Les Kényans ont tué deux Haïtiens dans un accident en août. L’une des familles victimes est tellement endettée qu’elle n’arrive pas à se payer un avocat. Silence radio de la mission internationale
Un blindé kényan de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) a tué Roberto Jean et un homme connu sous le nom de Fanfan à la fin du mois d’août dernier, sur la route de Pèlerin.
Le véhicule MaxxPro tractait un autre engin lorsqu’il a connu des défaillances mécaniques ayant conduit à l’accident : les deux Haïtiens qui circulaient à moto ont été tués, ainsi qu’un agent kényan.
Plus d’un mois après l’accident, ni les autorités haïtiennes ni les représentants de la mission n’ont pris contact avec les familles des victimes pour entamer les démarches de réparation, selon deux membres de la famille d’une des victimes interrogés par AyiboPost.
Cette famille – épuisée par les dettes contractées pour organiser les funérailles – peine à rassembler les fonds nécessaires pour régler les honoraires des avocats impliqués dans le dossier de demande de réparation.
La mère de Jean, Marie Michelle Vérilus, explique à AyiboPost être profondément bouleversée par le départ prématuré de son fils aîné.
« C’est très difficile. Je n’arrive pas encore à reprendre mes activités commerciales », confie-t-elle.

Une moto victime sous le char des Kenyans. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost
Marie Michelle Vérilus veut obtenir des réponses des autorités. Elle explique avoir entrepris des démarches à la mairie de Pétion-Ville, qui l’a renvoyée vers la Direction centrale de la police judiciaire, laquelle, à son tour, l’a dirigée vers la base de la Mission multinationale à Clercine.
Mais la famille n’arrive pas à réunir les honoraires de 75 000 gourdes exigés par les avocats contactés pour la poursuite de l’affaire, après avoir contracté des prêts de plusieurs centaines de milliers de gourdes pour organiser les obsèques de Jean.

Badge de Jean Roberto. Photo communiquée à AyiboPost par sa famille.
« L’organisation des funérailles nous a anéantis. Je ne sais pas encore comment je vais faire pour rembourser les prêts », explique la commerçante de 45 ans.
L’affaire est actuellement au point mort, selon l’un des avocats approchés par la famille.
« On n’avance pas. Nous n’avons pas encore sommé la mission, car la famille n’a pas effectué les suivis nécessaires concernant les frais de procédure », précise-t-il.
Dans une note publiée peu après le drame, la MMAS avait révélé que huit agents de la mission étaient sortis blessés, dont trois grièvement, dans l’incident. L’agent décédé a succombé à ses blessures à l’hôpital.
Cependant, le récit officiel présenté par la mission contraste avec les témoignages et les constats sur place effectués par AyiboPost.
La MMAS avait annoncé le décès d’un seul civil haïtien. Mais d’autres sources sur place et les observations d’un photojournaliste d’AyiboPost font état de deux morts.
Plus d’un mois après l’accident, ni les autorités haïtiennes ni les représentants de la mission n’ont pris contact avec les familles des victimes pour entamer les démarches de réparation
Il s’agit de Roberto Jean, 31 ans, et de Fanfan, présenté comme un photographe résidant à Fort-Jacques.
Dans la foulée du drame, la population locale avait bloqué la route en signe de protestation. La famille de Fanfan n’a pas pu être contactée avant la publication de cet article.
Plus d’un mois après le drame, Marie Jo, compagne de Roberto depuis huit mois, déclare ne pas savoir si elle arrivera un jour à s’en remettre.
« On était ensemble le vendredi d’avant, et on est sortis le samedi matin parce qu’il devait rentrer chez lui. On prévoyait de vivre ensemble à la fin de l’année », confie la jeune femme, la voix enrouée.
Marie Jo décrit Jean comme une personne « sensible » et « attentionnée ». L’homme s’était fait inscrire pour la nouvelle cohorte de la Police nationale d’Haïti. Il travaillait comme agent de sécurité au Caribbean Market, à Pétion-Ville.
