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Enquête : Le civisme est-il enseigné aux futures élites haïtiennes?

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En prenant en avril 2016 les commandes de la présidence de la Commission Indépendante de Vérification et d’Evaluation des élections législative et présidentielle de 2015, M. François Benoit eut à déclarer face à cette lourde responsabilité que pour lui c’était un « devoir citoyen » (1). Il faisait assurément référence à la conscience citoyenne résultant d’une éducation à la citoyenneté ou à l’éducation civique. Pour le sociologue Hérold Toussaint, le civisme « peut désigner la conduite des personnes (citoyens) ayant un rapport indifférencié à l’Etat et signifie sens des devoirs collectifs au sein d’une société » (2). Pour nombre d’observateurs de l’évolution d’Haïti durant ces trente dernières années, l’absence de civisme se fait sentir dans toutes les sphères de la société allant du comportement des politiciens à celui des simples citoyens accentuant la possibilité que cette absence peut être comblée par l’éducation.

Par sa contribution à l’amélioration de l’environnement physique, social et économique du pays, l’éducation constitue un instrument de développement national. Pour que le pays puisse offrir des lendemains meilleurs à sa population, l’éducation à la citoyenneté semble donc être un passage obligé dans la formation des nouvelles générations.

Dans le but d’appréhender l’éducation à la citoyenneté dans le pays en questionnant son existence, ses faiblesses, ses limites et les perspectives de son avenir, nous avons entrepris une enquête sur l’éducation du civisme dans un ensemble d’écoles de la région métropolitaine de Port-au-Prince durant l’année académique 2015-2016, tentant de livrer une approche relative de ce niveau d’instruction et des potentielles pistes d’améliorations de cet enseignement.

Trente (30) institutions scolaires privées et publiques au niveau primaire, secondaire ou incluant les deux furent choisis subjectivement par les auteurs en fonction de la perception de leur notoriété et de leur crédibilité dans le milieu éducatif de la capitale et de ses environs, durant l’année académique 2015-2016.  Certaines écoles furent soustraites de notre liste initiale de par la difficulté des horaires surchargés des périodes d’examens de fin d’année.  La liste des écoles privées inclut :

1) Ecole Jean Marie Guilloux

2) Saint-Joseph de Pétion-Ville (Frères de l’Instruction Chrétienne)

3) Institution Saint-Louis de Gonzague

4)  Collège Roger Anglade

5) Collège Saint-Louis de Bourdon

6) Collège Marie Anne

7) Institution du Sacré Cœur

8) Petit Séminaire Collège Saint-Martial

9) Ecole Saint-Jean l’Évangéliste

 10) Ecole Notre Dame du Rosaire (Fille de Marie)

 11) Collège Dominique Savio (CODOSA)

 12)  Collège Marie Dominique Mazarello

 13) Ecole Acacia

 14) Collège Canado-Haïtien

 15) Centre Classique de Pétion-Ville (« Madame Pérodin »)

 16) Collège Excelsior

 17) Nouveau Collège Bird

 18) Collège Frantz Paillère

 19) Collège Saint Pierre de Pétion-Ville

 20) Collège Cœur Immaculé de Marie (CIM)

 21) Collège Le Normalien

 22) Collège Jean Price Mars

 23) Institution St. Pierre de Pétion-Ville

 24) Quisqueya Christian School (école à système américain)

 25) Lycée Alexandre Dumas (Lycée Français) (école à système français)

La liste des écoles publiques comprend :

26) Lycée Anténor Firmin

27) Lycée Alexandre Pétion

28) Lycée Marie Jeanne

29) Lycée du Cent-Cinquantenaire (Lycée des Jeunes Filles)

30) Lycée National de Pétion-Ville

Donc, l’enquête s’est portée sur 30 écoles. Vingt-cinq (25) écoles sur trente (30), soit 83 % des écoles visitées enseignent un cours ayant un rapport avec le civisme d’après les informations recueillies auprès des responsables. Ce cours peut avoir différentes dénominations selon les écoles : « Instruction Civique », « Education à la Citoyenneté », « Bienséance et Savoir-vivre », ou des modules de civisme annexé au cours des sciences sociales, etc.  Un distinguo existe assurément entre un cours de bienséance ou de savoir-vivre par exemple et le civisme en tant que tel mais cela n’apparaissait pas d’une grande importance pour certains responsables. Nous avons choisi toutes les dénominations offertes constituant un cours de civisme selon les responsables. Les écoles admettant ne pas enseigner le civisme étaient :

Le Collège Canado-Haïtien

Collège Frantz Paillere

Collège Cœur Immaculé de Marie (CIM)

Lycée Anténor Firmin

Quisqueya Christian School

Notre second sujet de recherche a été de savoir additionnellement si les écoles de notre liste qui enseignent des notions de civisme utilisent un livre ou des matériels didactiques ou pédagogiques.  68 % des écoles utilisent un livre, c’est-à-dire 17 écoles sur 25. D’après les responsables, certains des ouvrages utilisés sont homologués par le Ministère de l’Education Nationale, d’autres sont choisis au gré des professeurs ou des directeurs des établissements. Il était observé l’absence de standardisation du matériel didactique pour toutes les écoles visitées, ni de directives claires pour un cursus du cours de civisme d’après les responsables.

