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Des patients en psychiatrie victimes de violences à Port-au-Prince, faute de médicaments

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« La majorité des médicaments que nous utilisons proviennent de l’étranger, et nous ne disposons pas d’une grande capacité de stockage », explique Rommel Cajuste à AyiboPost

Deux personnes souffrant de troubles mentaux, dont l’état de santé s’est aggravé faute de médicaments, ont été victimes de violence en 2024.

Ces deux cas rapportés à AyiboPost par le psychiatre Dimitri Thadal impliquaient deux de ses patients.

Le premier, qui résidait au bas de la ville, près du Petit Séminaire Collège Saint-Martial, a vu son état se détériorer en raison du manque de médicaments adaptés, le laissant sans contrôle sur lui-même et l’amenant à errer dans la rue. 

Une semaine plus tard, sa famille a appris qu’il avait été tué.

L’autre personne, résidant à Musseau, a été sauvée in extremis des mains d’individus armés en décembre 2024, grâce à une personne qui l’a reconnue comme souffrant de troubles mentaux.

Incapable de décliner son identité, elle avait déjà reçu un coup de machette à la tête.

Selon le psychiatre, ces deux cas illustrent l’impact de la pénurie des médicaments dans les pharmacies en Haïti, fragilisant la situation des personnes les plus vulnérables.  

Ces cas ne sont pas isolés.

Dans une interview accordée à AyiboPost en mai 2024, Max-Weber Victor, psychiatre au centre psychiatrique Mars and Kline depuis quinze ans, avait expliqué à AyiboPost que des personnes souffrant de troubles mentaux, se trouvant dans les rues, sont fréquemment victimes lors des grandes vagues de violence à Port-au-Prince. Le responsable expliquait que « malheureusement, ces cas ne sont pas recensés ».

Le contexte de violence en Haïti, le blocage des routes, ainsi que la fermeture des aéroports et des ports ont gravement affecté le système de santé haïtien, particulièrement le secteur pharmaceutique.

Cette crise s’est intensifiée après que les gangs ont incendié plus d’une vingtaine de pharmacies au bas de la ville en mars 2024. 

Un article d’AyiboPost publié en mai 2024 avait évoqué les difficultés pour certains patients atteints de cancer de se procurer de médicaments essentiels.  

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Depuis, l’éventail des médicaments et autres intrants sanitaires disponibles ne cesse de se réduire, selon trois responsables contactés par AyiboPost. 

Les hôpitaux rencontrent de plus en plus de difficultés pour s’approvisionner à cause des retards significatifs observés dans la livraison de nombreux produits essentiels. 

Le contexte de violence en Haïti, le blocage des routes, ainsi que la fermeture des aéroports et des ports ont gravement affecté le système de santé haïtien, particulièrement le secteur pharmaceutique.

C’est le cas de l’hôpital Saint-Damien, l’un des principaux centres hospitaliers de la zone métropolitaine de Port-au-Prince situé à Tabarre.

Pour le mois de novembre 2024, cet hôpital n’a reçu que 43 % des commandes passées auprès de ses fournisseurs, selon Rommel Cajuste, pharmacien et chef de service au centre hospitalier. 

Ce chiffre était légèrement supérieur en octobre, atteignant environ 47 %.  

« La majorité des médicaments que nous utilisons proviennent de l’étranger, et nous ne disposons pas d’une grande capacité de stockage », explique Rommel Cajuste à AyiboPost.

Le pharmacien souligne que chaque fois que la situation sécuritaire se dégrade, l’approvisionnement en médicaments est immédiatement affecté.

« Lorsque les ports et les aéroports sont fermés, nos fournisseurs, qui commandent généralement les médicaments une fois par mois, sont incapables de répondre à la demande », ajoute-t-il.

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Les laboratoires locaux, en difficulté pour importer les matières premières nécessaires à la fabrication des médicaments, ont été contraints de réduire leur production.

Les laboratoires d’analyses médicales sont également affectés, faisant face à une pénurie d’intrants essentiels pour effectuer des diagnostics.

Cette indisponibilité accrue des médicaments prend place dans un contexte de violence des gangs où des dizaines d’hôpitaux de Port-au-Prince sont obligés de fermer leurs portes.

Les forces de sécurité nationales et une force multinationale présentes sur le terrain n’ont pas pu empêcher des attaques sur des structures sanitaires, dont l’hôpital Bernard Mevs en décembre 2024.

Le 24 décembre 2024, la réouverture de l’hôpital de l’université d’Etat d’Haïti ( HUEH ) annoncée par les autorités a tourné au drame. 

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Les gangs attaquent les locaux de l’institution et tuent trois personnes, dont un policier et deux journalistes. 

Plus grand centre hospitalier du pays, l’HUEH est fermé depuis février 2024.

La crise du système sanitaire haïtien persiste. 

Selon Rommel Cajuste, des intrants de laboratoire essentiels, comme les tests urinaires, font défaut sur le marché local.

