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Des policiers tuent son fils. L’État haïtien verse un million de gourdes.

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La famille de Bernard Odne continue de demander justice pour leur fils tué en octobre 2023 par des policiers

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Emmanuel Sainte-Hélène était encore au lit lorsque des voisins l’informèrent que son fils, Bernard Odne, avait été touché par deux projectiles de la patrouille « Dos à dos », venue disperser une manifestation à Camp-Perrin le 14 octobre 2023.

Selon six témoins, Odne, âgé de 32 ans, a été atteint par une balle en caoutchouc dans le dos, tandis qu’une autre, bien réelle, a traversé son foie. Il succombera à ses blessures quelques heures plus tard dans un hôpital de la ville des Cayes.

Après la nouvelle de la mort d’Odne, deux manifestants arrêtés par la police sont rapidement libérés, sans aucune forme de procès, rapporte à AyiboPost une des personnes libérées.

« La primature nous a donné un million de gourdes et j’ai reçu cet argent du délégué départemental Ketnor Estainvil », révèle à AyiboPost la mairesse de Camp-Perrin, Fenicile Massius.

Selon l’édile, « nous avons donné 900 000 gourdes à la famille et 100 000 gourdes aux chauffeurs de motos » dont les véhicules ont été endommagés par les policiers lors de la manifestation.

 La primature nous a donné un million de gourdes et j’ai reçu cet argent du délégué départemental Ketnor Estainvil.

Ketnor Estainvil n’a pas pu être joint, mais Jorice Orémil, leader de l’organisation responsable de la manifestation « Aksyon Pou Sove Lavi », confirme pour AyiboPost la distribution de l’argent. Selon le juriste et professeur à l’université, le versement de la somme ainsi que les libérations éclairs représentent des «manœuvres afin d’étouffer le dossier».

À Camp-Perrin, la famille continue de demander justice. Une plainte est déposée contre les policiers du backup « Dos à dos ». Souvent, selon des témoignages, ce backup accompagne le Commissaire du gouvernement des Cayes, Me Ronald Richemond.

Orémil explique à AyiboPost avoir été menacé par le Commissaire. Ce dernier n’a pas pu être joint au téléphone avant publication.

La manifestation du 14 octobre 2023 portait sur le persistant problème d’électricité dans la ville de Camp-Perrin. Depuis le séisme du 14 août 2021, la centrale hydroélectrique de Saut-Mathurine qui alimente la zone a cessé de fonctionner.

Lire aussi : Photos témoins de la fureur du séisme du 14 août dans le grand Sud

Très tôt le 14 octobre, les protestataires ont bloqué la route nationale qui relie le Sud et la Grand’Anse avec des troncs d’arbres.

Le blocage a engendré une longue file de voitures, placées à la file indienne dans l’attente d’une éventuelle réouverture de la route.

Après la nouvelle de la mort d’Odne, deux manifestants arrêtés par la police sont rapidement libérés, sans aucune forme de procès.

Vers les six heures, le backup de police dénommé « Dos-à-dos » par la population fait son apparition avec des policiers encagoulés, affirme à AyiboPost Jameson Cherestal, un protestataire présent sur les lieux.

« Sans rien dire, les policiers ont lancé du gaz lacrymogène et fait usage de leurs armes », continue Cherestal.

Cette intervention a engendré la dispersion des protestataires à travers les voitures, bus, camions et camionnettes.

Revenant du chevet de son père fiévreux ce jour-là, Bernard Odne se dirigeait vers sa petite banque de borlette « L’excellence » lorsque la débandade a commencé, affirme sa mère et un autre témoin à AyiboPost.

La banque de borlette de Odne.

« La foule dissipée, les agents de police ont demandé à Odne de débloquer la route », témoigne Delice Mardoché, un autre protestataire, témoin de la scène et arrêté le même jour par la police.

Selon Mardoché, Odne a déclaré aux policiers qu’il ne pouvait pas soulever les grosses pierres et les troncs d’arbres seul. « Ils l’ont frappé à plusieurs reprises et il s’est mis à courir », continue le protestataire.

C’est à ce moment que les policiers ont tiré en direction du jeune homme, déclare Mardoché qui a été, selon ses dires, « pris au collet, giflé et roué de coups » par les policiers.

Selon six témoins, Odne, âgé de 32 ans, a été atteint par une balle en caoutchouc dans le dos, tandis qu’une autre, bien réelle, a traversé son foie.

Ces faits ont poussé la population à bloquer le tronçon pendant plusieurs jours, déclare Geffrard Yvon, un agent en développement communautaire, touché lui aussi par un projectile en caoutchouc le 14 octobre.

Depuis ces évènements, des techniciens mandatés par l’État travaillent pour relancer la centrale hydro-électrique, ce qui a contribué à apaiser la situation à Camp-Perrin.

Inaugurée en 1983 avec une capacité de 1,6 mégawatt, la centrale est équipée de trois turbines, mais une seule se trouve en état de marche.

De son côté, la famille de Bernard Odne continue de crier à l’aide. Il était « mon bras », déclare à AyiboPost Emmanuel Sainte-Hélène, depuis sa maisonnette faite entièrement de tôle qui s’écroule sous la rouille. Il « était tout pour nous, continue Sainte-Hélène se lamentant entre deux sanglots : j’ai tout perdu. »

La maison de la mère d’Odne.

Par Jabin Phontus

Image de couverture : En présence d’agents de la Police Nationale d’Haïti, en mai 2023, des ouvriers protestataires expriment leurs revendications, à Delmas. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Basé aux Cayes, Jabin Phontus est contributeur à AyiboPost depuis octobre 2023.

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