Nous avons également recherché la distribution des cours de civisme au niveau primaire (ou fondamental) et au niveau secondaire ou des deux. Des vingt-cinq écoles qui enseignent le civisme, le consensus des responsables a été que le civisme est enseigné au niveau élémentaire, soit 100 %, et sporadiquement et au gré de la direction dans les classes secondaires.

Cette enquête a révélé qu’une carence existe dans le nombre d’institutions enseignant le civisme, c’est-à-dire que l’enseignement se fait au bon vouloir des responsables. Il existe également un manque de directives claires et précises de l’état via son Ministère de l’Education Nationale pour un cursus standardisé, des ouvrages homologués et obligatoires.

Nous tenons à souligner que cette enquête n’est pas une recherche scientifique basée sur des paramètres objectifs pour une conclusion édifiante et sans appel. Dans cette enquête nous avons dû nous soumettre à la collaboration d’un grand nombre de directeurs d’établissements, de professeurs et autres responsables délaissant leurs importantes taches journalières pour répondre à nos questions. Nous remercions individuellement tous ces responsables pour le temps accordé pour les interviews, les rencontres avec les instructeurs, censeurs et autres, pour leur amabilité et ce que nous voulons croire être leur sincérité à nous répondre en toute franchise et honnêteté. Cependant, objectivement nous ne pouvons jauger de la véracité des réponses soumises à nos questions. Nous tenons également à souligner que pour l’année académique 2016-2017, le Ministère de l’Education Nationale se fait pour devoir d’inclure obligatoirement un cours intitulé : « Education à la Citoyenneté » dans son cursus scolaire. Selon les nouvelles directives pédagogiques dudit ministère : « L’éducation haïtienne a pour mission de développer la conscience nationale, le sens des responsabilités et l’esprit communautaire par l’intégration dans son contenu des données de la réalité haïtienne » cité dans un libellé non encore disséminé publiquement à la presse et au public selon un responsable du ministère qui a voulu rester anonyme.

Dans cette optique, nous espérons que notre enquête pourra susciter le débat sur une profonde réflexion de ce qui mérite d’être améliorer dans l’enseignement du civisme et que se doit d’entreprendre par des études scientifiques agrémentées de statiques fiables le Ministère de l’Education Nationale, les syndicats des enseignants et des institutions indépendantes dans le domaine éducatif. Une multitude de piste de solutions par rapport à l’enseignement du civisme mériterait d’être analysée par ces institutions incluant entre autres :

  • La formation universitaire adéquate des instructeurs du cours de civisme.
  • La standardisation du cursus du cours du civisme et son enseignement obligatoire dans toutes les écoles du pays de la maternelle à l’université.
  • L’évaluation de l’instruction civique dans les examens officiels de fin d’étude académique (Baccalauréat) et universitaire.
  • La transversalité de l’enseignement du civisme dans les cours de sciences sociales, d’histoire d’Haïti, de religions et autres cours connexes.
  • Le renforcement de l’enseignement des préceptes civiques dans les familles, les lieux de culte, par les médias, durant les célébrations des fêtes nationales.
  • L’obligation d’un stage de volontariat civique pour chaque classe secondaire et au niveau de chaque année universitaire suivi d’un stage social universitaire pour toutes les disciplines.
  • L’intégration du civisme et de la culture dans des concours de chants et musique, de littérature, de peinture, de débats, etc.
  • Le volontariat civique durant l’organisation des élections, durant les catastrophes naturelles et autres.

Certaines de ces pistes de solutions feront également parti d’autres réflexions que nous livrerons comme contributions au débat faisant suite à cette enquête. Finalement, nous souhaitons que la société haïtienne puisse se pencher sérieusement sur l’enseignement du civisme qui est une nécessite primordiale pour continuer à bâtir, rebâtir, réhabiliter, renforcer et élever l’identité haïtienne (ce côté intangible de notre être qui nous rend différent de tout autre peuple de par notre origine, notre histoire, notre présent et ce que peut être notre futur).

Patrick André & Soucaneau Gabriel

(1) Challenges, No. 43 – Juin 2016 « Portrait : Pierre François Benoit »

(2) Hérold Toussaint – « Le courage d’habiter Haïti au XXIe siècle », p.76

La rédaction de Ayibopost

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