Le tremblement de terre de magnitude 7,2 vient amplifier une situation déjà intenable.
Cela Jules s’est réveillée dès 5 h ce matin pour se rendre à l’Église Saint Louis de Jérémie. Avec son rouge iconique, le bâtiment fait office de carte postale pour le chef-lieu du département de la Grand’Anse.
Jules, 69 ans, assiste à la messe de 6 h. Elle reste à l’Église catholique pour en faire le nettoyage avec deux autres dévots. Un peu après 8 h 25, environ, son balai se brise. Elle se déplace pour aller le remplacer. Alors qu’elle se faufile entre les bancs en bois massif, l’auguste bâtiment se met à tanguer.
« Je me suis réfugiée sous les bancs pour échapper aux chutes de pierres » rapporte Jules.
Les secousses ont duré moins d’une minute. La toiture de l’église, déjà amochée par le cyclone Matthew en 2016, s’est brisée à nouveau. « Je ressens maintenant une douleur au cou, mais les deux autres personnes qui m’accompagnaient sont en sécurité », témoigne Jules au téléphone.
À l’extérieur de l’Église, l’apocalypse. Fransein Lundy est étudiant en diplomatie et journaliste. Il ne reconnait plus la Cité des poètes. « Une dizaine de personnes sont mortes, parmi elles trois enfants, rapporte l’employé de « Extension FM », une radio locale.
Les autorités parlent provisoirement de 304 morts au total, dont 160 dans le Sud, 42 dans les Nippes, 100 dans la Grand-Anse et 2 dans le Nord-Ouest. Plus de 1800 blessés sont enregistrés notamment dans des glissements de terrain.
Le bas de la ville montre un visage balafré. « Les anciennes maisons sur la Grand’Rue sont totalement effondrées pour certains, d’autres sont endommagées. La route menant aux Cayes est coupée au niveau de la Rivière Glace à cause des éboulements. »
« Beaucoup de maisons sont effondrées, continue Lundy. La route près du pont de la Grand’Anse est fendue. L’hôpital Saint Antoine seul centre public de la ville est dépassé, en manque de matériels et de personnels adéquats. Certains patients se trouvent dans la cour. Une dame a même accouché dans une voiture. »
Avec ses 300 000 morts, le tremblement de terre du 12 janvier n’avait pas touché sévèrement le département de la Grand’Anse. « Les départements la Grand’Anse et du Sud étaient les moins à risque, parmi les dix départements géographiques », déclare l’ingénieur Claude Prepetit lors d’une conférence de presse après le séisme.
Dans une entrevue accordée à AyiboPost l’année dernière, l’ingénieur affichait son désarroi. « Nous n’avons pas appris les leçons du 12 janvier 2010, disait-il. Si un tremblement de terre de magnitude 7 passe à nouveau en Haïti, nous aurons à nouveau des dommages importants. »
Ceci n’empêche pas la surprise. Claude Prepetit fait le monitoring des mouvements sismiques dans le pays depuis au moins 2010. Les départements aujourd’hui touchés n’affichaient guère des activités sismiques importantes. « C’est une surprise, dit-il. Ceci montre encore une fois que les tremblements de terre sont imprévisibles. »
Entretemps, les secours s’organisent. Une équipe des Nations unies s’est rendue dans le Sud par avion pour évaluer les dégâts sur place.
Mais une autre catastrophe peut potentiellement se greffer sur la dernière : l’insécurité. Les trois départements les plus proches de l’épicentre du séisme sont reliés à Port-au-Prince, la capitale par la route de Martissant. Une guerre de gang éclaté début juin rend la route quasi impraticable. Régulièrement, des gens y sont tués et des voitures détournées.
Des images catastrophiques viennent du sud du pays, où se trouve l’épicentre du tremblement de terre. Des médias rapportaient une impossibilité de passer des appels à Petit Trou de Nippes. Les responsables de la Digicel démentent ces informations. Ils admettent cependant une panne au niveau d’une zone située entre les Cayes et Port-Salut. Cette panne était en cours de traitement dans l’après-midi.
Duples Plymouth confirme la mort du maire de la ville des Cayes, Gabriel Fortuné. L’homme politique se trouvait dans son hôtel quand le tremblement de terre l’a surpris en conversation avec un collègue. « Une femme parle sous les décombres de l’hôtel au moment où je te parle », rajoute le journaliste, depuis l’hôtel Le Manguier, haut lieu des débats politiques dans le Sud.
Une situation critique se développe à Camp-Perrin où des édifices se sont effondrés. « Il faut lancer un appel d’urgence pour la ville, déclare Madahï Ann, une professionnelle de la santé de passage dans la zone. Il y a beaucoup de dégâts. L’église de Marceline s’est effondrée. Une femme de ménage est morte à l’intérieur de l’édifice. Il y a beaucoup de blessés à l’hopital Saint Anne alors qu’il n’y a un seul medecin et quelques infirmieres. »
Le plus important centre hospitalier des Cayes lance un appel à l’aide. « Nous sommes débordés sous les blessés », dit Améthyste Arcélius, administrateur du centre hospitalier Immaculée Conception. « Beaucoup de gens arrivent avec des membres brisés. Nous manquons de médicaments d’urgence et de professionnels de la santé. A 4h PM, nous n’avons reçu que des promesses mais aucune aide.»
Même situation à une dizaine de minutes de la ville. Docteur Dickens Fanfan officie comme directeur médical à l’hôpital Caramed. » Nous avons reçu une quinzaine de blessés, dit le professionnel. Certains ont leurs pieds ou bras fracassés. Beaucoup d’adultes se sont blessés en essayant de sauver des enfants. »
Le hic, c’est que Caramed vient à peine d’ouvrir ses portes. « Nous manquons de matériels et les gens arrivent sans le sou, incapables de payer même les premiers soins alors que les autres hôpitaux de la ville sont débordés. »
Ce tremblement de terre surprend Haïti dans un contexte de crise aiguë. 4,4 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire. Près de 20 000 autres se trouvent expulsées de leurs maisons dans la région métropolitaine à cause des assauts de gangs, alors qu’une crise de leadership s’est rajoutée à l’équation depuis l’assassinat du président de la Republique, Jovenel Moise, le 7 juillet dernier, dans sa résidence à Pèlerin.
« Mache pou Lavi » est une plateforme d’une cinquantaine d’organisations de la société civile. Dans une note de sympathie aux victimes transférée à AyiboPost, la structure lance une « mise en garde à ceux qui se frottent les mains pour s’enrichir au détriment des victimes, comme ce fut le cas après le séisme du 12 janvier 2010 et toute autre catastrophe en Haïti. »
« Même s’il ne peut engager l’État puisqu’il n’est ni constitutionnel, ni légal, ni légitime, le Premier ministre de facto, Ariel Henri doit exceptionnellement prendre des dispositions pour poser des actions humanitaires », déclare Gédéon Jean, un des porte-parole de la structure.
Cela Jules est la grand-mère de Widlore Mérancourt, auteur de ce reportage.
Cet article sera mis à jour.
Lisez l’Exploration d’AyiboPost sur le tremblement de terre ICI.
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