EN UNESOCIÉTÉ

Énigme fascinante

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Je fus frappé d’incrédulité. Alors, pour de bon, cette jeune émirienne connaît le nom d’Haïti? Et rêve même de le visiter? En tout cas, son sourire, elle ne l’a pas caché sous la pudeur de son abaya noire lorsque mon passeport lui révéla ma nationalité. Je viens bien d’Haïti, ce tiers-d’île qu’elle désirait découvrir un jour dans sa vie. Avec mes documents sur son bureau, cette fonctionnaire de l’immigration ne pouvait pas confondre mon pays avec un autre. Mais je n’étais sûr de rien. Haïti, Tahiti, Hawaii… Une erreur de syllabe suffit pour répandre la confusion. Et nous voilà chacun en train de parler d’un océan, d’une île et de mondes différents. Mais, l’intuition de la femme pouvait-elle la tromper?

“J’espère un jour visiter Haïti”, avait-elle dit. Alors, s’il y avait une confusion, c’était plutôt de mon côté. Car, je dois l’avouer, il s’agissait surtout de mes propres préjugés: je doutais encore que mon pays puisse être reconnu par n’importe quel citoyen du monde. Encore moins par une musulmane des Emirats arabes unis. Mais, celle- était en train de me prouver le contraire.

Bien entendu, je n’en avais aucune certitude. Et je n’en avais pas besoin non plus. Ce qui était sûr, c’est que cette jeune femme désirait visiter une terre à l’autre bout du monde et que moi je brûlais d’envie jusqu’à l’illusion que ce fut la mienne.

C’était quand même la première personne dans le monde à ne pas opposer un regard perplexe sur mes origines. En général, pour une présentation, j’avais beau marteler le nom de mon pays dans tous les accents du monde, avec ou sans la prononciation du grand H initial, mes interlocuteurs restaient devant moi pantois. Haïti? Connais pas. C’est quoi? Pour eux, je devenais vite une énigme fascinante.

“ Non, Haïti ne se trouve pas en Afrique”. La question revient presque toujours. En fait, ce serait tellement plus facile pour moi, si Haïti était un état africain. Ainsi, je me présenterais toujours comme un fils du continent noir et fin de la discussion. Mes racines seraient bien enfoncées dans le fourre-tout de l’Afrique. Et non au beau milieu de l’Atlantique, dans un carrefour encombré d’îles assez difficiles à distinguer.

Pourtant, c’est bel et bien là, dans ce carrefour même que se trouve mon pays: dans les Antilles. Et, croyez-moi, les Antilles, certains interlocuteurs ne connaissaient pas non plus. Leur curiosité en était toute ravivée. “C’est tout près de Cuba”, ou si vous voulez, “ C’est à quelques brasses de la Jamaïque”. Ainsi, je multipliais les repères pour situer Haïti. Des fois, j’appelais même le secours du voisinage. « Mon pays, c’est juste à côté de la République Dominicaine”. Mais, c’était peine perdue: mon bout d’île restait un mystère noyé dans le bassin des Caraïbes.

Désespéré, j’enchaînais avec d’autres références. “Avez-vous déjà entendu parler du rythme Konpa? Ou du Vodou? Connaissez-vous Dany Laferrière? Wyclef Jean?” Enfin, la délivrance! Cet expatrié de la France avait lu « L’énigme du retour ». Cet autre du Nigéria, lui, pour avoir adoré les Fugees, était capable de me marmoter quelques mots en créole. La patrie en fut sauvée! Pourtant, aucun de ces étrangers ne pouvait être plus connaisseur d’Haïti qu’un chauffeur de taxi rencontré à Dubai. Alors que je m’égarais dans mes propres indications, ce sympathique éthiopien tenait déjà en main l’essentiel des infos sur mon pays, grâce au seul génie de son smartphone. Gloire à Google!

Cela dit, il m’arrivait aussi d’être contraint de m’expliquer davantage. A ces occasions, je pouvais évoquer le passé glorieux du pays. “ Haïti fut la première…, Haïti fut la seule…”. Mais lorsque je réalisais que mon chauvinisme n’aidait en rien la conversation, c’était à chaque fois pour moi le comble de la désolation.

Il ne me restait qu’à citer la référence la plus récente, la plus fameuse, et la plus amère de mon pays: “le maudit tremblement de terre de 2010”. Et, c’est à cet instant précis que mon interlocuteur pouvait enfin m’apercevoir sur la carte du monde.

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