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Être bayakou peut rapporter beaucoup plus que vous croyez!

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Le vidangeur est considéré comme l’un des métiers sales en Haïti. Ce n’est pas le genre d’homme que des parents souhaitent avoir pour gendre. Cependant, un tel métier peut permettre à un homme de gérer sa famille sans aide extérieure.

« M konn bay madanm mwen 1000 goud pou l ka fè labouyi, lè se diri kole m bay 1500 goud », ainsi se vante Tiyou, un vidangeur qui habite au village de Dieu. L’homme de 56 ans peut nettoyer votre latrine pendant toute une nuit ou une journée à partir de 7500 gourdes jusqu’à 15 000 gourdes. Selon bien-sûr l’épaisseur du « jazz », c’est le nom que Tiyou donne aux toilettes, elles sont toutes pour lui des Tropicana et des Septent. Il les appelle ainsi parce que dans ces fosses se trouve toute sa vie. Il est très demandé, dans une semaine Tiyou peut trouver jusqu’à 3 contrats . Pour monter sur le chantier, le vidangeur doit avoir la moitié de son argent en poche. Il paie deux hommes 1000 gourdes chacun et 500 pour manoeuvrer la brouette s’il y a nécessité. Ce prix ne change pas pour quel que soit la somme pour laquelle Tiyou  effectue le travail. Quand il œuvre la nuit, il jette les matières dans les ravins. Le jour, il les brûle dans la cour du propriétaire avec l’accord de celui-ci.

De son vrai nom Raymond Bovil, Tiyou est né dans une famille de 14 enfants dont il est le deuxième. Après la mort de son père en 1977, Le petit Raymond a dû quitter l’école en sixième année fondamentale pour aider sa mère qui ne travaillait pas, avec ses frères et sœurs plus jeunes que lui. À l’époque il faisait le courtier des vidangeurs de la zone à l’insu de sa maman. Il a fait ses premiers pas en ébénisterie, de là étant il est devenu maçon jusqu’à devenir bayakou, le métier qui reste pour lui de loin le plus rentable d’entre les trois.

Vie sociale                       

Ceux qui connaissent Raymond Bovil l’appellent Ingénieur Tiyou. Il dit qu’il est ingénieur parce qu’il effectue bien son travail. Tiyou a cinq enfants de trois femmes différentes. Bien qu’il soit séparé des mères de ses enfants, Raymond Bovil participe à tout les niveaux dans le bien-être de la vie de ces derniers : logement, nourriture, l’école, graduation, etc. Actuellement Tiyou sort avec une femme de 25 ans. Il dit entretenir la jeune femme avec des greffes et des habits qui la rendent « pretèks », ce vocabulaire chez le vidangeur veut dire coquette. Au fait, il a perdu son ex-compagne qui elle-même est âgée de 20 ans avec qui elle sortait depuis plus de quatre ans. Le quinquagénaire raconte qu’un marchand de canne-à-sucre lui a piqué sa femme par des pratiques maléfiques.  Parce que pour lui, une femme aussi bien entretenue ne devrait pas partir. « Jiskaprezan manzè konn vin mande m kὸb. Nèg la se de kann pou l kale pou l bay lajan alὸske mwen men, se kage epi lage kὸb, » relate Tiyou avec un éclat de rire.

C’est le type qui nous apprend que bayakou, savon banda et parfum ne font pas bons ménages. « Yon jou m rantre lakay mwen, m te fin byen benyen epi m met pafen , madanm mwen fou l ap chache yon rat ki mouri nan kay la paske li te pran yon move sant, san l pat menm konnen ke sete mwen ki te rat mouri a », c’est une expérience qu’a vécu Tiyou avec son ex-femme quand elle ne savait pas encore que son homme s’occupait des toilettes. « Lè manmzèl vin konnen, yon jou l ap joure m li di m santi luil machin », avoue Bovil d’un air triste. Selon lui, la femme voulait dire qu’elle avait l’odeur du caca mais craignait de le dire car c’est cette odeur qui l’envoie au marché. Mais il se réjouit du fait qu’il n’est jamais tombé malade jusqu’à se rendre à l’hôpital, sauf quelques malaises à se réveiller le matin.

Le vidangeur, un métier risqué        

En dépit du fait que le métier de vidangeur soit rejeté par la société, il est tout au plus risqué. On ne peut pas travailler dans une zone où l’on est inconnu, on risque de se faire tuer par les bayakou de la zone s’il y en a. S’il faut œuvrer durant la soirée, on doit avoir l’aval des marchands nocturnes parce qu’on ne peut pas les déranger.

Pour bien exécuter la tâche, il faut pénétrer la fosse de la latrine. Avant de rentrer on ajoute des substances aux toilettes pour atténuer l’odeur des matières. Le Keolin et le formol sont les potions magiques de tout bayakou qui se respecte,  selon Tiyou  « Depi ou fin met pwodui sayo, ou kraze moral Jazz».  À écouter Tiyou, le métier parait être simple. La règle d’or: « Depi zepὸl ou rantre tout kὸ w ap antre. » Une fois rentré, on prend les matières avec des sacs pour les passer aux autres travailleurs. Tiyou nous raconte qu’un homme est resté une fois dans une fosse et y a trouvé la mort. Pourtant il croit dur comme fer qu’il s’agissait de la malfaisance.

Les vidangeurs doivent gérer les enfants dans les rues qui font pression sur eux pour leur soutirer de l’argent  quand ils passent avec les sacs ou les brouettes remplies d’excréments. « Lè konsa nou oblije fè yon jès, yo 250 dola pou yo separe sinon y ap tire boutèy sou nou. »

Au moment où Tiyou nous parlait, il avait un rendez-vous pour un travail le lendemain soir et le surlendemain à Gressier et à Croix-des-bouquets. Avec une moyenne de trois contrats par semaine à 10,000 gourdes , Tiyou a un revenu de 120,000 gourdes par mois. Après les dépenses en matériel et les paiements de ses assistants, il empoche bien plus que 50,000 gourdes par mois. Sans le savoir, Tiyou a un salaire supérieur à la grande majorité des enseignants, des cadres de l’administration publique et beaucoup de professionnels évoluant dans le secteur des services.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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