SOCIÉTÉ

Des institutions se relocalisent en dehors de P-au-P. Est-ce la décentralisation ?

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Des dizaines d’institutions abandonnent Port-au-Prince au profit de la province. L’intérêt pour certaines villes en dehors de la région métropolitaine s’en va grandissant

La violence des gangs oblige institutions et individus à abandonner progressivement Port-au-Prince. 

1,3 millions de citoyens ont fui les violences de la région métropolitaine et de l’Artibonite. Des dizaines de milliers d’entre eux reconstruisent leur vie dans le sud ou au nord, augmentant la pression sur les infrastructures locales. 

Des dizaines de business, de sections d’ambassades et d’organisations internationales, choisissent le nord ou le sud d’Haïti. Ces déplacements stimulent l’économie de ces communautés, selon des témoignages recueillis par AyiboPost. 

Des départements autrefois dépendants presque totalement de Port-au-Prince, prennent aussi leur envol. C’est le cas du sud où le gouvernement a inauguré en janvier le port Saint-Louis.

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Les responsables de ce port attendent uniquement la permission de L’État haïtien pour débarquer des conteneurs. Ceci ouvrira le grand sud au marché international pour l’exportation des denrées et l’importation directe, sans passer par la route nationale reliant Nippes, le Sud et la Grand’Anse a Port-au-Prince. Ce tronçon est aujourd’hui totalement contrôlé par les bandits

L’ouverture au monde du sud se fait aussi par voie aérienne. En mars, le gouvernement a inauguré l’aéroport international des Cayes après le rallongement de la piste locale de 1 300 mètres à 1850 mètres. 

Beaucoup reste à faire pour rendre l’aéroport réellement international, mais ces restrictions n’ont pas empêché la compagnie étatsunienne, IBC Airways, d’y effectuer jeudi un voyage test. 

À l’avenir, cette entreprise envisage de relier les Cayes aux Etats-Unis, après une escale en Jamaïque, puisque l’aéroport du sud n’est pas encore certifié « international » par les autorités américaines. 

Est-ce la décentralisation, objectif immédiat de plusieurs gouvernements successifs, en marche ? 

Pas si vite répondent des experts contactés par AyiboPost. 

La décentralisation consiste à transférer un ensemble de responsabilités de L’État central vers des institutions régionales ou locales. « Elle implique de définir, sur le plan politique, quels pouvoirs leur seront attribués, et sur le plan administratif, quels moyens elles auront pour mettre en œuvre ces politiques », explique la sociologue Michèle Oriol. 

Et, c’est ce que nous n’arrivons pas à rendre effectif, poursuit l’ancienne secrétaire exécutive du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT). 

Des textes de lois existent sur la décentralisation. Mais ils ne sont pas adaptés ou ne définissent pas clairement les pouvoirs de contrôle, souligne Oriol qui propose la mise en place de structures pour assurer des audits internes et externes, ainsi que des textes de lois claires sur les taxes, les pouvoirs à décentraliser et vers quelle entité.

46 % des déplacés internes en 2024 s’étaient relocalisés dans la péninsule Sud, selon des chiffres de l’OIM publié en octobre 2024. 

À côté des nombreux déplacés, la ville des Cayes, enregistre un nombre croissant d’entreprises nouvellement établies dans les secteurs de la construction et de la quincaillerie, dont une vingtaine recensées depuis novembre 2024, selon Gustave Ligens, assistant au sein de la direction fiscale de la mairie.

Pour l’exercice fiscal 2024, la municipalité avait amassé 80 millions de gourdes. Cette année, les responsables municipaux s’attendent à une augmentation des recettes de la mairie grâce à ces mouvements.

La décentralisation consiste à transférer un ensemble de responsabilités de L’État central vers des institutions régionales ou locales. « Elle implique de définir, sur le plan politique, quels pouvoirs leur seront attribués, et sur le plan administratif, quels moyens elles auront pour mettre en œuvre ces politiques.

– Michèle Oriol. 

