Selon la mairesse assesseure de Kenscoff, la démarche hâtive de l’avocat de l’orphelinat risque d’entraver l’enquête et d’empêcher les parents de victimes d’obtenir réparation
Après la mort tragique de quinze personnes, en majeure partie des enfants, dans un orphelinat à Fermathe le 13 février dernier, un conflit éclate entre la mairie de Kenskoff et Me Osner Fevry qui représente la structure d’accueil d’orphelins dirigée par le citoyen étranger, Andrew Pereira.
La municipalité dit avoir placé les corps sans vie de treize des quinze victimes dans une morgue de la commune, avec espoir que les autorités réaliseraient l’autopsie des cadavres lors d’une procédure d’enquête pour déterminer les causes du sinistre.
Selon la mairesse assesseure de Kenscoff, Eunide Amilcar, l’avocat de l’orphelinat, Osner Févry, a unilatéralement décidé de faire transférer les cadavres dans une autre entreprise funéraire, sans le consentement de la mairie. « Là où l’événement s’est passé dépend de Pétion-Ville et non de Kenskoff, répond Me Osner Fevry. La [mairesse] de Kenskoff n’avait même pas le droit d’intervenir sur cette question.»
L’orphelinat a deux branches, fait savoir Amilcar qui précise que l’édifice incendié se trouve précisément dans sa juridiction à Fermathe, section communale de Ducahot. D’ailleurs, rajoute-t-elle, le constat a été dressé en présence de la mairie par le juge de paix de Kenscoff.
Des cachets de 15 000 gourdes
Aujourd’hui, Amilcar se plaint que ni elle, ni les parents n’ont accès aux corps des victimes. Joint par téléphone, Osner Févry n’a ni confirmé ni infirmé cette information. La question lui a été posée à nouveau via WhatsApp. Cet article sera mis à jour s’il réagit.
Entre-temps, Eunide Amilcar ne lâche rien. Si l’Etat central continue à jouer l’insouciant dans cette affaire, dénonce la mairesse, les parents risquent « de ne pas connaître la vérité et n’obtenir aucune réparation ».
Selon des informations de la mairie, l’avocat dont les déclarations publiques semblent minimiser la mort des enfants a offert des cachets de 15 000 gourdes à certains parents. Quatre d’entre eux ont approché les autorités municipales pour dénoncer les agissements de l’orphelinat et de son avocat, révèle Eunide Amilcar qui explique que la majeure partie des parents « ont peur des représailles ».
Assezlhomme César, dont la fille Adeline César a péri dans les flammes, confirme avoir été l’objet de l’offre des 15 000 gourdes de l’avocat. Il dit avoir finalement reçu 10 000 gourdes pour les préparatifs liés à l’organisation des funérailles. Assezlhomme César rapporte également que l’avocat promet aux parents de « parler au blanc pour voir ce qu’il peut faire en termes de dédommagement ».
Le parquet déjà à l’œuvre
D’un autre côté, le dossier de l’incendie de l’orphelinat de l’Eglise de la Compassion de la Bible est transmis au cabinet d’instruction, rapporte le commissaire du gouvernement a.i. de Port-au-Prince, Lafontant Joseph. Contacté le dimanche 8 mars 2020, le chef du parquet rapporte que l’affaire se trouve au greffe du cabinet d’instruction et attend la nomination d’un juge.
De plus, le parquet a déjà ordonné à l’entreprise funéraire Alcero Marc-Arthur de ne pas donner accès aux cadavres à quiconque, en attendant leur autopsie, explique Lafontant Joseph. Il confie aussi que la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) est déjà invitée à ouvrir une enquête pour déterminer les vraies causes du drame.
« Même en cas d’entente entre les parties, le parquet poursuivra son travail », promet le commissaire du gouvernement.
Des morts en déplacement
Selon la mairesse assesseure de Kenscoff, Eunide Amilcar, les cadavres des 13 enfants asphyxiés ont été préalablement confiés à l’entreprise funéraire Eben-Ezer de Kenscoff.
Contacté, le propriétaire de cette morgue Louis Charles Clebert dit avoir reçu « un papier de 5 pages » le 25 février dernier. Ce document qui émane de l’avocat Osner Févry lui a ordonné de « confier les corps à l’entreprise funéraire Alcero Marc-Arthur ».
Selon la mairesse assesseure de Kenscoff, Eunide Amilcar, l’avocat de l’orphelinat, Osner Fevry, a unilatéralement décidé de faire transférer les cadavres dans une autre entreprise funéraire, sans le consentement de la mairie.
Pour éviter tout ennui, Louis Charles Clebert confie s’être exécuté tout en faisant appel à un juge de paix pour dresser un procès-verbal qui constate l’absence des corps dans son entreprise.
Joint au téléphone, l’avocat de l’orphelinat Osner Févry, dit que « l’entreprise funéraire de Kenscoff n’a pas la capacité nécessaire pour organiser des funérailles de première ou de deuxième classe ».
La démarche de Me Fevry serait cependant anormale.
Selon l’avocat Jacquenet Oxilus, « seul celui qui a confié les cadavres à la morgue devrait être habilité à demander leur transfert ». Or la mairesse de Kenscoff, Eunide Amilcar, confirme que la décision de remettre les cadavres à l’entreprise funéraire Eben-Ezer émanait de la mairie de Kenscoff et du juge de paix qui a dressé le constat légal.
Deux adultes et treize enfants calcinés
Ce constat, dressé le jour même de l’incendie, et transféré à Louis Charles Clebert en l’absence d’Eunide Amilcar, relève la mort de deux adultes, Adeline César, 39 ans et Gédéon Carlo, 34 ans.
Puis, on compte : Solens Mitille, 4 ans, Flovensky Louis Jean Baptiste, 18 ans, Nedjie Arisme, 4 ans, Vanise Arisme, 3 ans, Velande Medelus, 4 ans, Robert Berthony Justin, 6 ans, Roseline Louis, 6 ans, Alfredithe Guerrier, 11 ans, Renel Desir, 3 ans, Marvens St Felix, 4 ans, Lovena Luberice, 6 ans, Dieulouis St-Vilus, 2 ans, Dorlus Ricardo, 7 ans.
Selon Eunide Amilcar qui dit s’être transportée sur les lieux, Adeline et Gédéon, tous deux attachés à la surveillance des enfants, sont morts calcinés par les flammes. Leurs cadavres ont été déposées dans une fosse au cimetière de Kenskoff, après autorisation de la mairie.
Quant aux 13 enfants (5 filles et 8 garçons) asphyxiés par la fumée de l’incendie, leurs corps sans vie ont été déposés dans une morgue privée à Kenscoff.
Un cas atypique
Il est difficile pour Assezlhomme César de se souvenir de toutes les informations concernant sa fille, Adeline César, puisque « ses documents sont entre les mains des responsables de l’orphelinat ». Cependant, il se rappelle qu’elle est née à Pétion-ville en 1981. En 1987, elle sera confiée à l’orphelinat de l’Eglise de la Compassion de la Bible.
Elle grandira dans le centre et y restera jusqu’à sa mort en 2020. A 39 ans, son statut dans l’orphelinat n’a pas été défini. A cet âge, la dame, pourtant en bonne condition physique et mentale, selon son père, s’occupait des vaisselles et du nettoyage du centre sans être reconnue comme une employée.
Photo couverture: L’orphelinat de l’Eglise de compréhension de la Bible est situé à Kenscoff. | JEANTY JUNIOR AUGUSTIN/REUTERS
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