SOCIÉTÉ

En Haïti, les barber shop ne sont jamais que des barber shop

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Des barber shop en Haïti, il en existe pour toutes les bourses. Panorama du métier de coiffeur en Haïti

À la Rue de l’enterrement en face du cimetière de Port-au-Prince se trouve un mini salon de coiffure en shelter pour homme du nom d’Immaculée. Skinny, l’unique coiffeur du Barber shop, est âgé d’une vingtaine d’années. Il laisse entrevoir ses cheveux touffus sous une casquette nonchalamment déposée sur sa tête. « Je suis coiffeur depuis 2011. Mais j’ai intégré ce salon en 2019 quand il a été créé », dit-il, le visage maculé de sueur.

Il fait chaud, mais les clients demeurent patients. Le salon Immaculée est assez exigu. Entre un réfrigérateur, un téléviseur, des caisses de bouteilles vides et quelques matériels de travail, la pièce peine à accueillir trois personnes : Skinny et deux clients. Certains clients restent dans les parages du salon pour s’assurer qu’ils seront les prochains servis.

Pour Skinny qui travaille à la rue de l’Enterrement, les difficultés sont plutôt liées à son environnement immédiat. « Parfois, nous sommes obligés de fermer le barber shop quand il y a des tirs ici ou dans les zones avoisinantes. »

En moyenne, Skinny s’occupe de dix têtes par jour à 125 gourdes pour une coupe simple. Pour des coiffures stylées, ce prix peut augmenter. Mais depuis le coronavirus (même s’il ne croit pas à l’existence de la maladie dans le pays), l’artisan dit constater une baisse de sa clientèle. Parfois, personne ne vient au salon.

Toutefois, certains clients demeurent fidèles au coiffeur. Cette fidélisation est la même dans tous les barber shop qu’on a visités. Se « faire les cheveux » est une affaire de tradition, et de communauté. Certains clients viennent de très loin pour se rendre à leur salon habituel. Il suffit d’une seule coupe réussie pour que le client s’attache au salon ou au coiffeur. C’est le cas d’un homme qu’on a rencontré à New style, un salon situé à l’Avenue Magloire Ambroise. Il a commencé à fréquenter le salon alors qu’il habitait à Carrefour.

New style!

Le salon New style est plus grand qu’Immaculée, là où travaille Skinny. L’espace dispose d’un climatiseur, de très grands miroirs, des radios et d’un plus grand réfrigérateur. Les deux coiffeurs de New style sont deux bons amis. Ils s’appellent Kado, 28 ans et Michaël, 22 ans. L’un porte des locks cachés sous un filet, l’autre affiche une coupe courte. L’un aspire à devenir mécanicien tandis que l’autre adorerait être ingénieur civil. Ils ont respectivement 12 et 10 ans d’expérience dans le métier. Ces deux jeunes hommes ont vu transformer en carrière professionnelle ce qu’ils considéraient comme un passetemps.

« J’ai toujours aimé la mécanique depuis que j’étais tout petit. Quand je suis devenu assez grand pour l’apprendre, je vivais chez un cousin qui est propriétaire de ce salon. Il m’a proposé de travailler pour lui, sinon je devrais quitter sa maison. Je n’avais pas le choix. J’ai accepté et depuis je travaille ici » témoigne Kado. Il a donné des cours de coiffure pour hommes dans un salon à Port-au-Prince, mais a dû abandonner après seulement trois mois parce que les responsables de l’école ont violé les clauses du contrat.

Pour sa part, Michaël, l’autre coiffeur de New style, se considère comme un chanteur confirmé. Son idole dans le compas est Reginald Cangé. Le jeune homme a été lauréat d’un concours de chant dans une église et il enregistre son premier single actuellement. Toutefois, Michaël se voit plutôt ingénieur civil à l’avenir. « Je ne veux pas aller dans une école d’ingénierie en Haïti. Je ne leur fais pas confiance. Quand je quitterai le pays, je deviendrai ingénieur », avance le jeune de 22 ans qui rêve avec impatience de pouvoir faire carrière en dehors du pays.

Cette envie de s’adonner à d’autres professions que celle de sa carrière a aussi traversé François, un employé frisant la quarantaine du salon Fresh Up, de Pétion-Ville. Comme Kado, François a toujours voulu étudier la mécanique. « Mon père et mon oncle ont été coiffeurs. Avec l’âge, je me suis adonné au métier aussi et je pouvais gagner facilement de l’argent pour prendre soin de moi-même. Du coup, je n’ai pas fait carrière dans la profession que j’aimais », regrette François.

Edma, un des collègues de François, ne voudrait pas que son fils devienne coiffeur comme lui. Pour l’homme, le métier est trop épuisant. « On reste debout de 8 h à 8 h chaque jour. En plus, il faut être discipliné et patient pour réaliser des projets dans ce métier. Si mon fils veut y faire carrière, je ne vais pas l’en empêcher. Mais ce n’est pas ce que je désire pour lui », confie Edma.

Salon chic

Le salon chic Fresh Up se situe à l’hôtel Kinam à Pétion Ville. C’est d’ailleurs le plus spacieux de tous les salons que nous avons visités. À l’entrée, une réceptionniste enregistre des réservations et reçoit les clients, un café est offert. Ce salon est une véritable mosaïque, on y voit toute sorte des gens. Lors de notre visite, la majorité des clients paraissaient être des étrangers.

Le personnel de Fresh Up se compose de quatre coiffeurs haïtiens et de trois autres dominicains. « Je recrute des dominicains pour créer une certaine compétitivité entre les coiffeurs », relate Sébastien Barjon, le propriétaire de l’entreprise. Certains de ses employés portent des chemises noires frappées de l’effigie de Fresh up et ils ont tous un masque anticorona au visage pour servir les clients.