Le Conseil présidentiel de Transition (CPT) a « inauguré » le port Saint Louis et assisté à la signature d’un accord avec l’Autorité Portuaire Nationale (APN). 

Ce nouveau port a accueilli un navire en 2020, sept en 2022, un en 2023, et déjà six pour l’année en cours.

Selon un responsable, le port doit permettre à la diaspora haïtienne d’envoyer des biens vers le Grand Sud, d’exporter des produits locaux et même de recevoir du pétrole. Ce qui faciliterait la distribution dans au moins quatre départements du grand sud. 

L’aéroport international Antoine Simon des Cayes inauguré en mars attend des travaux substantiels, comme l’aménagement de terminaux et le rallongement de sa piste pour le rendre apte à recevoir régulièrement des vols internationaux. 

Pour atteindre les 2 200 mètres nécessaires, un pont doit être construit sur un terrain déjà disponible selon Serge Tilus, un officier d’opération de l’aéroport. 

Devant la ville des Cayes, le Cap-Haïtien reçoit un grand nombre de relocalisations et de nouvelles entreprises. 

Plusieurs institutions nationales et internationales, dont l’Organisation des Nations-Unies (ONU), la Banque interaméricaine de développement (BID) ont transférées certains de leurs services au Cap-Haïtien, informe le maire du Cap, Patrick Almonord, disant avoir rencontré plusieurs autres institutions voulant s’y installer.

Des employés de quelques ministères obtiennent leur transfert de travail vers le Nord, poursuit l’édile.

Des textes de lois existent sur la décentralisation. Mais ils ne sont pas adaptés ou ne définissent pas clairement les pouvoirs de contrôle, souligne Oriol qui propose la mise en place de structures pour assurer des audits internes et externes, ainsi que des textes de lois claires sur les taxes, les pouvoirs à décentraliser et vers quelle entité.

L’interdiction des vols civils américains vers Port-au-Prince, en vigueur depuis novembre 2024, a entraîné une intensification du trafic aérien à l’aéroport du Cap-Haïtien – seul aéroport international en activité complète pour Haïti. 

Cet accroissement du trafic influe sur les recettes mensuelles de l’aéroport du Cap « comprises entre 700 à 1 000 000 de dollars américains par mois », révèle le maire Almonord. 

Almonord regrette qu’aucune part de ces profits ne soit versée à la mairie, dont le budget s’élève à 350 millions de gourdes. Selon le magistrat, ces fonds vont directement au Trésor public et à l’Autorité aéroportuaire Nationale (AAN).

Cet accroissement d’activité est aussi remarquable dans le port international du Cap-Haïtien recevant des milliers de conteneurs de produits comme le riz ou le ciment par année, depuis l’insécurité. 

L’entrepreneuriat prospère également au Cap. La plupart des hôtels de la ville se retrouvent régulièrement au maximum de leur capacité de réception. Même chose pour certaines boutiques régulièrement en rupture de stock pour certains produits. 

Lire aussi : Cap-Haïtien n’est pas la nouvelle capitale d’Haïti !

Rock André fait partie des nouveaux investisseurs dans le nord. Avec des partenaires locaux, il a implanté en août 2023 une franchise locale de sa pizzeria Pot’Iwa. 

André estime « l’investissement payant et rentable » dans un contexte où sa pizzeria dans la capitale, lancée en 2015, peine à tenir le rythme à cause de sa non-rentabilité et de la faible fréquentation.

Face à l’insécurité dans l’Ouest et l’Artibonite, le Cap-Haïtien s’impose comme une destination événementielle dans le Nord. 

La cité christophienne accueille des activités festives, notamment en périodes carnavalesques ou estivale, attirant des gens de la diaspora, rapporte le maire de la ville, Patrick Almonord.

L’entrepreneuriat prospère également au Cap. La plupart des hôtels de la ville se retrouvent régulièrement au maximum de leur capacité de réception. Même chose pour certaines boutiques régulièrement en rupture de stock pour certains produits. 

La centralisation du pays représente un défi historique en Haïti avec la concentration économique, sociale, administrative et culturelle autour de la capitale, Port-au-Prince, centre névralgique du pays. 

