SOCIÉTÉ

En Haïti, les homosexuels utilisent internet pour trouver l’amour

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L’intolérance haïtienne à l’égard des homosexuels les empêche de se rencontrer ouvertement. Pour certains, la solution est d’utiliser les sites de rencontre, ou les réseaux sociaux traditionnels

« Jeune professionnel discret. En couple avec femme, mais attiré par beaux mecs éduqués et discrets. »

« Actif et viril, respectueux. Préférences pour mecs virils, sportifs, dans la vingtaine ou trentaine. »

« Pas de photos de visage. »

Ce sont des exemples de messages publiés sur certains profils d’Haïtiens, sur Grindr. Cette application a été créée exclusivement pour les hommes gays. Elle leur permet de faire des rencontres, et de se lier les uns aux autres.

En Haïti, comme dans beaucoup d’autres pays, des homosexuels l’utilisent au quotidien. D’autres ne le font plus, mais ont au moins une fois téléchargé l’application. En plus des réseaux sociaux populaires comme Facebook, Instagram et Twitter, ces nouveaux outils que sont les sites de rencontre (Tinder, etc.) prennent du champs.

Le One night stand

Patrick est un homosexuel d’une trentaine d’années. Depuis l’adolescence les hommes l’attirent plus que les femmes. Pendant quelque temps, Grindr a fait partie de la liste des applications sur son téléphone. « C’est une application pour les rendez-vous d’un soir, explique-t-il, les urgences. Je l’ai utilisée surtout par curiosité, pour voir qui était là aussi. Je suis quelqu’un de timide, mais j’ai fait quelques rencontres quand même. »

Josué Azor, jeune photographe très connu dans le pays, a lui aussi eu recours à l’application à divers moments dans le passé. Cependant, il confirme que Grindr n’est pas faite pour des relations durables.

« Elle est créée pour une consommation de sexe rapide et facile, explique-t-il. C’est l’application de rencontre la plus populaire pour les hommes homosexuels. Je n’ai pas fait beaucoup de rencontres pourtant. Les gens qui m’intéressent n’y sont pas. »

« J’ai beaucoup d’amis qui se plaignent de ne pas trouver de rencontres sur Grindr, continue-t-il. Mais je crois que c’est lié aux questions d’Internet, de téléphone, etc. Les possibilités sont limitées, c’est pour cela que je préfère les rencontres physiques. »

Des histoires qui durent plus d’une nuit

Même si l’application privilégie les coups d’un soir, Azor affirme que parfois on peut y lier des amitiés durables. Il se rappelle même avoir retrouvé un ancien ami, grâce à l’utilisation qu’il faisait de Grindr.

« On était tous deux des adolescents, explique-t-il. À l’époque, les smartphones n’étaient pas aussi populaires. On se parlait grâce à la Teleco. Puis il a laissé le pays. Dix ans plus tard, je parlais à quelqu’un sur Grindr, et je me suis rendu compte qu’il s’agissait de lui. »

Patrick aussi a vécu une relation qui est allée au-delà de la raison d’être de l’application. « La dernière fois que j’ai utilisé Grindr, c’était en 2019, dit-il. J’avais rencontré quelqu’un d’intéressant. On a commencé à se parler. Puis on a eu une relation normale. »

À son grand dam, cette liaison n’a duré que deux mois avant de se détériorer rapidement. D’après Patrick, cela n’avait rien à voir avec la manière dont elle a débuté. « Les choses ont changé vite, explique-t-il. J’étais le seul qui s’engageait vraiment dans cette relation. Il ne faisait pas assez attention à moi. Il ne consentait pas aux efforts qu’un couple demande.»

Assez de méfiance

Beaucoup d’utilisateurs de Grindr n’affichent ni leur photo personnelle ni leur nom. La plupart ont des pseudos évocateurs comme ‘Just plezi’, ‘Envie de baiser’, etc. Ce manque de transparence a ses raisons, mais il rend Josué Azor méfiant.

