au bon Dieu ou pas. Lui qui m’a donné la vie, je lui demande humblement de me la reprendre. Le pire dans tout cela, c’est que je ne peux pas pleurer. J’ai l’impression d’être transformée en un être insensible même à sa propre douleur. Je fais preuve d’un cruel sang-froid, je ne bronche pas, je ne sourcille pas et pourtant à l’intérieur de moi, on est encore en train de me labourer comme un champ.

 Je suppose qu’à force de me faire agresser je finis par ne plus rien ressentir. Je pense à ma sœur et ma mère adorées et j’ arrete mon geste ; les deux dernières fois, j’avais agi sans réfléchir mais là c’est différent. La maturité, je suppose.

 Je suis seulement âgée de 20 ans et je me fous de ceux qui m’énuméreront d’autres qui ont vécu pire et qui ont tenu bon. Je ne suis que moi, personne d’autre ; je projette peut-être l’image d’une autre. Je ne suis pas sûre de qui je suis tout à fait après tout, mais je sais au moins qui je ne suis pas. Et cette fille là que mes amis admirent pour sa force. Cette fille qui paraît stoïque, fière, même après qu’un salaud l’ait violée, qui ne pleure pas, n’est certainement pas moi !

 Seulement 20 ans et j’abrite tant de colère, de fureur et de frustrations, de quoi nourrir une armée entière. Je ne veux cependant pas devenir amère. Le goût de mon amertume croissant commençait à me monter la gorge. Je veux garder cette candeur qui me permettait de continuer à voir le bon côté des gens même quand tout le monde voyait en eux des emmerdeurs ; je veux continuer à être cette fille capable de se dire et vraiment penser que « tout ira bien ». Je veux que mes amis continuent de croire que s’il y a bien quelqu’un qui puisse leur prêter l’oreille durant les moments difficiles, peu importe l’heure et les circonstances, c’est bien moi.

 Mais je n’ai que 20 ans, l’âge où normalement les seuls problèmes devraient être les garçons et le choix d’une paire de chaussures. A cet âge on ne devrait pas s’inquiéter de sa survie!

 S’il y a bien un Dieu (je continue de croire), qu’il écoute la prière d’un être misérable qui le supplie d’apaiser sa douleur ! Je ne veux plus. Non, je ne veux plus ! ».

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Ces mots, je les ai vomis sur une page blanche, il y a de cela trois ans. C’était un début de mois d’avril assez mouvementé. Ma vie avait basculé. Je revenais de l’église un vendredi soir, un garçon que je connaissais m’aborda. J’étais bien, j’étais peinarde car, les problèmes quotidiens de ma vie s’effaçaient après l’ouverture du sabbat. Comme toujours, l’église m’apportait cette paix intérieure, brève mais intense. Ce sentiment n’allait malheureusement pas trop durer. Deux heures plus tard, déboussolée, terrifiée, je frappai à la porte de mon petit ami de l’époque. C’etait le seul endroit où je pouvais me réfugier. A cette période, je ne pouvais pas compter sur la tendresse familiale pour m’aider à guérir cette plaie. Ma famille était en pleine crise.

Je me rappelle encore de chaque minute de cette horrible scène. Cependant, aujourd’hui, trois ans après, je n’ai plus aussi mal. La douleur physique que j’ai ressentie est encore gravée dans ma mémoire. Je me rappelle encore être tombée deux fois en me sauvant. Je le vois encore me courir après pour me demander pardon.

Tout de suite après l’acte destructeur, mon viol, moralement je me sentais curieusement sereine. Je ne souffrais pas. Le déni, je suppose. Une sainte indifférence. Quelques mois plus tard, j’ai commencé à avoir des cauchemars, là, je compris que je n’étais pas aussi inébranlable que je le pensais. J’ai donc relativisé. Ce n’était pas aussi grave, après tout des gens se faisaient violer tous les jours. Ma belle théorie de la relativité des douleurs a fonctionné un moment. Mais cette posture s’était complètement effondrée lorsque j’ai revu mon agresseur un an plus tard. Il s’est arrêté m’a parlé et m’a demandé de mes nouvelles comme si rien ne s’était passé entre nous. Il afficha un sang-froid et un sadisme qui aurait fait s’incliner même le marquis. J’étais avec mon petit ami, j’avais totalement paniqué et là, avait commencé ma profonde crise d’angoisse. Quelques mois plus tard, j’ai dû commencer une thérapie.

Mes quelques rares amis au courant de l’affaire ne comprenaient pas mon refus de porter plainte. Je n’avais peur d’une seule chose: le scandale. Mes parents auraient su, tout le monde m’aurait prise en pitié ou m’aurait condamnée.

Suivant la logique déroutante du canevas de ma vie qui ne comprenait pas uniquement un violeur mais aussi un harceleur, j’avais aussi évité de porter plainte contre un autre malade. C’était quelqu’un de respecté, avec une famille, des gens de la haute société dans son entourage. Et vu notre culture du viol, j’aurais sans doute été lynchée comme aguicheuse, dans cette société qui diabolise la victime. Et aussi je refusais que les gens soient au courant de ma vie privée. Je gardais jalousement ces horreurs en mémoire.

Aujourd’hui, je suis toujours remplie de colère et de frustrations mais je peux déjà en parler. Voilà mon cri du cœur, que j’ai longtemps fait taire. Je l’ai longtemps cherché avant de pouvoir le présenter, ne serait-ce que derrière un écran. Contrairement à ce qu’affirme certaines victimes, mon viol ne m’a aidée en rien. Juste une horreur en plus qui fait de moi un cas de figure intéressant pour mon psy qui veut comprendre le bordel dans ma tête.

Je n’ai aucun bon souhait envers mon agresseur, je n’oublie pas, mais je veux continuer à avancer avec ma vie. J’ai des rêves. J’aime, je déteste, je jouis des bonheurs simples. Je ne pleure peut-être pas mais j’ai mal quand il le faut. Je me permets de vivre et tente de comprendre ce malaise qui jadis fut insoutenable. J’ai toujours vécu, je vis et je continuerai à vivre.

 

Saonha Lyrvole Jean Baptiste est etudiante en sciences du langage, amoureuse de musique et de lecture. L'ecriture est sa passion.

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