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Elle ne pourra pas aller à l’école parce qu’elle a le Sida

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Paladan (19 ans)  vit avec une cousine. Depuis la mort de ses parents, elle n’a jamais connu un instant de bonheur et de répit. Elle nous conte son histoire imprégnée de tragédies

Paladan est son prénom, Paladan Estimé. Elle ne peut pas fournir d’explications sur ce prénom qu’en général les gens trouvent drôle. Elle est  une fille qui  jadis a été comblée quand ses parents étaient encore vivants. «Quand ma maman était là, j’avais un lit», avance-t-elle comme si un lit était le plus précieux des biens qu’une personne pouvait avoir.  Elle a 19 ans, mais son physique donne l’impression d’une fillette de 10 ans. Paladan  a grandi à «Kafou Zaboka» à Jérémie. Elle est la benjamine d’une famille de quatre enfants. Elle ne vivait qu’avec sa maman, parce que son père avait une autre femme dans le «bouk».

Quand sa mère est morte, Paladan devait être très jeune, bien qu’elle ne se souvienne pas de l’âge qu’elle avait exactement. La mort de son père s’en est suivie très peu de temps après . «J’étais seule à la maison, tous mes frères et sœurs étaient déjà à Port-au-Prince. Une de mes sœurs qui vivait à Cité Soleil est venue me prendre pour que je garde ses enfants pour elle», lance la jeune fille d’un regard timide. Paladan semble de nature très timide, elle ne lève pas la tête une seule seconde durant toute  l’entrevue. C’est elle qui se chargeait de tout chez sa sœur. «Je transportais de l’eau, je faisais la lessive et je m’occupais des enfants.» Cependant, on peinait à lui donner à manger, en plus, elle n’était pas traitée comme un enfant. On ne lui achetait aucun vêtement ni d’autres choses de base dont a besoin toute jeune fille . Certains hommes du quartier profitaient de l’absence de la sœur de Paladan pour abuser d’elle sexuellement.

Quand elle fut lassée des maltraitances subies chez sa sœur, Paladan s’est rendue chez une tante à la 5e avenue Bolosse. Et là, c’était pire, elle a donc  laissé  cette maison pour se réfugier chez sa cousine au Bicentenaire. Depuis, elle n’est jamais partie, pas parce que les conditions sont meilleures mais parce qu’elle n’a pas d’autres choix.

Quand elle a appris qu’elle avait le SIDA

Tout a basculé quand Paladan a su qu’elle était séropositive. «Ma cousine comptait m’envoyer à l’école cette année, quand elle a reçu les résultats du test, elle a décidé que ce n’était plus la peine d’y aller, car je vais mourir de toute façon», explique la jeune femme. Elle, qui n’a jamais eu la chance de fréquenter l’école. Paladan a été humiliée par ses pairs après le résultat positif au test du VIH. Depuis, elle ne peut ni boire ni manger dans les mêmes récipients que le reste de la famille. Elle pense qu’elle n’est pas  expulsée de la maison parce qu’on a encore besoin de ses services.

Paladan a découvert qu’elle avait le SIDA après avoir été victime d’un viol collectif. «J’étais à Merger chez une amie de ma cousine, j’allais chercher de l’eau quand deux jeunes garçons (deux frères) m’ont attrapé pour m’emmener dans une maison. Ils ont verrouillé la porte et à tour de rôle, ils m’ont violé.» Après l’incident, la dame qui l’avait hébergée a été mise au courant et ne trouvait rien d’autre à faire que d’aller chercher une rémunération en contrepartie de l’acte. Les deux frères n’ont pas été punis, ils ont seulement versé un peu d’argent contre le silence et l’oubli de la famille de Paladan. La victime ne sait pas grand-chose du montant qui a été versé, toutefois, elle sait qu’une partie de cet argent a  payé  ses consultations dans un centre de santé non loin de la zone. C’est là qu’elle a appris qu’elle était séropositive.

Retournée chez sa cousine au Bicentenaire, l’orpheline  a été accompagnée par une voisine au centre de santé de Portail Léogâne.  Mais ce n’est pas l’endroit pour lequel elle optait au premier abord.  Elle raconte : «Je ne suis pas allée aux centres GHESKIO parce qu’on ne voulait pas me prendre sans un dossier médical, j’avais tout laissé au centre de Merger.» À Portail, elle reçoit des médicaments gratuitement, cependant, elle ne peut pas les prendre régulièrement. «Le matin, avant de partir, ma cousine ne  laisse de l’argent qu’à son fils pour acheter à manger. Il m’arrive souvent de passer toute la journée affamée»,  mentionne Paladan d’une voix tremblotante.

Les diagnostics du médecin ont révélé que Paladan avait contracté le VIH depuis des lustres. Après réflexion, elle pense que c’est à Cité Soleil qu’elle a attrapé la maladie en fin de compte, «un dimanche, ma sœur était à l’église, un homme dans le voisinage est venu m’offrir de l’argent pour des services sexuels.» C’était, selon ses dires, cet homme qui lui aurait transmis le virus. Il l’a dupé, après s’être passé à l’acte, car elle n’a même pas été payée comme conclu.

Paladan est une fille qui n’a pas appris à dire non. Malgré les mauvais traitements qu’elle subit chez sa cousine, elle ne peut pas partir parce que personne ne veut la recevoir. Elle est sans repères à Port-au-Prince. Questionnée sur ses objectifs et ses rêves dans la vie, Paladan ne sait pas trop quoi répondre. Elle laisse l’impression de ne pas trop comprendre de tels concepts qui se situe trop loin de son présent. Elle réfléchit beaucoup avant de dire qu’elle voudrait avoir un «p’tit dégagé» pour avoir un peu d’argent. «J’aimerais seulement avoir une table de sucreries», avoue-t-elle le regard fuyant.

L’irresponsabilité de L’État

L’État haïtien a ratifié, en 1994, la convention relative aux droits de l’enfant. En son article 19, cette convention fait obligation aux États l’ayant signé de prendre toutes les dispositions législatives pour protéger les enfants contre toute forme d’abus sexuel et de maltraitance physique. Selon le même article, les États doivent mettre sur pieds des programmes sociaux en vue de permettre l’épanouissement des enfants. S’il adviendrait qu’un enfant soit en maltraitance, des poursuites judiciaires doivent être menées contre les personnes en question.

Paladan n’est plus une enfant maintenant qu’elle est âgée de dix-neuf ans, mais avant cet âge, elle n’était protégée par aucun organe de l’État. Le pire c’est qu’il y a plus d’un enfant à vivre une enfance difficile en Haïti. L’État haïtien dans son grand livre, ne semble pas prêt d’arriver au chapitre qui les concerne.

Par Laura Louis


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Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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