SOCIÉTÉ

Des policiers haïtiens chassés par les gangs, oubliés par l’État

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Plusieurs milliers de policiers sont concernés par cette situation, selon les révélations d’une policière ayant travaillé pendant trois ans au service des plaintes et déclarations du commissariat de Delmas 33. Elle a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité

Une demi-douzaine d’agents de la Police nationale d’Haïti, impliqués dans la lutte contre les gangs armés, mais contraints de se déplacer en raison de la violence, dénoncent à AyiboPost l’absence de soutien financier et psychologique de leur institution.

Plusieurs milliers de policiers sont concernés par cette situation, selon les révélations d’une policière ayant travaillé pendant trois ans au service des plaintes et déclarations du commissariat de Delmas 33. Elle a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Contacté par AyiboPost, le porte-parole adjoint de la police nationale d’Haïti (PNH), Lionel Lazarre, informe qu’il ne dispose pas de données sur les policiers déplacés par la violence des gangs. 

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Les attaques répétées des bandits armés dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et quelques villes de provinces a déjà provoqué plus d‘un million de déplacés internes depuis le dernier trimestre de l’année précédente.

Selon Garry Jean-Baptiste du syndicat de la police nationale d’Haïti (SNPH-17), des policiers déplacés sont obligés de rester dans leur base, faute de moyens pour louer une nouvelle maison.

C’est le cas par exemple à la direction générale de la police à Clercine, où des agents sont logés.

« J’ai changé de demeure trois fois en un an. J’ai pu le faire grâce au support financier de ma femme », témoigne Jean Baptiste à AyiboPost. 

Dans une publication sur la plateforme X, en date du 8 janvier 2025, les responsables du SPNH-17 dénoncent le manque de soutien du gouvernement et du conseil présidentiel de transition (CPT) envers la PNH, particulièrement lors des récentes opérations menées dans le fief du gang dirigé par Vitelhomme Innocent.

Les bandits ciblent particulièrement les policiers. 

Lors des attaques des gangs en mars 2025 à Mirebalais, ils ont incendié la maison de cet agent de l’Unité départementale de maintien d’ordre (UDMO). 

Pris de panique, le policier issu de la 24e promotion PNH et sa famille se sont réfugiés dans la base de l’UDMO à Hinche. 

Selon le policier qui requiert l’anonymat, sa maison ainsi que celles de trois autres policiers engagés dans la lutte contre les gangs ont été incendiées par les bandits.

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Actuellement à Hinche et continuant à participer aux opérations, le policier se plaint des conditions inappropriées dans la base, où huit personnes se retrouvent coincées dans une petite chambre.

« Ma famille et moi avions une vie décente, déclare l’agent. Mais nous étions obligés de nous déplacer sans ressources ».

La force multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) dirigée par Kenya est arrivée en Haïti en juin 2024 pour aider la police nationale à lutter contre les gangs armés.

Lire plus : Des officiers Kényans critiquent le fonctionnement de la mission

Dans une enquête publiée par AyiboPost en septembre 2024, trois agents de la PNH ont exprimé des frustrations face au traitement différencié dont bénéficient les policiers haïtiens et les agents étrangers de cette mission. 

Près d’un an après, les autorités peinent à freiner les gangs malgré la présence de cette force.

Les déplacements forcés affectent économiquement le fonctionnement des policiers qui sont parfois obligés de vivre loin de leurs familles.

Un agent de l’UDMO déployé sur le terrain contre les gangs à Port-au-Prince, joint par AyiboPost se plaint du fait qu’il soit obligé d’envoyer sa femme et son fils vivre au nord du pays. 

La famille a dû fuir le quartier de Carrefour-feuilles suite aux attaques des gangs l’année dernière. 

« Je fais de mon mieux sur le terrain afin d’aider à résoudre ce problème d’insécurité, car je veux pouvoir réunir ma famille », confie l’agent à AyiboPost.

