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Échanges avec Rose Lumane Saint-Jean, la passionnée de l’éloquence

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La lauréate de la 5e édition du concours de plaidoirie organisé par le Bureau des Droits humains en Haïti est qualifiée pour la finale du concours d’éloquence de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Âgée de 24 ans, Rose Lumane Saint-Jean est mémorante en Droit. Elle entreprend un master I en Gestion et Économie des collectivités territoriales à l’Université Publique du Nord du Cap-Haïtien. 

AyiboPost : Pourriez-vous revenir sur votre participation au concours international d’éloquence? 

Rose Lumane Saint-Jean : Étant donné que j’avais remporté le concours de plaidoirie du Bureau des Droits humains en Haïti (BDHH), l’Agence universitaire de France (AUF) a écrit au BDHH pour que je participe au concours international d’éloquence. Lorsque madame [Pauline] Lecarpentier du BDHH m’a demandé si je voulais participer à un concours international d’éloquence, j’ai dit oui sans réfléchir.

Je ne m’attendais pas à participer à ce concours. Je ne me fixe pas d’objectifs d’année en année. Je me suis dit cette année, je dois passer ma licence. Cette année, je dois entrer en master. C’est ainsi que je planifie ma vie. Mais pour ce concours, c’est comme une occasion, et j’ai saisi l’opportunité. Puisque je vois dans les concours une possibilité d’apprendre, de faire des recherches, de s’évaluer et aussi de partager. Peu importe les résultats, je vais apprendre quelque chose. L’apprentissage est pour moi une motivation.

Nous étions neuf candidats internationaux. Puis, l’on avait retenu quatre d’entre nous pour la demi-finale. Les sujets nous ont été imposés. Les Français ont participé en présentiel. J’ai eu tout le soutien du Bureau des Droits humains en Haïti, notamment Me Nathan Laguerre. Ils inspectent mon travail et me font des suggestions.

En marge du concours, qu’est-ce que vous faites comme activité?

Je suis licenciée en Sciences administratives et gouvernance locale de l’Université publique du Nord. Je pense pouvoir obtenir ma licence en Droit à partir du mois de juillet de cette année. J’ai déjà soumis mon avant-projet, j’attends la date de la soutenance pour  avancer.

Je suis en train de faire un master I à l’Université du Nord, au Cap-Haïtien, en Gestion et Économie des collectivités territoriales. Parallèlement, je travaille pour la Fondation panaméricaine de développement (PADF). Je suis facilitatrice communautaire. Je fais le lien entre la fondation et les autorités locales. J’organise des rencontres, je discute avec les gens de l’intérêt du projet. Le travail ne m’oblige pas à être sur place de 7-16 heures. J’ai donc une certaine liberté dans mon travail. Pour la composition aussi, je peux dire que j’ai eu tout le support des responsables de mon travail parce qu’ils ont compris que je dois avoir un peu de temps pour me préparer.

Je suis en finale maintenant. J’aurai mon sujet très bientôt. Il y a un prix du public, le prix TV5 monde, qui va être attribué par les votes du public. Ensuite, le jury va choisir le meilleur orateur ou la meilleure oratrice à travers les sujets qu’on aura à plaider le 25 mai prochain. Pour le moment je suis en train de me concentrer, quoique je parle avec la presse et des amis. Je continue à travailler avec une équipe sur l’élocution, la lecture et l’art de parler parce que j’ai le devoir de travailler beaucoup plus que les autres concurrents parce que c’est leur langue, leur culture et leur histoire. Donc, je continue à faire de la lecture à haute voix, à prononcer des mots pour essayer d’être plus performante que la dernière fois.

Comment votre famille a-t-elle reçu la nouvelle de votre qualification et la popularité qui vient avec?

Je pense que ma famille est contente que leur enfant puisse avancer dans la vie, je ne parle même pas de réussite.

En Haïti, les parents investissent tout dans leurs enfants. Ce qui est vraiment une récompense pour nos parents c’est qu’ils puissent nous voir capables de prendre soin de nous-mêmes, cela leur donne une certaine satisfaction, ils peuvent dire qu’ils n’ont pas travaillé en vain.

Concernant la représentation, je ne pense que c’est moi qui intéresse vraiment les jeunes, c’est ce que je fais, les activités que je réalise, mon avancement qui est plutôt source de motivation pour eux. Je dois vous dire honnêtement que quelle que soit la personne qui participerait à un concours international et qui serait arrivée au niveau que j’ai atteint, tout le monde allait en parler.