La création de cet État hérite du modèle colonial : à Port-au-Prince siégeait un gouvernement local, tandis que des milliers d’habitations coloniales fonctionnaient de manière indépendante, avec leurs propres circuits d’exportation vers la métropole française. Ce qui favorise des tensions récurrentes entre les colons et les représentants de L’État central métropolitain. 

L’occupation américaine de 1915 a accéléré la centralisation du pouvoir, en dissolvant l’armée nationale au profit d’une nouvelle structure militaire, la création de réseau routier reliant les provinces à la capitale, et la modernisation des infrastructures portuaires, tout en réduisant l’influence des provinces. 

Ce qui a provoqué  notamment un déplacement de la main-d’œuvre vers les quartiers populaires de Port-au-Prince. 

Cette dynamique s’accélerera après le cyclone Hazel de 1954, forçant des milliers de paysans à quitter leurs plantations ravagées pour poursuivre des opportunités à Port-au-Prince. 

Cette tendance va poursuivre pendant la dictature des Duvalier, cette dynamique s’intensifiera avec le la création et le renforcement de bidonvilles dans la région métropolitaine.

Depuis, décentraliser le pays revient régulièrement dans le débat politique comme lors de l’élaboration de la Constitution de 1987. 

Des appels viennent des communautés locales pour faire de la crise de l’insécurité une opportunité pour amorcer durablement la décentralisation du pays. 

Une initiative appelée le Forum économique de la péninsule Sud, regroupant 39 communes signataires, quatre chambres de commerce et quatre universités publiques, vise à créer et promouvoir une zone économique ainsi qu’à réfléchir sur une autorité communale de développement. 

Les Cayes et le Cap-Haïtien attendent des investissements importants de L’État pour renforcer les infrastructures existantes. 

Le Cap-Haïtien par exemple compte plus d’un million d’habitants, répartis dans plus de 100 000 maisons, dont la plupart sont mal construites, selon le maire de la ville. 

Le centre historique classé patrimoine national le 23 août 1995 se dégrade dans un contexte de manque de logement. 

Le Cap-Haïtien enregistre quotidiennement 200 tonnes de déchets, sans que la mairie ne dispose d’infrastructures pouvant répondre à ce besoin. La ville fait face également à des problèmes d’électricité et environnementaux. 

Le Cap-Haïtien par exemple compte plus d’un million d’habitants, répartis dans plus de 100 000 maisons, dont la plupart sont mal construites, selon le maire de la ville. 

La capacité de l’infrastructure aéroportuaire est déjà dépassée. Elle doit être aménagée avec 200 sièges supplémentaires pour éviter les files d’attente dans la rue, souhaite le responsable municipal informant que des travaux sont en cours. 

Le contexte représente un atout pour la ville, selon le maire Patrick Almonord. Mais  il nous place dans la situation difficile de « répondre aux besoins de tous ceux qui arrivent, car nous n’étions pas préparés », rajoute le maire qui espère un accompagnement de l’État. 

L’État peut profiter de la crise. Pour ce faire, il doit encourager l’autonomie des communes en les appuyant dans la mobilisation fiscale et la mise en place d’un système de gestion de la fiscalité, selon Luc Wans Duvalsaint, consultant formateur en gouvernance locale.

L’État doit également, selon le spécialiste, imposer la transparence dans la gestion des Fonds de Gestion et de Développement (FGDCT), destinés à financer les activités des collectivités, « travailler avec le secteur privé des affaires, les chambres de commerce, et mobiliser des fonds pour renforcer l’artisanat et l’agriculture afin de relancer l’activité économique ».

Toutefois, Jude Saint-Natus, ancien directeur des collectivités au ministère de l’intérieur, estime que tout cela doit passer d’abord par une gouvernance intelligente : mise en place de données, mieux orienter les fonds publics, et favoriser les partenariats public-privé.

Par :  &

Couverture | Des habitants fuient la zone des affrontements à Port-au-Prince, en Haïti, le 20 mars 2024. (Photo : AFP/VNA)

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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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