Des tests de réapprovisionnement venant de l’étranger comme l’hémoglobine, le bilan rénal, le bilan lipidique ou bilan hépatique, ou encore le gaz du sang, sont devenus difficiles à réaliser, selon le responsable.

Face à ce constat, dit-il, le personnel de santé privilégie les cas les plus urgents à diagnostiquer, “ce qui risque d’affecter la qualité des soins”.

Des laboratoires pharmaceutiques et grossistes de Port-au-Prince ont fermé. 

La majorité des médicaments que nous utilisons proviennent de l’étranger, et nous ne disposons pas d’une grande capacité de stockage

C’est le cas du laboratoire Farmatrix, selon un responsable de l’institution contacté par AyiboPost.

Farmatrix se spécialise dans la production locale de produits pharmaceutiques depuis plus de 30 ans. 

L’indisponibilité des médicaments a des conséquences désastreuses sur des patients dont l’état est vulnérable, comme ceux souffrant de troubles mentaux.

Comme alternative, explique le Dr Thadal, les professionnels de la santé mentale prescrivent à leurs patients des anciennes molécules pour compenser la rareté des médicaments appropriés.

« Ces médicaments, généralement moins utilisés, provoquent beaucoup plus d’effets secondaires sur les malades et commencent à être en rupture de stock également », informe le médecin Thadal à AyiboPost. 

La fermeture du centre Mars and Kline, unique centre psychiatrique public, en mars 2024, a contraint certaines familles à prendre en charge leurs proches malades à domicile, souvent au prix de grandes difficultés, notamment pour assurer l’administration des traitements.

La pénurie entraîne une augmentation des prix des rares médicaments encore disponibles.

Par exemple, explique Thadal, « une petite boîte de 30 unités de paroxétine se vend à dix mille gourdes à Pétion-Ville».

La Paroxétine est couramment utilisée pour traiter divers troubles psychiatriques en augmentant les niveaux de sérotonine dans le cerveau, une substance chimique qui joue un rôle clé dans la régulation de l’humeur.

« Des familles en difficultés financières  ne peuvent pas se procurer ces médicaments pour leurs proches malades », regrette le médecin. 

Face aux multiples blocages liés  notamment à la fermeture des structures d’approvisionnement en Haïti, certains entrepreneurs se tournent vers la République dominicaine. 

Mais les postes de péages installés par les  bandits armés sur les routes nationales impactent les prix des produits.  

Par ailleurs, Thadal évoque des préoccupations quant à la qualité de ces médicaments importés de la République dominicaine qui seraient de « moindre qualité ».

Une situation qui préoccupe les responsables dans un contexte où Haïti ne dispose pas de laboratoire national de contrôle de qualité des médicaments.   

La pénurie menace le traitement des enfants vivants avec le VIH. 

Certains médicaments essentiels sont indisponibles. 

C’est, par exemple, le cas du Dolutégravir 10 mg. Un antirétroviral utilisé dans le traitement d’enfants vivant avec le VIH,  selon Pierre Hugues Saint-Jean, président de l’Association des Pharmaciens d’Haïti.

Des médicaments tels que l’Acide valproïque sp, le co Carbamazepine sp et le Diazépam injectable, principalement destinés aux patients atteints de troubles épileptiques, sont rares, selon le pharmacien Rommel Cajuste.

La pénurie menace le traitement des enfants vivants avec le VIH. 

De même, des traitements essentiels comme des antibiotiques, des analgésiques, des anticancéreux, ou des antihypertenseurs, en particulier ceux nécessaires pour les urgences liées à l’hypertension artérielle, ainsi que des fils de suture utilisés en chirurgie, sont également en pénurie.

Selon Pierre Hugues Saint-Jean, président de l’Association des Pharmaciens d’Haïti, cette pénurie menace gravement la santé publique, augmentant le risque de complications et de mortalité.

Selon le responsable, cette crise des médicaments pourrait réduire l’accès aux soins, aggraver les pathologies chroniques faute de traitements disponibles, et entraîner des impacts psychologiques sur la population.

Les soins de santé de routine, comme les consultations préventives, les vaccinations, les traitements habituels et le suivi des maladies chroniques, pourraient être perturbés, explique-t-il, « car les patients ne reçoivent pas leurs médicaments normalement et les structures de santé ne peuvent fonctionner efficacement ».

Des familles en difficultés financières  ne peuvent pas se procurer ces médicaments pour leurs proches malades.

Selon le professionnel de santé, des pénuries répétées et des perturbations dans l’approvisionnement pourraient également affecter la confiance de la population dans le système de santé.

Ce qui peut, à la longue, « entraîner des problèmes de réticences à rechercher des soins et une augmentation de comportement d’automédication », conclut-il.

Par  Rolph Louis-Jeune 

Image de couverture : Un jeune homme assis, tenant un verre d’eau dans une main et un comprimé dans l’autre. | ©freepik

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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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