Je sais que grâce au concours du Bureau des droits humains en Haïti, les candidats vont participer d’année en année et s’ils comptent participer aux concours internationaux, ils auront la même admiration qu’on a pour moi aujourd’hui.

Vous travaillez aussi dans les médias?

J’ai animé des émissions depuis mes 18 ans jusqu’à l’année dernière. J’ai pris une pause avec les médias parce que je voulais finir ma licence pour entrer en master. La recherche prend beaucoup de temps, les médias aussi. Il a fallu faire un choix difficile puisque j’adore les médias. Mais je vais reprendre lorsque mes activités seront réduites. En attendant, je continue à animer des émissions culturelles, des graduations, des mariages. Je participe aussi à des conférences discutant de divers sujets, dont l’entrepreneuriat, parce qu’on en parle beaucoup ces jours-ci. Dans les rencontres sur l’entrepreneuriat, je ne suis pas conférencière, mais modératrice. Presque toutes mes activités sont liées à l’oralité et la lecture.

Avez-vous des ambitions politiques?

Je pense qu’il y a beaucoup de travail au niveau du pouvoir local en Haïti puisque c’est la base. C’est à partir des collectivités territoriales qu’on peut construire un sommet solide. C’est à travers la localité qu’on va avoir un pouvoir central capable d’assumer ses responsabilités. Puisque j’ai une passion pour le Droit, je pense que je peux travailler sur les collectivités territoriales, mais autrement.

Je n’ai pas vraiment d’ambitions politiques si ce n’est d’aider. Je compte plutôt devenir avocate puisque j’adore la plaidoirie et j’adore aussi aider les gens. Si une personne est victime d’injustice, en tant qu’avocate, je peux la défendre. En ce qui a trait aux collectivités territoriales, je compte continuer  mes études pour  enseigner à l’université. Je ne suis pas obligée d’être dans la politique active pour pouvoir aider au niveau des collectivités territoriales.

En fait, je pense qu’enseigner à l’université est déjà faire de la politique, parce qu’on a la capacité de canaliser les autres. On a la possibilité d’offrir aux étudiants une vision de la gestion de la cité. Je ne compte pas me porter candidat à un poste politique.

Avez-vous l’intention d’émigrer ailleurs?

Je pense qu’on peut toujours se déplacer. Si je dois me déplacer, c’est pour continuer mes études. Je fais partie de ceux qui pensent que pour pouvoir donner, il faut en avoir. Honnêtement, je ne pense pas disposer assez de connaissances pour pouvoir partager avec les autres. Si un autre pays m’offre la possibilité de faire des recherches, je partirai. Mais je suis certaine et je pourrais même donner la garantie que je compte passer ma vie en Haïti.

Je veux enseigner à l’université, passer du bon temps avec ma famille, mes parents. Je n’ai jamais quitté mes parents. Il m’arrive d’aller passer des semaines ailleurs, mais je suis toujours avec mon papa, ma maman et ma petite sœur. Je ne sais pas si je suis un peu gâtée, mais il est très difficile pour moi de prendre un travail à Port-au-Prince. Je n’aime pas me déplacer, mais je peux le faire pour mes études.

Il est clair que ma vision est de retourner en Haïti pour pratiquer l’enseignement supérieur. Je sais qu’être enseignant en Haïti n’implique pas grand-chose, je ne pourrais pas vivre décemment avec le salaire que j’aurai. Mais ce métier reste pour moi une passion et c’est extraordinaire.

Y a-t-il un barreau que vous convoitez? 

Pour l’instant les tribunaux sont fermés. Je vais aller soit au barreau de Port-au-Prince, soit au à celui du Cap-Haïtien. Je n’ai pas encore fait de choix. Je ne sais pas encore quelle possibilité j’aurai pour continuer parce que ce ne sont pas des choses que l’on peut vraiment anticiper. Maintenant que je suis au Cap-Haïtien, il y a plus ou moins un calme apparent, bien qu’il n’y ait pas un endroit qui soit réellement calme.

Je ne pense pas pouvoir apporter quelque chose à la pratique du Droit en Haïti parce qu’il s’agit d’un système dont toutes les structures sont déjà en place. Mais ce qui m’intéresse vraiment c’est le bureau d’assistance légale pour  aider les personnes qui sont en situation difficile, celles qui sont en prison injustement, les jeunes filles victimes de violence et qui souvent ont peur d’en parler. C’est ce que je veux faire.

Pour finir, je voudrais lancer un appel aux jeunes. Le Bureau des droits humains en Haïti vient de lancer son concours de plaidoirie, je les encourage tous à y participer.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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