Interview avec Frandley Julien, un avocat Haïtien qui travaille aux Etats-Unis
Le 21 août 2020, l’homme d’affaires Dimitri Vorbe a été arrêté par les services de l’immigration américaine. Il a été détenu quelques jours puis libéré sous caution, après être passé devant un juge.
Le responsable de la compagnie Sogener, en guerre ouverte avec l’Etat haïtien, doit passer incessamment devant un juge qui décidera des suites de son cas, dans son dossier avec l’immigration américaine. L’homme d’affaires était resté plus longtemps que le lui autorisait son permis de séjour dans ce pays.
C’est presque le même cas pour William, un Haïtien détenu par les services de l’immigration des Etats-Unis depuis quelques jours. Une campagne a été lancée sur les réseaux sociaux, pour inviter les internautes à donner de l’argent en sa faveur, pour l’aider à payer sa caution.
Il est retenu par les autorités américaines, par le biais du ICE (Immigration and customs enforcement), le service de protection des frontières de ce pays. La raison officielle, selon une note publiée sur la page de la campagne Gofundme, est qu’il a lui aussi dépassé son permis de séjour au pays de l’oncle Sam.
Cette campagne veut atteindre 25 000 dollars américains : 20 000 pour qu’il soit libéré sous caution et 5 000 pour les frais d’avocat. William a déjà reçu plus de 19 000, de 412 donateurs qui le soutiennent. Si l’argent n’est pas réuni, William peut être expulsé vers Haïti. Mais s’il arrive à rassembler cette somme, il sera libéré temporairement, comme Dimitri Vorbe, et pourra présenter une demande d’asile aux Etats-Unis.
Dans une entrevue accordée à AyiboPost, Frandley Denis Julien explique la complexité du système d’immigration américain, particulièrement la détention par le ICE, et la procédure de demande d’asile. Frandley Denis Julien est avocat. Il a été assistant du procureur de l’Etat de Floride, aux Etats-Unis. Il est un spécialiste en droit de l’immigration.
Ayibopost: Qu’est-ce que le ICE?
Frandley Julien: Le service ICE (une agence fédérale de police douanière et de contrôle des frontières du département de la Sécurité intérieure des États-Unis) veille au respect des lois sur l’immigration aux Etats-Unis, et de leurs frontières. Elle vise aussi à protéger la sécurité nationale américaine, contre les menaces terroristes, venant notamment de personnes qui traverseraient les frontières avec de faux documents.
Qui est susceptible d’être détenu par ce service?
Pour être détenu par ICE, on doit être en situation irrégulière avec le service d’immigration.
Dans le cas des détenteurs de visas, au moins un des deux scénarios suivants doit se présenter: Soit un détenteur de visa est menacé de refoulement à un port d’entrée et fait une demande d’asile, soit un détenteur de visa est resté aux Etats-Unis après expiration de son permis de séjour, et a été arrêté.
Seuls les citoyens et les citoyennes des Etats-Unis ne sont pas sujets aux lois américaines sur l’immigration, sauf si l’on découvre qu’il y avait une fraude dans le processus d’acquisition de cette citoyenneté. Dans ce cas, un juge peut la leur enlever. C’est le cas par exemple de quelqu’un qui aurait payé un citoyen américain, pour un mariage, afin d’obtenir une résidence, et par la suite la citoyenneté.
Qu’arrive-t-il à une personne qui demande l’asile en arrivant sur le sol des Etats-Unis?
Il faut d’abord préciser que l’obtention d’un visa du consulat des Etats-Unis ne garantit pas au détenteur qu’il rentrera dans le pays. Lorsque cette personne arrive à l’aéroport, l’officier du CBP (Customs and Border Protection), peut lui refuser l’entrée, après quelques questions.
Dans ce cas, ils peuvent la mettre dans le prochain avion à destination de son pays d’origine, après lui avoir retiré son visa. Cependant, si cette personne demande l’asile avant d’être refoulée, elle sera transférée à un centre de détention où elle sera entendue par un officier du service d’asile qui devra déterminer si le demandeur d’asile a une peur crédible (credible fear, en anglais) de persécutions, à travers une entrevue éponyme (credible fear interview).
Il est donc mal avisé de solliciter l’asile à l’aéroport. Il vaut mieux attendre d’être admis au pays pour le faire pour éviter la détention.