Il croit qu’il faut être prudent avec Grindr. « Il y a beaucoup de comptes qui sont faux, assure-t-il. Ils mettent des photos qui ne sont pas réellement eux. C’est surtout vrai pour les gens qui n’assument pas encore leur sexualité, qui hésitent. »

Pourtant, lui non plus n’a pas pu se résoudre à afficher ses informations personnelles. « Je mets des photos que j’ai prises, mais je n’apparais pas sur elles, avoue-t-il. Je veux rester discret. Mais bien sûr j’envoie des photos personnelles dans les conversations que j’ai.»

Josué Azor assure qu’il n’utilise plus l’application. Mais il se rappelle qu’il était devenu très prudent dans l’utilisation qu’il en faisait. « Le catfish est un grave problème sur Grindr, dit-il. Ce sont des gens qui se font passer pour quelqu’un d’autre. On peut penser qu’on parle à un bel homme, alors qu’en réalité ce n’est pas le cas.»

‘De plus, poursuit-il, je suis devenu assez connu grâce à mon métier, je devais rester vigilant. Il y a aussi des gens animés de mauvaises intentions qui font des captures d’écran sur des profils, qu’ils vont partager ailleurs.»

Faire attention

Cette méfiance vis-à-vis de Grindr n’est pas propre à Haïti, et elle concerne aussi certains aspects de l’application. Dans plusieurs pays Grindr a dû changer de politique pour faire face à certains problèmes. L’application a notamment été accusée de partager des données sensibles de ses utilisateurs, ayant trait à leur statut VIH.

Mais les plus grands dangers de Grindr sont extérieurs à l’application. Dans des pays comme l’Égypte où l’homosexualité est punie par la loi, la police s’en sert pour traquer des gays. Mais plus inquiétants encore, des criminels l’utilisent pour rencontrer des homosexuels à qui ils font passer de mauvais moments.

Même si Grindr offre des outils pour permettre à ses utilisateurs de se protéger au mieux, aucun d’entre eux n’est à l’abri d’une utilisation malveillante.

Être homosexuel en Haïti

L’intolérance de la société haïtienne vis-à-vis des personnes d’orientation sexuelle différente n’est plus à prouver. Des scènes homophobes, des menaces, et une marginalisation permanente font que les homosexuels haïtiens se sentent rejetés. Les gens, d’après Patrick, lient l’homosexualité à un comportement féminin.

« Ils croient qu’être homosexuel t’enlève toute virilité, regrette-t-il. C’est une pulsion naturelle pourtant, on naît ainsi. Dans mon jeune âge, j’ai eu une petite amie, mais j’avais aussi un petit ami. Mais cela m’arrive encore de rencontrer une femme qui m’attire.»

Cependant, sur les réseaux sociaux haïtiens, de plus en plus de jeunes femmes se déclarent bisexuelles ou lesbiennes. Peu d’hommes peuvent oser s’afficher ainsi. Patrick le regrette. « Les gens trouvent que deux femmes qui s’aiment, c’est plus sexy, déplore-t-il. Ils vous disent pour les hommes que ce sont deux ‘gwo souf’ qui se croisent.»

Les femmes plus libres ?

Les femmes homosexuelles, selon ce point de vue, sont plus libres de dire qui elles sont. Pourtant, sur les sites de rencontre, elles paraissent encore méfiantes, selon Renée. Elle est une Haïtienne qui vit au Canada. Elle voyage de temps en temps en Haïti, pour des raisons diverses.

«Une fois, j’étais en Haïti et j’ai voulu faire l’expérience des sites de rencontre, raconte-t-elle. Je me suis tournée vers Tinder, comme il n’y a pas d’application comme Grindr pour les femmes. Je n’ai pas trouvé beaucoup de personnes, et celles qu’il y avait ne s’affichaient pas vraiment. C’était ambigu. Les conversations allaient à tâtons. Elles se méfiaient.»

Selon Renée, les sites de rencontre ont plus de succès chez un public jeune. « Je connais plusieurs amis qui ont rencontré des hommes sur Grindr, assure-t-elle. Mais en réalité ce sont des jeunes de moins de 22 ans, en général. »

 

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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