La flambée des loyers dans certaines zones, notamment à Pétion-Ville et Delmas, compromet les efforts de plusieurs policiers souhaitant mettre leur famille à l’abri des rafales de gangs.

« Passer d’un loyer de 50 000 gourdes à Savane Pistache à 3 000 dollars américains à Pétion-Ville, avec une rémunération mensuelle d’environ 45 000 gourdes, évalué à près de 350 dollars américains, est extrêmement difficile », décrit un policier de la 26e promotion. 

L’agent III habitait à Carrefour-Feuilles et faisait partie d’un groupe de policiers qui luttaient contre les attaques du gang de Grand Ravin dirigé par Renel Destina dit Ti lapli en 2022 avant que sa maison ait été incendiée.

Le refus de certains hôpitaux de recevoir des assurés de l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA) aggrave la précarité des policiers nécessitant des soins spécialisés.

« Certains agents sont traumatisés après avoir participé à des opérations ou subi des attaques de bandits », déclare à AyiboPost Mathieuny Sidel, porte-parole du Syndicat national des policiers haïtiens, lui-même contraint de fuir en février 2024 à la suite d’attaques armées.

Le syndicaliste plaide pour un renforcement de la Direction médicale de la Police nationale afin d’assurer un meilleur accompagnement psychologique des agents.

Contacté par AyiboPost, le directeur médical de la PNH, Jean Sonny Virgile, affirme ne pas être autorisé à communiquer d’informations.

En 2022, la police comptait plus de 15 000 agents. 1663 d’entre eux ont abandonné l’institution policière en 2023, dans le contexte d’insécurité, s’ajoutant à plus d’une centaine d’autres tués dans l’exercice de leurs fonctions.

Le budget dit  « de guerre » adopté en avril 2025 par le gouvernement prévoit une allocation de 36 milliards de gourdes en faveur de la police nationale d’Haïti et des forces armées d’Haïti. 

Passer d’un loyer de 50 000 gourdes à Savane Pistache à 3 000 dollars américains à Pétion-Ville, avec une rémunération mensuelle d’environ 45 000 gourdes, évalué à près de 350 dollars américains, est extrêmement difficile.

-Un policier de la 26e promotion

Début juin 2025, le président du Conseil présidentiel de transition, Fritz Alphonse Jean, a révélé que seulement 13,7 % du budget avait été exécuté au 30 avril de la même année.

Lancé en septembre 2020 à Delmas 33 sous l’administration de Jovenel Moïse, un projet de construction de logements pour les policiers haïtiens, financé à hauteur de 12,5 millions de dollars par l’ONA, reste toujours dans l’impasse.

En attendant des solutions concrètes, les policiers en première ligne doivent affronter seuls leurs problèmes de logement.

Le 17 février 2025 au soir, la famille de deux policières a dû fuir précipitamment Sarthe après que des bandits armés, qui contrôlent la zone, ont découvert leur lien avec les forces de l’ordre. Les assaillants ont envahi leur maison, l’ont fouillée et ont tiré dans toutes les directions.

Installée dans le quartier depuis 1982, la famille ne peut plus y retourner, raconte l’une des policières, issue de la 31e promotion, à AyiboPost.

La traque des policiers est une stratégie couramment utilisée par les gangs lorsqu’ils prennent le contrôle d’un territoire.

En octobre 2024, des membres des gangs et Jeff Gwo Lwa ont incendié les maisons de policiers ayant tenté de s’organiser pour défendre Sarthe.

Dans une vidéo publiée en février 2025, Wilson Joseph, alias Lanmò San Jou, chef du gang 400 Mawozo, avait ordonné à ses hommes de fouiller systématiquement les maisons et les téléphones de toute personne se trouvant dans leur fief, afin d’identifier et d’exécuter celles ayant des liens avec la police.

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Couverture | Deux policiers de la PNH à Port-au-Prince, Haïti, le 14 juillet 2021. Photo : Ricardo Arduengo

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Louis-Jeune est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a fait des études en philosophie et en science politique à l'Université d'État d'Haïti.

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