Que se passe-t-il dans le cas où le détenteur de visa est appréhendé après l’expiration de son permis de séjour?
Si les agents de l’ICE arrêtent quelqu’un parce que son permis de séjour a expiré, même si son visa est encore valide, ils vont l’amener à un centre de détention. C’est le début d’une procédure d’expulsion.
Sauf que la personne en question peut faire une demande d’asile. Mais pour cela, il faut qu’un juge se prononce. Avant de voir ce juge, le concerné passe une entrevue avec un officier du bureau d’asile. C’est le credible fear interview, qui vérifie si la peur du demandeur de retourner dans son pays est justifiée.
C’est un test que la plupart des personnes passent sans problème. Si la personne passe l’entrevue avec succès, arrivée devant le juge, elle pourra demander l’asile. Le juge peut alors la libérer sous caution, pour commencer la procédure de demande d’asile. Le ICE peut aussi libérer une personne.
C’est une libération sous “parole”. Depuis la présidence de Donald Trump, ICE associe le paiement d’une caution à la libération sur parole, ce qui rend les choses plus difficiles pour la communauté immigrante.
Quelles sont les conséquences, si le demandeur échoue au credible fear interview?
Il peut demander une deuxième entrevue, qu’il passe devant un juge cette fois. S’il échoue à nouveau, il peut être sommairement expulsé à travers une procedure appelée Expedited removal.
C’est une procédure célère d’expulsion. Une fois expulsée sommairement, la personne devra attendre cinq ans avant de pouvoir demander un visa à nouveau, ou bénéficier d’un processus de résidence.
Dans le cas où l’entrevue est un succès, qu’arrive-t-il?
La personne est généralement libérée sous caution par le juge, ou sur « parole » par ICE. Après la libération, le demandeur d’asile va voir un juge d’immigration à l’extérieur, cette fois, pas au centre de détention. Il y a une première audience, appelée master hearing.
Plusieurs individus, presque tous des demandeurs d’asile, peuvent être présents. Au cours de cette audience, l’appliquant peut procéder à la demande d’asile proprement dite. Il se présentera ensuite à une audience individuelle, ou ne seront présents que les avocats, des témoins, et le juge.
Cependant, plusieurs années et autant de master hearings peuvent s’intercaler entre la première audience, et la dernière.
Quelles sont les issues de l’audience individuelle?
Après l’audience individuelle, deux cas peuvent se présenter. Si l’asile est accordé, le demandeur peut présenter une demande de résidence permanente après 1 an et 1 jour. Puis après quatre ans, s’il le souhaite, il peut présenter une demande pour devenir citoyen américain.
Si le tribunal lui refuse l’asile, le demandeur n’est pas tout de suite expulsé. Il a trente jours pour faire appel de la décision. Si en appel l’asile lui est toujours refusé, c’est alors qu’il peut être expulsé. Mais l’avocat peut demander un “stay of removal”, qui arrête l’expulsion s’il est accordé.
Lors de cette demande, l’avocat explique les raisons pour lesquelles l’expulsion du demandeur pourrait causer préjudice à une autre personne, notamment un citoyen américain. Le séjour peut alors être prolongé de quelques mois, et même quelques années, jusqu’à ce que le service ICE décide l’expulsion.
Combien de temps dure un permis de séjour?
Le permis de séjour est généralement de six mois, mais il peut être plus court. Si la période expire, mais que le détenteur de visa est encore dans le pays, il accumule ce qu’on appelle une présence illégale (unlawful presence). Sauf quelques catégories de personnes peuvent accumuler une présence illégale sans que cela soit préjudiciable à un processus de résidence permanente. Ce sont les conjoints, parents, ou enfants de moins de 18 ans, d’un citoyen américain.
Un permis de séjour qui arrive à expiration, alors que le détenteur est encore dans le pays peut conduire à l’annulation du visa, ou à son non-renouvellement.
Mais, pour des raisons diverses, notamment médicales, le permis de séjour peut être prolongé. Le concerné remplit alors un formulaire appelé I-539, et explique pourquoi il doit rester quelques mois de plus dans le pays.
Jameson Francisque
Cet article a été mis à jour le 5.9.2020, à 13.00, pour rajouter des précisions sur la procédure de demande d’asile.
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