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Acculés par les bandits, de nombreux chauffeurs lâchent le secteur

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Pour avoir droit de passage, les bandits armés imposent aux chauffeurs un péage sur les routes, à l’aller comme au retour. Ces derniers doivent payer sans sourciller

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À cause des exactions perpétrées par des bandits armés le long des routes principales, notamment les routes nationales un, deux et trois reliant Port-au-Prince à d’autres villes du pays, de plus en plus de chauffeurs sont contraints d’abandonner le secteur du transport public en Haïti, selon des responsables de syndicat contactés par AyiboPost.

Christophe Patrick illustre cette tendance. Pendant 26 ans, ce chauffeur assurait le trajet Port-au-Prince/Saint-Marc. Mais il y a trois ans, pour rassurer sa famille qui s’inquiétait trop à chaque fois qu’il prenait la route, il a fini par abandonner.

«Car, en plus des frais de passage de 4 000 gourdes exigés par les bandits, la Route nationale numéro 1 était devenue trop risquée à cause de leurs opérations à Canaan», relate-t-il.

À cause des exactions perpétrées par des bandits armés le long des routes principales […], de plus en plus de chauffeurs sont contraints d’abandonner le secteur du transport public en Haïti.

Depuis quelque temps, les groupes de gangs s’installant à l’entrée sud et à l’entrée nord de Port-au-Prince se livrent, sans aucune crainte, à toutes sortes de méfaits.

Kidnapping, rançons, péage, vol de marchandises et de véhicules et autres désagréments font le quotidien amer de ceux et celles qui fréquentent les routes nationales numéro un et numéro deux.

Alors que certains chauffeurs acceptent de payer le passage aux bandits armés ou changent de trajet, d’autres se tournent vers des activités jugées moins risquées pour gagner leur vie.

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Peterson Prévost était chauffeur d’autobus. Il assurait le trajet Port-au-Prince/Jacmel pendant une dizaine d’années.

Entre sanglot et colère, il raconte à AyiboPost le pire moment qu’il a vécu sur la route de Martissant un jour de 2022.

L’homme se souvient avoir été pris dans un embouteillage monstre sur la nationale numéro deux à Martissant, qui a duré près de huit heures.

Vers sept heures PM, le flot de véhicules commençait enfin à se dégager. Il était soulagé de pouvoir rallumer son moteur et reprendre la route pour rentrer chez lui retrouver sa famille.

Cependant, au moment où il s’active pour se déplacer, un bandit lui braque et exige tout l’argent qu’il avait amassé pendant la journée. Par peur de se faire tuer, il était obligé de tout lui donner. «Ce soir-là, j’ai vécu le pire moment de ma vie. Je suis rentré chez moi abattu, triste, frustré. Je me suis dit que plus jamais, je ne mettrai les pieds à Port-au-Prince», explique Prévost.

Les groupes de gangs s’installant à l’entrée sud et à l’entrée nord de Port-au-Prince se livrent, sans aucune crainte, à toutes sortes de méfaits.

La situation est frustrante au plus haut point. «Chaque année, nous payons des taxes à l’État, nous payons aussi le Fond d’entretien routier (FER), et voilà maintenant que nous sommes obligés de payer des frais de passage exorbitants aux bandits, c’est injuste», juge le professionnel.

Même chose pour Paul Yoli, 62 ans, lui aussi chauffeur assurant le trajet Port-au-Prince/Jacmel depuis une vingtaine d’années.

Kidnappé en novembre 2022 au niveau de Martissant, il a été libéré contre rançon un jour plus tard. L’homme garde encore en mémoire les souvenirs horribles des conditions inhumaines de sa séquestration.

«Maintenant, je cultive la terre pour pouvoir prendre soin de ma famille », dit-il, la voix cassée.

Chaque année, nous payons des taxes à l’État, nous payons aussi le Fond d’entretien routier (FER), et voilà maintenant que nous sommes obligés de payer des frais de passage exorbitants aux bandits, c’est injuste.

Pour avoir droit de passage, les bandits armés imposent aux chauffeurs un droit de péage sur les routes, à l’aller comme au retour. Ces derniers doivent payer sans sourciller.

À l’entrée sud de la capitale, deux points de péage sont installés. L’un à Martissant, l’autre à Fontamara.

«Avant, je payais 3000 gourdes au niveau de Fontamara et 2000 au niveau de Martissant», raconte Yoli. «Maintenant, ce sont respectivement 5000 et 4000 gourdes. Sans oublier le risque constant de recevoir une balle perdue», continue Yoli, qui déclare ne pas être en mesure de payer ces frais qui représentent plus que la moitié de ce qu’il pouvait gagner sur chaque voyage.

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La situation est similaire à l’entrée nord de la capitale. De moins en moins de véhicules de transport public sont remarqués sur la route.

«Avant, on pouvait avoir vingt-cinq à trente autobus qui empruntaient la route. Maintenant, c’est parfois réduit à seulement cinq ou six», déclare Alix Duverger, porte-parole du Syndicat des chauffeurs et propriétaires de véhicules du Bas-Artibonite qui reconnaît par ailleurs que des chauffeurs utilisent des routes alternatives pour éviter d’affronter les bandits armés.

«Le secteur du transport en commun est à genoux», soutient Duverger.

Pour avoir droit de passage, les bandits armés imposent aux chauffeurs un droit de péage sur les routes, à l’aller comme au retour. Ces derniers doivent payer sans sourciller.

Dans son bilan annuel présenté en décembre 2022, le président de l’Association haïtienne des Propriétaires et Chauffeurs d’Haïti (APCH), Méhu Changeux, a montré les énormes difficultés auxquelles fait face le secteur.

Plus de quinze chauffeurs tués, plus de 132 personnes (des chauffeurs et des passagers) enlevées puis libérées contre rançon, plus de 70 véhicules de transport incendiés par les bandits, plus de 20 autres volés par les gangs au centre-ville de Port-au-Prince.

«Depuis que les policiers ont fui le sous-commissariat de Martissant en décembre 2021, les bandits ont trouvé plus de facilité à opérer sur la route. Cela a accéléré l’abandon des chauffeurs», explique Petrus Leriche, secrétaire de l’APCH.

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Il faut dire qu’il n’y a pas que les chauffeurs qui subissent le sort de ces hommes armés, dit Leriche à AyiboPost.

Les passagers aussi subissent le même calvaire.

C’est le cas par exemple des madans saras qui ne peuvent plus circuler comme avant, ainsi que des professionnels qui sont obligés de se faire transférer pour ne pas avoir à traverser «la vallée de la mort qu’est Martissant» explique-t-il.

À l’entrée sud de la capitale, deux points de péage sont installés. L’un à Martissant, l’autre à Fontamara.

Entre-temps, les frais de transport ont plus que doublé depuis l’installation de ces postes de péage.

Par exemple, de 500 gourdes, le trajet Port-au-Prince/Saint-Marc est maintenant passé à 1500 gourdes en passant par Canaan.

« Nous essayons de résister. Car tant qu’il y a des gens qui se déplacent, il y aura des chauffeurs sur les routes. Cependant, il faut le reconnaître : le secteur est de plus en plus mis à mal par les hommes armés » dit Leriche à AyiboPost.

Par Wethzer Piercin

© Image de couverture : Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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