Les fauteuils du Barber shop paraissent confortables avec leurs repose-pieds. La salle est climatisée et munie de matériels mobiliers qu’aucun des autres salons visités ne dispose. Des adultes et enfants regardent la télé et jouent ensemble aux jeux de vidéos comme s’ils étaient chez eux.

Il y a un espace derrière le salon aménagé pour que les clients puissent boire, fumer et passer du temps.

Cette ambiance conviviale existe dans tous les salons. Qu’il soit chic ou pas, les gens paraissent se détendre dans les barber shop. Leur clientèle se compose majoritairement d’hommes. Certaines femmes y viennent pour entretenir leur coiffure à la garçonne et épiler leur sourcil. Comme dans les studios de beauté où les femmes discutent entre elles, dans les barber shop aussi, les hommes se font des amis, et discutent des sujets liés au sport, à la politique et aux femmes.

Il règne dans ces salons un cadre convivial. Certains n’y viennent pas pour se coiffer, mais pour se voir, se passer le bonjour. Ils viennent aussi pour suivre les matchs. Ce samedi vers les 11 heures du matin, devant plusieurs barber shop, il y a eu une affluence d’hommes qui suivent les matchs.

1000 gourdes

Les coiffeurs du salon Fresh Up s’occupent en moyenne de dix à douze clients par jour. Cependant, avant le Covid-19, les hommes déclarent qu’ils recevaient beaucoup plus de clients. En 2019 par exemple, ils pouvaient recevoir jusqu’à 25 clients.

Le prix du service est d’environ 1000 gourdes, selon Sebastien Barjon, le responsable de l’entreprise. Il explique que ce prix est retenu pour essayer de maintenir un équilibre en raison des fluctuations de la gourde, mais les clients qui le souhaitent peuvent payer en dollars. « Les quelque mille gourdes sont réclamées pour une coupe de cheveux incluant le soin des barbes et le hot towel qui est une serviette chaude appliquée au visage pour maximiser les soins », souligne Barjon.

Edma et François disent gagner environ US 20 à 30 dollars américains par jour comme pourboire. Après ils touchent par commission.

Tous les salons ne fonctionnent pas comme Fresh Up. Skinny du Barber shop Immaculée à la rue de l’enterrement doit verser chaque samedi la somme de 2500 gourdes au propriétaire du salon. « Autrefois, on me payait par pourcentage. C’est-à-dire, selon le nombre de têtes que j’ai “fait” durant la journée. Quand le propriétaire achetait les matériels de travail, comme les lames de gilette, pour une coupe de 125 gourdes, il réclamait 65 gourdes, je pouvais garder les 60 gourdes restantes. Si c’est moi qui me procurais ces outils, c’est moi qui gagnais la plus forte somme. »

Il ne faut pas minimiser le métier. « Ces hommes gagnent bien leur vie, il suffit de les regarder pour le remarquer », avance le coiffeur et propriétaire de Gers’s Barber shop, un salon situé à la ruelle Cadet Jérémie. Dans ce salon, les coiffeurs perçoivent leur salaire à la fin du mois, mais ils gagnent des pourboires de leurs clients tous les jours. Les coiffeurs de Charly Barber shop situé à la Ruelle Vaillant ont aussi un salaire mensuel, mais les roues ne tournent pas aussi bien pour eux que ceux de Gers’Barber shop. « Je suis passionné de ce métier, mais je ne parviens pas à gagner ma vie avec. Je suis informaticien, c’est ce qui me permet de prendre soin de ma famille », confie Papite un employé de Charly Barber Shop.

Aucun diplôme

Tous les coiffeurs que nous avons rencontrés n’ont aucun diplôme dans le métier à l’exception de ceux de Fresh Up qui détiennent chacun un certificat. Sébastien Barjon dit qu’il fait venir de l’étranger des professeurs pour animer des séances de formation pour ses employés.

Cela étant, les coiffeurs ont tous débuté de la même façon. Ils se sont exercés sur les cheveux d’un petit frère, un cousin ou des enfants du quartier jusqu’à se parfaire dans le domaine. Pour beaucoup d’entre eux, ce métier constitue un don. Le propriétaire de Gers’Barber shop de la rue Cadet Jérémie explique que le métier lui a été passé comme un héritage. « Mon père était coiffeur. Tout petit, je le voyais faire des cheveux. Quand j’ai grandi, il paraissait normal pour moi de me lancer dans ce métier », explique l’artisan coiffeur depuis 28 ans.

Pour Papouche, un homme d’une trentaine d’années qui est un employé du même salon, le métier de coiffeur est avant tout un art. « Nous sommes des artistes avant tout. On a une façon de tenir les tondeuses pour servir le client que seul le coiffeur sait faire. »

Le cosmétologue Michel Chataigne pense que le métier de coiffeur devrait être enseigné à l’université et dans des écoles professionnelles. « C’est un métier pratique. On a toujours besoin des services d’un barbier et d’un coiffeur. L’État pourrait profiter de cette situation pour donner au métier une dimension standardisée. Beaucoup de ces jeunes coiffeurs qui excellent en Haïti ne peuvent plus pratiquer le métier quand ils quittent le pays, puisqu’ils n’ont aucun papier. Même s’ils voudraient apprendre, les cours coûtent cher », argumente le cosmétologue.

Chataigne met en garde contre ce manque de formation. « Cela n’arrive pas souvent, mais il y a des gens qui attrapent des maladies de peau dans les salons. Dans mon école de cosmétologie, je donne un cours de barbering pour montrer aux étudiants comment nettoyer le matériel de travail parce qu’il est indispensable de savoir le faire. »

Laura Louis

Les photos sont de Valérie Baeriswyl

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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