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Détails sur les rencontres entre Blinken et les autorités en Haïti

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Le Premier ministre et d’autres acteurs directement impliqués dans les discussions, contactés par AyiboPost, soulignent les principaux points abordés lors de la visite du secrétaire d’État américain en Haïti

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Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a effectué jeudi une visite éclair en Haïti, dans un contexte de vives contestations contre trois membres du Conseil présidentiel accusés de corruption et de critiques sur l’inefficacité des forces kenyanes déployées en Haïti pour combattre l’insécurité.

Dans sa réunion avec le chef du gouvernement, Blinken a  réitéré « son engagement et sa volonté de s’assurer que nous ayons l’appui nécessaire pour faire face à la crise », rapporte le premier ministre Garry Conille lors d’une interview exclusive avec AyiboPost hier vendredi.

Le Conseil présidentiel se charge de la mise en place du Conseil électoral provisoire, mais le gouvernement espère des « résultats positifs » au cours de la semaine prochaine, poursuit Conille.

Le chef du gouvernement dit accueillir favorablement les débats sur la transformation de la force multinationale en une mission de maintien de la paix des Nations Unies.

Cette idée fait partie de plusieurs options explorées par l’administration américaine dans un contexte de sous-financement de l’actuelle mission.

« Il faudra, dit le Premier ministre, attendre que nous ayons des discussions avec le Conseil présidentiel et d’autres acteurs. Il faut bien comprendre les implications. Il faut aussi que je comprenne quelles sont les autres options. »

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La question de l’enrôlement des enfants dans les gangs était sur la table des discussions.

Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance estime jusqu’à 50 % leur présence dans les groupes armés.

Le gouvernement annonce à AyiboPost vouloir mettre en place, dans le cadre de la rentrée scolaire, un programme pour ces enfants armés.

Ces enfants, dont certains ont été « forcés de rejoindre » les gangs, doivent « déposer leurs armes, passer par un centre, subir une évaluation psychologique et faire un bilan de santé », selon le premier ministre Conille.

Dans ses réunions et prises de parole publiques, Antony Blinken – plus haut dignitaire américain à visiter Haïti depuis 2015 – a réaffirmé son soutien au gouvernement, aux efforts en cours pour résoudre le problème de l’insécurité, ainsi qu’aux progrès politiques enregistrés ces derniers mois.

Antony Blinken

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a rencontré le Premier ministre haïtien, Garry Conille. | Photo : Chuck Kennedy

Il a aussi rencontré le président du Conseil présidentiel, Edgard Leblanc, des membres de partis politiques impliqués dans la transition et des responsables de la force kényane déployée en Haïti depuis deux mois.

Le secrétaire d’État a annoncé une aide humanitaire de 45 millions de dollars et promis des efforts pour renouveler le programme HOPE/HELP.

Ce programme permet à des entreprises de sous-traitance d’envoyer leurs productions sur le marché américain sans frais de douane. Il expire l’année prochaine.

Antony Blinken

Le secrétaire Blinken rencontre le président du Conseil présidentiel de transition, Edgard Leblanc Fils. | Photo : Chuck Kennedy

Au cours des rencontres, les responsables haïtiens ont exposé leurs griefs, selon des sources informées ou ayant participé aux discussions, ainsi qu’un membre du cabinet du président du Conseil présidentiel.

« Il est vrai que pour certains, le pire est derrière nous, mais pour la majorité des Haïtiens aujourd’hui, on ne voit toujours pas le bout du tunnel », commente à AyiboPost l’ancien député Jerry Tardieu.

Le chef du parti « En avant » a participé à la réunion organisée par la délégation menée par Blinken avec neuf représentants de structures politiques.

Lors de cette rencontre, un représentant de l’accord du 21 décembre, André Michel, a affirmé avoir demandé la démission de leur représentant Louis Gérald Gilles du Conseil, selon deux sources au courant de sa prise de parole.

Contacté par AyiboPost, Pascal Adrien, un autre acteur influent du 21 décembre et présent à la rencontre, déclare à AyiboPost être d’accord « sur le principe de remplacement provisoire » de Gilles, mais insiste sur la nécessité d’un « mécanisme dûment notifié par le Conseil présidentiel ou signé par son président Edgard Leblanc. »

Il est vrai que pour certains, le pire est derrière nous, mais pour la majorité des Haïtiens aujourd’hui, on ne voit toujours pas le bout du tunnel.

Jerry Tardieu

L’affaire des trois conseillers embourbés dans un scandale de chantage contre le responsable d’une banque publique ternit le Conseil.

Des membres du parti EDE de l’ancien Premier ministre Claude Joseph appellent également à la démission du représentant de la structure, Smith Augustin.

Derrière les rideaux, Joseph tenterait de pousser Augustin à la porte après l’avoir publiquement défendu, selon une source informée des manœuvres. Il n’est pas clair si Augustin cédera aux pressions. Ni lui, ni Joseph n’ont répondu aux demandes de commentaires.

Devant la délégation américaine, Moïse Jean Charles a réaffirmé son soutien à son représentant, Emmanuel Vertilaire.

Le chef de Pitit Desalin n’a cependant pas soutenu les autres conseillers accusés de corruption dans sa prise de parole, observe un des participants.

La plupart des conseillers présidentiels doivent assumer le leadership du groupe selon un accord trouvé en mai. Il n’est pas clair si — comme prévu — Augustin prendra les rênes du Conseil le 7 octobre prochain.