Selon sa famille, sa fille unique de trois ans, qu’il avait eue avec une autre femme, vient d’entrer à l’école cette année.
Le personnel de la mission bénéficie d’une immunité pénale locale — ce qui signifie qu’il ne peut pas être poursuivi pénalement en Haïti, selon l’accord bilatéral signé entre Haïti et le Kenya pour le débarquement de la MMAS.
En revanche, selon l’avocat Lacks-Guvens Cadette, il est possible de réclamer des réparations au titre du droit civil pour les familles des victimes.
Selon ce spécialiste en droit public, les procédures impliquant les forces internationales liées aux Nations unies sont souvent complexes et onéreuses, ce qui explique qu’elles aboutissent rarement.
Il cite en exemple les cas de violations des droits humains imputées à la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), ainsi que la responsabilité de l’ONU dans l’introduction du choléra par ses Casques bleus en 2010.
Photos | Le choléra envahit des camps de Port-au-Prince
Il a fallu six ans aux Nations unies pour reconnaître leur responsabilité dans l’épidémie, qui avait causé près de 10 000 morts dans le pays à cette époque.
Jusqu’à aujourd’hui, l’organisation refuse d’indemniser individuellement plus d’un million de victimes de la maladie, qui continue de faire rage dans le pays.
L’accord conclu entre le gouvernement haïtien et le Kenya concernant la MMAS définit les procédures de compensation en cas de pertes matérielles ou civiles avérées imputées à la mission.
Conformément au document, une fois sa responsabilité établie, la MMAS « peut faciliter l’acquittement des compensations dans les limites des moyens financiers approuvés, lesquels peuvent être similaires aux limites financières prévues dans la résolution 52/247 (26 juin 1998) de l’Assemblée générale des Nations unies ».
Mais selon l’accord, la demande doit être faite dans les six mois à partir des faits, et au plus tard un an après la fin du mandat de la mission.
Pour toute réclamation ou demande, la famille victime doit intenter une action contre la mission, selon Me Cadette.
Cependant, pour lui, dans le cas de l’accident survenu en août, « la mission aurait pu anticiper en prenant contact avec les familles, afin d’éviter un scandale qui nuirait à son image ».
Fritznel Pierre, responsable d’une organisation de défense des droits humains, affirme avoir fait partie du comité de pilotage d’une composante portant sur la redevabilité intégrée à la mission multinationale.
Cette structure avait pour mission de recenser les écarts de conduite des officiers et de recevoir les plaintes de potentielles victimes au sein de la population.
Lire aussi : L’accord complet signé avec le Kenya pour la force multinationale
Joint par AyiboPost, Pierre rapporte qu’un responsable jamaïcain de cette commission lui a récemment confié que celle-ci menait une enquête pour « déterminer le degré de responsabilité de la mission dans l’accident ».
La mission n’a pas répondu à une demande de commentaire d’AyiboPost avant la publication de cet article.
Arrivée dans le pays en juin 2024, la Mission multinationale d’appui à la sécurité devait combattre les gangs aux côtés de la Police nationale d’Haïti.
Mais plus d’un an après, les gangs continuent de semer deuil et larmes dans diverses régions du pays.
Selon les Nations unies, plus de 3 000 personnes ont déjà été tuées par les violences en 2025, lesquelles ont également provoqué plus d’un million de déplacés.
Le mois dernier, le Conseil de sécurité a autorisé la transition de la MMAS vers une force de répression des gangs. Cette nouvelle mission inclut les éléments de la MMAS déjà actifs sur le terrain, selon les autorités.
La famille de Roberto espère obtenir justice et réparation.
« [Les Kényans] n’ont pas combattu l’insécurité comme prévu. Au contraire, ils m’ont mis les larmes aux yeux », conclut Marie Jo à AyiboPost.
Couverture | Accident d’un véhicule blindé des Kenyans le 31 août 2025 sur la route de Pèlerin. Photo de Jean Feguens Regala pour AyiboPost.
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