Le président Jovenel Moïse a récemment fait le show en annonçant la construction de 10 nouveaux lycées. Cette nouvelle promesse est censée se concrétiser grâce au budget qui, si le parlement fonctionnait, irait aux députés et aux sénateurs. Pendant ce temps, partout sur le territoire national, des écoles publiques n’ont pas les moyens de fonctionner
Il est plus de huit heures du matin. La rentrée des classes a lieu à sept heures. Pourtant une trentaine d’élèves sont encore à l’extérieur, devant l’école nationale sœur Teresa de Calcutta. Ils supplient en vain qu’on les laisse entrer dans la cour. D’autres, plus pragmatiques, sont debout de l’autre côté de la rue, et discutent.
Ils n’ont pas leur dépliant, ils ne peuvent pas rentrer suivre les cours. C’est une feuille rectangulaire sur laquelle sont écrits des renseignements sur l’élève. Pour l’avoir, il faut être en règle avec l’économat. Sinon, pas moyen d’entrer.
L’école est située à Petite place Cazeau. Elle va du préscolaire à la neuvième année fondamentale. C’est une école publique complète, selon les caractéristiques du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle. C’est là que plus de 1000 âmes viennent chaque jour pour s’éduquer.
Jean Williot vient de Croix-des-Bouquets. Dès six heures il était là. Debout dans la rue, l’élève de septième année regarde la barrière d’un air résigné. Aujourd’hui non plus, comme c’était le cas la veille, il ne sera pas un élève comme les autres.
Une construction opaque
Les élèves en règle sont à l’intérieur. Sous des abris provisoires, certains construits depuis 2010, des salles de classe s’animent. Mais dans la cour aussi, royaume de la poussière, des enfants courent partout.
Pourtant de gros trous sont faits dans le sol, qui peuvent causer des accidents graves. L’école est en construction, le chantier n’est pas protégé. Une pelleteuse jaune, immobile, indique que les travaux ne sont pas terminés.
Alain Cherestil est le directeur de cette école nationale. Il la dirige depuis 2007. D’après lui, la reconstruction de l’école dure depuis trois ans déjà.
« L’école avait été détruite en 2010, explique-t-il. La Fonds d’Assistance Économique et Sociale (FAES) est venue et a construit des hangars. Ils sont encore là alors qu’ils étaient provisoires. C’est vrai que maintenant a un semblant de reconstruction, mais personne ne sait qui est le maître d’œuvre. Même moi je ne le sais pas, je ne fais que constater. »
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« De plus, poursuit-il, les inspecteurs du ministère ne sont jamais venus ici, pour s’assurer que les constructions respectent les normes. »
La reconstruction se résume jusqu’à présent à quelques bâtiments couverts d’une tôle bleue, semblables aux hangars construits depuis 2010. Ils n’ont ni portes ni fenêtres. Autour d’un terrain de basket orphelin de panier, deux ouvriers s’activent pour monter une ceinture de tôle.
Un manque de mobilier
Il y a un problème bien plus gênant que l’incertitude sur la construction des locaux. C’est le manque de mobilier. Dans presque toutes les classes du troisième cycle, des élèves suivent les cours debout. Ils manquent de bancs ; les premiers arrivés sont les premiers servis (photo couverture).
Un élève rencontré dans la cour, en face de la salle de 8e année, confirme qu’il n’y a pas assez de places. « Si je ne grandis pas plus, ce n’est surement pas parce que je ne reste pas debout assez longtemps », dit-il ironique.
Pendant notre visite, en deux occasions, nous avons vu des élèves transporter des bancs d’une classe à une autre. Certains, moins chanceux, s’adossent contre un mur pour profiter du pain de l’instruction.
Selon Alain Cherestil, ce problème en apparence simple à résoudre, est compliqué. « Nous partageons l’espace avec le lycée Antoine et Georges Izméry, explique-t-il. La cohabitation est difficile. Les lycéens vont tout le temps prendre des bancs dans les classes fondamentales. De plus, quand un banc est brisé, nous ne retrouvons même pas les planches. »
Le directeur assure que la quasi-totalité des maigres ressources de l’école est dépensée en bancs, mais les classes sont trop chargées. « C’est la seule école nationale de la zone, affirme-t-il. Certains élèves n’iraient jamais à l’école, de leur vie, si nous n’étions pas là ».
Pas de cantine scolaire. Pas d’électricité. Alain Cherestil dit se résigner, impuissant.
Un lycée que de nom
La situation de l’école nationale sœur Teresa de Calcutta n’est pas unique : certains cas sont pires. À Bainet, dans la deuxième section de Trou Mahot, on trouve le lycée Philippe Aliès. C’est en 2013 qu’il a été créé. D’après Gérald Michel, le directeur, il s’agissait d’une manœuvre politique.
« C’était d’abord une école nationale, du préscolaire au troisième cycle, dit-il. Puis des politiciens candidats ont promis que toutes les écoles de la zone qui avaient un troisième cycle deviendraient des lycées. »
Mais depuis lors, aucun matériel n’a été acquis pour le lycée. Pourtant, selon les dires de Gérald Michel, les résultats de l’établissement aux examens d’État étaient excellents.
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« Une année, sur 11 élèves, nous avons eu 11 réussites. Mais les responsables du ministère n’ont rien fait. Nous manquons de tout. Nous n’avons aucun matériel propre à nous. Le lycée n’a qu’un seul professeur, malgré nos démarches. C’est dans les salles de classes de l’école nationale que nous fonctionnons, et ce sont les professeurs du troisième cycle qui nous aident », affirme le responsable.
Comme il n’y a pas de professeurs, le lycée est réduit à une seule classe, le Nouveau secondaire 1 (3e).
« Nous n’avons plus les autres classes, regrette le directeur. Nous avons gardé le NS1 pour ne pas perdre le statut de lycée, mais je m’inquiète pour l’année scolaire prochaine. Il faudra bien que les élèves accèdent à une classe supérieure… Des classes que nous n’avons plus. »
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