Mais déjà, au moins un des membres du CPT accusé de corruption semble vouloir s’éloigner de l’arrangement.

« Gérald Gilles m’a personnellement dit [il y a environ une semaine] qu’il n’est pas intéressé par la présidence rotative », révèle à AyiboPost Jean Junior Joseph, un membre du cabinet d’Edgard Leblanc.

Dr Gilles a été contacté par AyiboPost. Il n’a pas fait de commentaires.

Questionné par Blinken sur ce scandale et la possibilité de « remplacer » les membres du CPT impliqués, au moins un officiel haïtien a évoqué une enquête en cours de l’Unité de lutte contre la corruption.

Lire aussi : Que fait l’ULCC, l’organe de lutte contre la corruption en Haïti?

Le président du Conseil, Leblanc, a insisté sur des avancées décisives dans le processus d’érection d’un Conseil électoral provisoire.

Selon Jean Junior Joseph, un seul secteur — les paysans — doit encore choisir son représentant. Une source proche du gouvernement ne partage pas cet optimisme qui, selon elle, s’éloigne de la réalité des difficultés en cours pour constituer le conseil.

D’autres participants ont soulevé des inquiétudes sur les prochaines élections.

À côté d’une approche « complète » en termes de stratégie de sécurité et de réforme constitutionnelle, l’ancien député Tardieu dit avoir insisté sur la « nécessité pour le CEP d’être impartial et objectif pour ne pas générer de contestations » après les prochaines élections.

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Le marathon de rencontres pour la journée s’est conclu avec une conférence de presse au salon diplomatique de l’aéroport Toussaint Louverture.

Après ses propos d’introduction, le secrétaire d’État Blinken a pris une question d’un journaliste haïtien, une autre d’un employé de l’État haïtien propriétaire d’une radio et deux questions de journalistes américains en déplacement avec sa délégation.

Les deux haïtiens avaient soumis leurs questions à l’avance sur demande de l’ambassade américaine. Un des journalistes étrangers a déclaré à AyiboPost n’avoir pas été invité à soumettre sa question à l’avance. Bien qu’elle soit courante dans plusieurs pays, la soumission de questions avant les conférences de presse reste critiquée dans la profession.

Alors qu’il répondait à une question sur le renforcement de la mission kényane, le secrétaire d’État a évoqué la reprise de l’hôpital principal de Port-au-Prince et la réouverture de l’aéroport comme exemples du travail de la mission Kényane avec le soutien de la Police Nationale d’Haïti.

L’aéroport avait été fermé en mars, après un assaut d’une rare violence des bandits contre des infrastructures de l’État dans la région métropolitaine.

Les Kenyans n’étaient pas encore en Haïti lorsque l’aéroport avait recommencé à fonctionner à la fin du mois de mai en marge d’opérations des forces haïtiennes. Les policiers étrangers n’avaient pas non plus pris part à l’opération pour tenter de sécuriser l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti le 7 juillet 2024, selon les révélations d’une enquête d’AyiboPost.

À ce jour, cet hôpital reste fermé et la dernière visite du Premier ministre dans l’espace avec des journalistes s’est soldée par un échange de tirs avec les bandits à la fin du mois de juillet.

Lire aussi : Les Kényans disent avoir repris l’hôpital général. Faux, répondent des policiers.

L’attribution de ces succès aux Kenyans surprend des observateurs.

« Le secrétaire d’État exagère largement les premiers succès du MSS, surtout si l’on considère que ce sont principalement les forces locales qui sont responsables des réalisations — telles qu’elles sont », déclare à AyiboPost Jake Johnston, un expert d’Haïti au Centre de recherche économique et politique à Washington.

Bien que le MSS ait été présenté comme un effort pour former et renforcer les capacités de la police locale, poursuit l’auteur du livre « Aid State », « il semble que ce soit la police locale qui travaille à former le MSS jusqu’à présent. »

AyiboPost a contacté l’ambassade américaine pour clarifier les propos de l’officiel.

« Le Secrétaire a indiqué les étapes importantes des derniers mois », déclare à AyiboPost un porte-parole de l’Ambassade. « Les exemples qu’il a donnés étaient des avancées positives que le MSS et la PNH ont réalisées dans leurs opérations respectives ou conjointes. »

Antony Blinken

Le secrétaire Blinken tient une conférence de presse en Haïti. Photo : Chuck Kennedy

Le prochain rendez-vous majeur concernant la situation en Haïti aura lieu à l’Assemblée générale des Nations unies ce mois-ci.

Les États-Unis envisagent de demander la transformation de la mission menée par le Kenya en une force de maintien de la paix onusienne. Cette transformation permettrait d’assurer la pérennité de l’initiative et son financement adéquat. Il n’est pas clair si cette proposition sera approuvée à l’organisation.

La visite de Blinken montre un soutien fort aux autorités haïtiennes.

« Malgré un emploi du temps très chargé, notamment en raison de la situation au Proche-Orient, il est remarquable qu’il se rende en Haïti pour rencontrer à la fois le CPT et le Premier Ministre », observe Philippe de Bard, expert indépendant sur Haïti, dans une interview avec AyiboPost

Par Widlore Mérancourt 

Image de couverture : Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a rencontré le Premier ministre haïtien, Garry Conille | © Official State Department photo by Chuck Kennedy.


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Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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